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«Tour Paris 13»: un immeuble dédié au street art éphémère

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JOL Press : Comment vous est venue l’idée d’une tour dédiée au street art dans le 13e arrondissement de Paris?  

Mehdi Ben Cheikh : Je tiens la galerie Galerie Itinerrance, spécialisée dans le street art depuis 2004. Depuis quelques années, avec le maire du 13e arrondissement, j’organise des grands murs peints : de grosses fresques qui font entre 15 mètres et 50 mètres de hauteur, sortes de galeries à ciel ouvert. Je me charge de les rassembler afin de constituer un parcours. Cela m’a donné l’occasion de connaître les bailleurs sociaux du 13e à qui j’ai demandé si un immeuble était voué à la destruction dans les alentours. L’idée était d’abord de peindre la façade de cette tour, un projet impossible sur un immeuble habité. Au total, les 105 artistes se partagent 33 appartements. Chaque artiste a au moins une pièce entière. Je voulais qu’il y ait une perte de repères pour le visiteur et qu’il soit plongé dans le monde de l’artiste. 

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JOL Press : Comment avez-vous rassemblé les 105 artistes présents dans la Tour Paris 13 ?

Mehdi Ben Cheikh : Je connais ces artistes depuis des années, je suis leur travail de près. Chaque région du monde possède sa sphère artistique. Dans ce projet, je ne voulais pas me limiter à la scène parisienne, mais montrer ce qu’il se passe ailleurs. Au total, 105 artistes issus de 18 nationalités travaillent à l’intérieur de l’immeuble. Chaque artiste a sa propre sensibilité, sa propre culture, sa propre vision des choses.  

JOL Press : Est-ce qu’on peut vraiment parler de street art dans le cas de la Tour Paris 13, puisque les artistes exposent non pas dans la rue, mais dans un immeuble ?

Mehdi Ben Cheikh : Bien sûr. Le street art ne se développe pas uniquement dans la rue mais aussi dans les friches, dans les usines désaffectées ou encore sur les terrains de zones industrielles. A partir du moment où les artistes interviennent directement sur les murs, sans but commercial derrière le projet, c’est du street art. A partir du moment où on s’accapare un morceau de l’urbain, c’est du street art. Peu importe le médium, qu’ils s’agissent de graffitis, d’installation de lumière ou de peinture.<!–jolstore–> 

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JOL Press : Etait-ce important qu’il s’agisse d’un lieu éphémère pour ce projet de street art?

Mehdi Ben Cheikh : Evidemment ! Le bâtiment sera détruit dans un mois. Cette date butoire donne beaucoup plus de valeur aux œuvres des artistes. Il y aura un film, un livre sur le projet. Nous voulons faire de la disparition de l’immeuble une performance à part entière : nous avons d’ailleurs mis en relation un réalisateur et l’entreprise de destruction pour qu’il y ait un scenario autour de la destruction du bâtiment. Nous allons grignoter petit à petit l’extérieur du bâtiment et l’intérieur apparaîtrera au fur et à mesure. Nous allons aussi essayer d’installer des caméras à l’intérieur des appartements lors de la destruction. Si l’on trouve les fonds nécessaires, nous aimerions retransmettre la destruction de la tour en direct pour que le monde entier assiste à l’événement. Cela devient un événement, une performance à part entière, à l’image de Jean-Pierre Raynaud qui a détruit sa propre œuvre.

JOL Press: Que restera-t-il de la Tour Paris 13 après sa destruction ?

Mehdi Ben Cheikh : Il y aura donc ce fameux film, les photos des visiteurs, et puis un livre. J’espère que d’autres reprendront le concept à Paris, mais aussi ailleurs dans le monde : c’est une autre manière d’exposer du street art sans dénaturer le mouvement. 

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JOL Press : Quelle est la place du street art en France aujourd’hui ?

Mehdi Ben Cheikh : Paris est l’une des places les plus importantes du street art au monde. Paris a été la capitale de l’art jusqu’en 1940, attirant de grands noms tels que Miro, Picasso… A cause du nazisme, les artistes ont fui et ont donné des cours à de jeunes étudiants qui ont, à leur tour, donné naissance à la nouvelle Abstraction américaine avec Andy Wharol, Jackson Pollock pour ne citer qu’eux… C’est ensuite New York qui est devenue la nouvelle capitale de l’art.

Depuis plusieurs années, quelques galeristes et des maisons de ventes aux enchères travaillent pour développer le street art à Paris, attirant ainsi les grands noms de l’art de rue new yorkais. Il a fallu que ces artistes viennent à Paris pour qu’ils puissent vivre de leur art. Paris, reprend, petit à petit, sa place au niveau du marché. La Ville Lumière est aujourd’hui en train de reprendre le flambeau. Nous essayons de retirer de la tête des gens le «  Paris figé » des musées, et de créer un Paris dynamique en développant les fresques murales dans le 13e arrondissement, avec ce projet de la Tour Paris 13. On peut imaginer que ce quartier devienne le Montmartre ou le Montparnasse du début du siècle dernier. 

JOL Press : Comme ce qu’il s’est passé à Tottenham avec la célèbre fresque « No Ball Game » de Banksy, peut-on imaginer que des sociétés s’accaparent les œuvres de street art en France ?

Mehdi Ben Cheikh : C’est difficilement envisageable : il s’agit de murs d’HLM de 50 mètres de haut… Il n’est pas question de récupération. Les œuvres sont tellement monumentales qu’elles ne peuvent pas être récupérées. S’approprier un œuvre de rue va à l’encontre de la démarche du street art qui est un art ouvert à tous et gratuit. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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