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Sahara occidental: bientôt l’autodétermination?

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JOL Press : Dans quelles conditions se déroule la mission de Christopher Ross, envoyé par le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, au Sahara occidental ?
 

Régine Villemont : La mission fait suite à la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU en avril dernier. Christopher Ross a donc entamé une « tournée » dans la région, il est allé à Rabat en début de semaine, où il a pu rencontrer les parlementaires et le ministre des Affaires étrangères. Actuellement, je n’ai pas le sentiment que la presse marocaine n’en ait fait un très large écho. M. Ross n’est pas particulièrement apprécié par les autorités marocaines.

Jeudi, il était dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf en Algérie, et il doit normalement se rendre au Sahara occidental ce week-end, à Laâyoune [ville la plus importante du Sahara occidental]. Il rencontrera les autorités marocaines sur place et les associations sahraouies, à la fois celles qui affichent une position plutôt favorable au Maroc et celles qui sont en faveur de l’autodétermination et de l’indépendance.

JOL Press : Que demande la commission de l’ONU ?
 

R. Villemont : Cela fait déjà plusieurs années que Christopher Ross est l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU et qu’il essaie de favoriser les négociations entre le Maroc et le Front Polisario [mouvement politique et armé qui soutient l’autodétermination du Sahara occidental, ndlr]. Il a donc organisé plusieurs réunions depuis 4 ans, qui se passaient généralement près de New York.

Il s’est rendu compte que le Maroc comme le Polisario restaient sur leurs positions, et que ces processus de négociations ne faisaient pas vraiment bouger les choses. Il va donc maintenant régulièrement sur place pour rencontrer le groupe des amis du Sahara occidental pour essayer de faire avancer ce processus de rapprochement entre le Maroc et le Front Polisario.

JOL Press : Quelle solution propose le Maroc pour régler le conflit avec le Front Polisario ?
 

R. Villemont : Depuis 2007, le Maroc essaie de faire croire que la solution de l’autonomie serait plus réaliste et plus favorable à un règlement rapide de la solution au Sahara occidental, et cette solution de l’autonomie semblait au départ avoir retenu l’intérêt du Conseil de sécurité de l’ONU, de la France et des nombreux amis du Maroc.

Progressivement, face au refus du Front Polisario d’accepter une telle solution, le Conseil de sécurité, les Etats-Unis et la France se sont rendu compte que l’on ne pouvait pas faire fi du droit international. Ils portent désormais moins d’intérêt à la solution de l’autonomie et répètent maintenant régulièrement que la solution, c’est l’autodétermination.

Il faut rappeler que les Sahraouis ont été colonisés par l’Espagne [jusqu’en 1975] et n’ont jamais eu le droit de s’autodéterminer. Le Maroc a ensuite remplacé l’Espagne sans demander leur avis aux Sahraouis. En proposant la solution de l’autonomie, le Maroc propose en fait de gérer lui-même à l’intérieur du Maroc la question du Sahara, sans l’aide de l’ONU.

JOL Press : La condition des Sahraouis a-t-elle évolué depuis 1975 ?
 

R. Villemont : L’intérêt du roi du Maroc n’a pas changé depuis 38 ans. Mohammed VI vient d’ailleurs de réaffirmer sa volonté de rester au Sahara occidental, parce qu’il fait selon lui partie de l’intégrité territoriale du Maroc. Les choses évoluent cependant millimètre par millimètre : au départ, le Front Polisario n’avait pas de support international onusien. Il y a eu plusieurs étapes qui ont conforté petit à petit la position du Polisario au niveau international, même si les termes du conflit restent assez similaires, car le Maroc revendique toujours le Sahara occidental comme faisant partie de son territoire.

En 1975, quand l’armée marocaine a débarqué au Sahara occidental et que l’Espagne est partie, une partie des Sahraouis a quitté le territoire pour fuir en Algérie. Ceux qui restaient au Maroc rasaient les murs. Mais malgré tout, la permanence de la revendication à l’autodétermination est restée très forte, en particulier dans les familles qui avaient été militantes ou marquées par la disparition ou l’emprisonnement de leurs proches.

Cette persévérance-là, qui s’est maintenue pendant des années dans la clandestinité, s’exprime maintenant publiquement et se renforce depuis 2005 et surtout depuis 2010. C’est vraiment cela qui a changé, et ce sont ces nouvelles voix que Christopher Ross souhaite rencontrer.

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JOL Press : Quelle identité et quelle culture revendiquent les Sahraouis ?
 

