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Robert Capa aurait eu 100 ans: état des lieux du photo-journalisme

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JOL Press : Près de soixante ans après sa mort, quel héritage a laissé Robert Capa ?
 

Jeff Russell : Robert Capa est un symbole. Il est l’un des premiers photoreporters à couvrir des conflits mais aussi à témoigner d’évènements historiques qui ont changé notre monde. Depuis ses travaux, le photojournalisme a pris de plus en plus de place dans la presse.

Mais avant Robert Capa, la photographie était utilisée davantage comme une sorte propagande, comme illustration dans les journaux. Ce sont les techniciens qui allaient sur le terrain pour prendre des clichés. Avec l’arrivée de nouveaux appareils, les photographes avaient plus de mobilité. Robert Capa est l’un des premiers à s’en être servi, en photographiant la guerre civile en Espagne, et la guerre d’Indochine. Il couvrait les conflits mais également les conséquences du conflit. Il avait un vrai regard, pas seulement celui du technicien qui crée des images pour illustrer. Il est le pionnier du photojournalisme tel qu’il est aujourd’hui. 

JOL Press : Depuis Robert Capa, les conditions de travail se sont-elles beaucoup dégradées ?
 

Jeff Russell : Au début de la carrière de Robert Capa, les conditions de travail étaient également très difficiles. C’est lui qui a aidé à développer le droit d’auteur, qui a permis de vendre les clichés aux magazines et aux journaux. Avec l’essor du numérique et des réseaux sociaux, la crise de la presse, tout ce modèle économique a changé. Aujourd’hui, nous photojournalistes, rencontrons de grandes difficultés à avoir des commandes des journaux et un soutien financier. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus compter sur la presse pour partir couvrir un évènement, témoigner d’un conflit comme avant. C’est aux photographes de partir par leurs propres moyens.

JOL Press : 17 reporters occidentaux sont aujourd’hui emprisonnés en Syrie, dont la moitié sont des photographes. Cette situation témoigne de la précarité croissante du métier ?
 

Jeff Russell : Les indépendants – surtout des jeunes – ont couvert les révolutions du printemps arabe avec leurs propres moyens sans soutien de la rédaction, ni d’autres structures. Ils prennent tous les risques : il y en a qui sont pris en otage, d’autres tués…Aujourd’hui, nous n’avons plus de soutien, nous sommes tous seuls. La situation est dramatique. Et pas seulement pour les Occidentaux. Les journalistes locaux, sont tout autant exposés au danger.

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JOL Press : Le recours à la photo commerciale est-il nécessaire pour les photojournalistes aujourd’hui  ?
 

Jeff Russell : Les photojournalistes ont besoin de faire un peu de corporate, car cela permet de faire rentrer un peu d’argent dans un milieu de plus en plus précaire. Cela nous permet de couvrir à côté des sujets auxquels nous tenons vraiment. La photo commerciale est un moyen complémentaire de gagner notre  vie, de payer nos factures parce que nous ne pouvons vivre uniquement du photojournalisme. Même les grands noms de la profession, couronnés par des prix sont concernés par cette réalité.

JOL Press : Croyez-vous qu’une photo puisse changer l’histoire d’un conflit ?
 

Jeff Russell : Je ne sais pas si une photo, ou un photographe puisse changer les choses…Je n’ai par exemple jamais cherché à prendre ce cliché qui pourrait tout changer. Je pense que nous pouvons changer les choses collectivement : les photographes, journalistes, réalisateurs, qui témoignent des réalités sur des conflits, et autres thématiques de nos sociétés,  peuvent contribuer à une amélioration de la situation. Par moment c’est frustrant, car on peut avoir l’impression que rien ne change depuis Robert Capa : soixante ans sa mort, il y a toujours des guerres, des morts… Mais le photoreportage permet d’en être conscient. Si personne n’allait sur le terrain, les choses seraient encore pires.

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JOL Press : Selon vous, quelle est la mission d’un photoreporter ?
 

Jeff Russell : Nous sommes des messagers. En tant que témoins, nous devons comprendre, rendre compte, et laisser une trace. Il faut capturer cette image qui reste dans la conscience collective. C’est la mission de base d’un photojournaliste.
 

JOL Press : Ce week end a débuté à Saint-Brieuc la deuxième édition du festival Photoreporter. Est-ce important aujourd’hui d’avoir des manifestations comme celle-là pour financer le travail des photoreporters ? Le modèle économique de la profession doit-il être repensé ?
 

Jeff Russell : Le concept du Festival Photoreporter est unique. L’idée est de proposer des sujets inédits qui n’ont jamais été faits. Cela n’existe nulle part ailleurs ! Un jury fait un choix parmi les sujets proposés puis finance les photographes pour faire ces sujets. Pour un photographe, c’est un luxe, car nous avons une bourse pour traiter un sujet de la manière qu’on le souhaite avec notre vision des choses. Il y a une expo à la fin : c’est donc une parfaite  vitrine pour aller vendre nos sujets dans les médias par la suite. Nous avons besoin de plus de festival de la sorte. C’est un modèle économique qu’il faut développer en France et ailleurs.

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JOL Press : Quelles images vous ont particulièrement marqué dans votre carrière ?
 

Jeff Russell : Chaque photo à son histoire…Mais je me souviens d’un cliché que j’ai pris en Irak, peu après l’invasion de Bagdad. C’est une photo très douloureuse à regarder. Elle représente un enfant brûlé après une explosion. Il se trouve dans un hôpital. En partant j’ai lancé un dernier regard à cet enfant, et j’ai remarqué un tableau au-dessus de lui représentant une cascade dans une forêt. Cette eau fraîche si proche de l’enfant brûlé m’a choquée. J’ai fait une seule prise. Je suis retourné à l’hôpital quelques jours après mais je n’ai jamais retrouvé l’enfant. Je ne sais pas ce qu’il est devenu.

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