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Sécurité, économie: pourquoi Marseille est en crise

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Dimanche 13 octobre a lieu le premier tour des primaires citoyennes organisées par le parti socialiste à Marseille. En lice : Christophe Borgel, Marie-Arlette Carlotti, Eugène Caselli, Samia Ghali, Henri Jibrayel, Christophe Masse et Patrick Mennucci. Mais qu’auront-ils à proposer de différent pour sortir la cité phocéenne de la crise dans laquelle elle est plongée ? Eléments de réponse avec Michel Peraldi, co-auteur avec Michel Samson de Gouverner Marseille : enquête sur les mondes politiques marseillais (Editions La Découverte – 2005).

JOL Press : Comment décrire la situation aujourd’hui à Marseille ? Le quotidien des Marseillais est-il si violent que le disent les médias ?

Michel Peraldi : Sur la violence, je pense que les médias exagèrent un peu et font très rapidement des amalgames à partir d’éléments très complexes et très disparates. On ne peut pas nier la réalité, mais Marseille est un port et, comme tous les ports, la ville connaît une économie informelle de contrebande qui a toujours alimenté la ville. En cela Marseille se distingue des autres villes de France mais pas de Tanger, de Barcelone ou de Naples qui sont aussi des villes de transit. C’est une réalité historique qui est aussi vieille que la ville. Après, tout dépend de la manière dont les acteurs sociaux se greffent sur cette économie.

Quand circulent des voitures d’occasion, des produits de contrefaçon ou des vêtements entre le Maghreb et la France, ce n’est pas une économie qui intéresse les groupes informels. Quand circulent du shit, de la cocaïne, c’est autre chose.

JOL Press : Qu’est-ce qui a changé depuis ces dernières années ?

Michel Peraldi : Jusqu’aux années 90, Marseille était une plaque tournante et une place marchande pour des commerces transnationaux vers le Maghreb et l’Afrique qui était, certes informels, mais pas criminels. Aujourd’hui, l’informel a totalement disparu à Marseille, on ne voit plus que le criminel. Je ne peux pas dire si la violence a augmenté, mais j’en doute. Quand on voit les chiffres de la délinquance à Marseille, ils ne sont pas supérieurs à ceux d’autres régions, les causes sont peut-être différentes, c’est tout.

JOL Press : L’insécurité mise à part, quelle est la principale difficulté de la ville ?

Michel Peraldi : Je pense que Marseille vit une crise économique assez profonde depuis quasiment un siècle et jusqu’à présent on n’a pas vu se lever l’ombre d’un renouveau ou d’une perspective nouvelle pour cette ville. Marseille est enfoncée dans une sorte de léthargie économique qui a laissé une partie de la population sur le carreau. Aujourd’hui, dans certaines cités à Marseille, vous en êtes à la 3e génération de chômeurs.

JOL Press : Quelles solutions apporter pour sortir Marseille de cette crise ?

Michel Peraldi : Les solutions existent. Je pense notamment à la solidarité intercommunale, par exemple. Il y a, dans le département, des communes riches et des communes pauvres et la commune la plus pauvre des Bouches-du-Rhône, c’est Marseille. Pourquoi ne pas organiser des solidarités métropolitaines ? Cette question fait peur et dérange politiquement, mais tant que Marseille n’aura pas retrouvé de stature internationale, la solidarité intercommunale peut être une solution.

L’autre solution serait que Marseille reprenne en main son port qui est devenu rentier. Il faudrait reconstruire les logiques commerciales et industrielles. Or, à Marseille, on ne voit pas de grands chantiers autour du port. Il est donc difficile d’envisager de retour économique dans les dix ans qui viennent. Pour bien comprendre, il faut prendre l’exemple de Tanger : Tanger a complètement rénové son port et a relancé un certain nombre de filières industrielles, dont la filière automobile. Résultat, la ville est en train de prospérer et de se développer très rapidement.

JOL Press : Depuis les années 50, Marseille n’a connu que trois maires, comment l’expliquer ?

Michel Peraldi : Non seulement Marseille n’a connu que trois maires, depuis 1953, mais ces trois maires sortent tous du même système et de la même culture politiques : une sorte de socio-démocratie chrétienne qui n’a jamais existé en France, de façon institutionnelle, contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie. Aussi bien Robert-Paul Vigouroux, maire plutôt de gauche de 1986 à 1995, que Jean-Claude Gaudin (UMP), pratiquent la même politique.

Le changement est difficile à Marseille car cette situation satisfait les intérêts de classe de certains électeurs de la ville. Depuis que Marseille connaît la crise, la ville est dominée par une petite classe moyenne de fonctionnaires, d’employés de bureaux, de petits propriétaires qui se trouvent très bien dans ce mode de gouvernement et dans ce type de représentation.

JOL Press : Dans ce contexte peut-on imaginer que la mairie échappe à Jean-Claude Gaudin, en 2014 ?

Michel Peraldi : C’est terrible à dire mais les candidats à la primaire PS sont eux aussi sorti du même système et du même sérail. Aucun de ceux ou celles qui sont aujourd’hui candidats ne va révolutionner ce système marseillais. Même Samia Ghali, la plus jeune et la plus « nouvelle », a commencé à militer à 17 ans au Parti socialiste.

JOL Press : Un sondage Ifop pour le JDD le FN place en deuxième position derrière Jean-Claude Gaudin, maire UMP, avec 25 % des voix. A-t-il ses chances ?

Michel Peraldi : Les expériences de maires FN ou proches du FN à Marignane, Toulon ou Vitrolles ont été tellement catastrophiques, y compris au sein même du Front national, que le parti a du mal à s’en remettre. Je pense que le pouvoir fait beaucoup de mal au FN quand il le prend. Je ne suis pas convaincu qu’ils espèrent obtenir des municipalités, ils veulent surtout être présents politiquement. La seule chose dont je suis certain, c’est que le prochain maire de Marseille ressemblera beaucoup aux autres.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Michel Peraldi, anthropologue, directeur de recherches au CNRS (MMSH Aix-en-Provence), est notamment l’auteur de L’intelligence des banlieues (avec L. Mozère et H. Rey, CAube, 1999) et de Cabas et conteneurs. Activités marchandes informelles et réseaux migrants transfrontaliers (en collaboration, Maisonneuve et Larose, 2001).

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