R. Villemont : La revendication identitaire et culturelle sahraouie s’enracine dans deux logiques. Une logique traditionnelle, ancienne, une culture bédouine et désertique, qui leur interdisait en fin de compte toute installation sédentaire durable. Il s’agissait alors de nomades qui voyageaient en caravane, faisaient du commerce et assuraient le lien entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. C’est un peuple qui s’enracine donc dans une culture et une langue particulière, assez voisine de ce que l’on peut trouver dans certaines parties du désert algérien ou mauritanien, et qui politiquement n’a jamais fait allégeance au Sultan.

L’autre logique dans laquelle s’enracine cette revendication, c’est un aspect beaucoup plus moderne qui correspond pour le Sahara occidental à des frontières coloniales, puisque les Sahraouis ont été colonisés par l’Espagne : ils ont donc des frontières qui, en quelque sorte, ont stabilisé leur espace et créé une nation. Ce qui est très différent des Touaregs, beaucoup plus nombreux et qui n’ont pas eu de frontières coloniales au XIXème pour stabiliser une aire touarègue.

JOL Press : Retrouve-t-on chez les jeunes générations de Sahraouis cette même volonté d’indépendance et ces mêmes revendications ?
 

R. Villemont : Les enfants qui vivent dans les campements de cet Etat en exil de la République sahraouie sont bien sûr éduqués dans des écoles nourries au lait de la revendication de l’indépendance. Quand ces jeunes, qui vivent dans des camps installés depuis maintenant deux générations, grandissent et partent à l’étranger pour faire des études ou travailler, ils se retrouvent généralement entre eux et participent très souvent à des associations qui militent pour l’indépendance sahraouie – en Espagne par exemple.

Par ailleurs, dans les manifestations au Sahara occidental, on trouve principalement des jeunes : ce sont eux qui peuvent plus facilement échapper aux sévères contrôles et arrestations de la police marocaine…

JOL Press : L’inquiétude des autorités marocaines sur l’existence de « bastions » terroristes au Sahara occidental est-elle fondée ?
 

R. Villemont : C’est une inquiétude que l’on retrouve surtout dans la presse marocaine depuis le 11 septembre 2001. Certains Marocains ont essayé de faire passer le Polisario pour un allié d’al-Qaïda. La chute de Kadhafi et l’installation au Sahel et près du Sahara de groupes islamistes n’a évidemment pas arrangé les choses.

L’idée est née que des djihadistes avaient pénétré les camps du Polisario, et que les jeunes Sahraouis des camps de réfugiés, faute de perspectives et de solutions, partaient se mettre au service du djihad. Je crois que c’est plus de la propagande qu’autre chose.

Ce phénomène existe peut-être, mais de manière très individuelle. Le djihad peut en effet être tentant pour cette génération née après 1990 qui n’a pas fait la guerre, qui s’impatiente dans les camps et qui se lasse du pacifisme du Polisario. Cela peut en effet pousser certains jeunes à quitter les camps et à rejoindre ces réseaux djihadistes. Mais je crois que les parents de ces jeunes et le Polisario sont très attentifs à cela dans les camps.

JOL Press : Êtes-vous optimiste quant à l’avenir du Sahara occidental ?
 

R. Villemont : Depuis 3 ou 4 ans, compte tenu de la situation qui existe au Sahara occidental, le Polisario et les gens qui les soutiennent – que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe – plaident et organisent des mouvements pour que la mission MINURSO – destinée à partir de 1990 à organiser un référendum pour le Sahara occidental – dispose d’un mandat renouvelé et élargi qui lui permette de mieux protéger les Sahraouis.

Le Conseil de sécurité a ainsi approuvé à l’unanimité, en avril dernier, une résolution encourageant les parties « à poursuivre leurs efforts respectifs pour renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme au Sahara occidental » ainsi que les camps de réfugiés. Des ONG de défense des droits de l’homme accusent en effet régulièrement le Maroc de continuer à utiliser de violents moyens de répression contre les manifestants et opposants.

Par ailleurs, en mai dernier, il y a eu une grande manifestation de Sahraouis à Laâyoune avec des milliers de personnes, alors que les manifestations ne rassemblent généralement que 150 ou 200 personnes, par crainte de la répression policière.

Pourquoi y avait-il plus de monde que d’habitude ? Parce qu’il y avait à ce moment-là une délégation de journalistes américains présents dans la ville. Les autorités marocaines n’avaient donc pas vraiment intérêt à envoyer immédiatement la police sur place, et les Sahraouis sont donc sortis en masse dans les rues. Il y avait en quelque sorte une protection, par les médias, des Sahraouis.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Régine Villemont est la présidente de l’association des amis de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD) en France. Elle est également l’auteure d’Avec les Sahraouis, une histoire solidaire de 1975 à nos jours, L’Harmattan, 2009.

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