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«Sex box»: quand la télé va trop loin dans l’exposition publique de l’intimité

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JOL Press : Pour justifier la diffusion de «Sex box», la chaîne britannique explique vouloir susciter une réflexion sur la sexualité. Ne va-t-on trop très loin dans le voyeurisme ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : Ce programme pourrait être une manière de moderniser la parole sur la sexualité, mais la justification marketing de l’émission est mal faite. Ce qui me dérange ici, c’est qu’il n’y a aucun anonymat. Imaginez la scène : les partenaires vont sortir de la fameuse « sex box » pour commenter leurs ébats devant des spécialistes…c’est quand même ridicule. Cette émission touche trop à l’intime sur le moment. Bien sûr qu’il est important de parler de sexualité mais pas de cette manière-là. Ici, c’est le côté expérimental qui est gênant. Cette émission dépasse les frontières que beaucoup de gens ne considèrent pas franchissable.  

JOL Press : Qu’est-ce que viennent chercher les spectateurs en regardant un tel programme ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : Les gens ne regardent pas ce programme pour avoir un autre regard sur la sexualité mais juste pour se moquer.  Il y a une forme de voyeurisme : on ne voit rien de l’acte en lui-même, mais cela n’empêche pas le téléspectateur d’avoir de l’imagination. Il s’agit d’un voyeurisme émotionnel, de sensation.

JOL Press : La chaîne se défend en expliquant vouloir sonder les Britanniques sur leur intimité sexuelle en brisant les tabous sur le sujet. Peut-on vraiment rester naturel et livrer un témoignage authentique devant les caméras, un public et un panel d’experts ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : C’est le grand problème de l’émission. L’argument éthique du programme n’est pas crédible ! Les couples participants ne seront pas les conditions de la vie quotidienne. Il n’y a rien de spontané. Et puis imaginez voir débarquer dans votre chambre un bataillon d’analystes vous questionnant sur vos sentiments et votre ressenti après l’acte sexuel ?

Ce concept me rappelle l’Ancien Régime : lorsque les femmes de la noblesse voulaient faire annuler leur mariage elles disaient que leurs maris étaient impuissants. Une sorte de collège de personnes assistait à l’acte, et dans 90% des cas, la femme avait gain de cause, car dans une telle situation le mari n’y arrivait pas…

JOL Press : La chaîne explique vouloir aborder la sexualité pour lutter contre la pornographie. N’est-ce pas un peu hypocrite pour justifier la diffusion d’un tel programme ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : La justification d’authenticité mise en avant par la chaîne pour lutter contre le porno ne tient pas la route. Il faut tout de même rappeler que Channel 4 n’en est pas à son coup d’essai avec les programmes chocs : il y a eu « Drugs Live » et « Sex Inspectors ». La chaîne britannique joue souvent sur l’argument de la provocation pour susciter un buzz, en se justifiant sur le partage d’expérience. Une fois d’accord, mais on ne peut pas jouer la carte éducative à chaque fois.

JOL Press : Y aurait-il eu une autre manière de vendre le concept de l’émission « Sex box » selon vous ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : La chaîne aurait dû assumer jusqu’au bout le côté provocation de l’émission. Elle aurait dû reconnaitre être allée un peu loin dans le but de moderniser la parole sur la sexualité et faire bouger les choses. Cela aurait plus crédible. 

JOL Press : Est-il possible d’aller plus loin dans l’exposition de l’intimité à la télé ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : Plus Loin ? Cela tournerait complètement au tournage pornographique ! Si on enlève la fameuse « boîte », si l’on rétablit le son et l’image, ce programme tombera  dans la pornographie. Je ne suis pas certaine que cela fonctionne, car il faudrait trouver un public, une chaîne prête à diffuser une telle émission et un créneau de diffusion…Il y a quand même des limites fondamentales qui sont posées par ce qu’on accepte de regarder ou pas. 

JOL Press : Le CSA permettrait-il une émission de la sorte en France ?
 

Nathalie Nadaud-Albertini : Non. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est très attentif au moindre gros mot, à la présence de cigarette, aux disputes un peu musclées, alors je ne pense pas qu’une émission choc comme « Sex Box » puisse voir le jour en France. Le CSA est extrêmement vigilant en ce qui concerne la télé réalité. Lorsque ce genre télévisuel est arrivé en France – il y a maintenant 12 ans avec Loft Story – cela a perturbé les normes avec lesquelles on pensait les programmes télévisuels. Il y a eu une inquiétude très forte : on a tout de suite imaginé le pire en pensant que l’on assisterait à des meurtres en direct…En tant qu’instance de régulation de l’audiovisuel en France, le CSA s’est donc penché avec fermeté sur la question.  

Il y a également une autre raison à cela : j’ai constaté que les téléspectateurs français il y a eu une sorte de traumatisme de la figure du fan telle qu’elle a été décrite par les critiques du Loft : un être qui confond la réalité et la fiction, esclave de ses pulsions, un voyeur, un sadique…On a dépeint un tel portrait que plus personne ne veut se voir sous ces traits. Dès qu’un programme laisse penser au spectateur qu’il pourrait se rapprocher de cette figure repoussoire, il refuse de regarder l’émission, comme cela été le cas pour « Fear Factor » ou le « Royaume ».   

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