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Travail du dimanche: la France est-elle prête à faire évoluer la législation?

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En 2012, selon l’Insee, un actif sur trois travaillait le dimanche, de façon habituelle ou occasionnelle. Les commerçants sont surreprésentés. Ils sont 41 % à travailler le dimanche, contre 32 % pour l’ensemble des actifs. Mais peut-on faire évoluer la législation sans généraliser le travail du dimanche ? Eléments de réponse avec Olivier Babeau, économiste et auteur de 80 questions sur… le travail du dimanche (Editions Eska – mai 2013). Entretien.

JOL Press : Est-ce au législateur de répondre à la demande des entreprises de travailler le dimanche ?
 

Olivier Babeau : Le législateur fixe les limites du travail le dimanche, c’est lui qui a fixé ce cadre, depuis 1906, où le principe du repos dominical est posé. C’est donc à lui de lever, éventuellement, les limites de la grande complexité règlementaire que lui-même a créé. Aujourd’hui les syndicats n’ont besoin que de faire un rappel à la loi pour se faire entendre, car les entreprises, dans beaucoup de secteurs – notamment le bricolage – contrevenaient à la loi.

JOL Press : Ce problème n’est-il donc pas législatif avant d’être politique ?
 

Olivier Babeau : On a, en effet, compté jusqu’à 180 dérogations au principe du travail dominical. L’ensemble de lois qui l’encadre est donc devenu très complexe. Mais la loi n’est pas le seul problème, derrière, il y a, malgré tout, un choix de société, puisque l’argument des syndicats est la banalisation du travail le dimanche. A l’opposé, vous avez des gens qui vous expliquent que l’ouverture du travail du dimanche représente un fort intérêt économique. C’est un sujet très idéologique.

JOL Press : Avez-vous des exemples de dérogations qui ne sont plus aujourd’hui cohérentes ?
 

Olivier Babeau : Les magasins de bricolage n’ont pas le droit d’ouvrir le dimanche alors que les magasins d’ameublement et de jardinerie le peuvent. Or ces magasins vendent à 50 % la même chose. Autre exemple : on peut acheter un meuble le dimanche, mais on ne peut pas acheter le tournevis pour le monter. Je pense que c’est l’incohérence la plus flagrante parce qu’elle pose en plus un problème de concurrence.

S’ajoutent à cela les législations par zones : d’un côté de la rue vous pouvez ouvrir et de l’autre vous ne pouvez pas. Ces législations sont toujours arbitraires, insatisfaisantes et entraînent immanquablement d’énormes contentieux, désaccords et injustices. C’est pour cette raison que Bricorama a obtenu en justice que Castorama et Leroy Merlin subissent le même sort que lui.

JOL Press : Comment, selon vous, pourrait-on régler cette affaire sans faire du dimanche un jour de travail ordinaire ?
 

Olivier Babeau : Je pense que tous les secteurs n’ont pas vocation à être concernés par le travail du dimanche. Regardez à l’étranger, très peu de pays dans le monde ont des législations très fortes sur le repos dominical. La France est une exception avec l’Allemagne et l’Autriche. Aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie, les employés ne sont pas pour autant privés de week-end le samedi et le dimanche.

[image:2,s]En réalité, il n’y a qu’un certain type d’activités qui a vocation à ouvrir le dimanche. Ce sont les activités plutôt commerciales. Cela paraît totalement naturel, au Canada, de faire ses courses le dimanche et le dimanche n’est pas banalisé pour autant. La banalisation du travail du dimanche est, à mon sens, un peu trop fantasmée.

Si un magasin ouvre le dimanche, c’est parce qu’il y trouve un intérêt économique. En province, par exemple, la plupart du temps, la question de l’ouverture le dimanche ne se pose pas parce que les gens n’auraient pas l’idée d’aller faire les courses le dimanche, mais en région parisienne, les temps de transports sont beaucoup plus longs, donc on préfère faire ses achats le week-end.

Certains magasins en province ferment entre midi et deux car la demande n’est pas la même. C’est-à-dire que si demain, le législateur autorisait tous les commerces à ouvrir le dimanche, cette pratique ne se généraliserait pas.

Par ailleurs, précisons que l’on parle d’ouverture le dimanche, mais c’est le travail du dimanche qui est interdit : vous avez le droit d’ouvrir mais vous n’avez pas le droit de faire travailler des salariés le dimanche.

JOL Press : Mais ce qui est logique et justifiable d’un point de vue économique l’est-il obligatoirement d’un point de vue social ?
 

Olivier Babeau : L’argument fort des opposants au travail le dimanche c’est de dire que cela pourrait entraver la vie de famille. Mais des millions de gens travaillent déjà le dimanche, dans le domaine de la santé, de la sécurité, de la police ou de la restauration. Dire que ces gens n’arrivent pas à avoir une vie de famille, c’est insultant pour eux. Dire qu’il n’y aurait que la France, l’Autriche et l’Allemagne qui auraient réussi à préserver la vie de famille, ce serait un peu réducteur. La réalité, c’est que les employés qui travaillent le dimanche arrivent parfaitement à s’arranger.

On confond trop souvent le travail dominical avec l’absence de repos hebdomadaire. La vraie question du travail dominical est la suivante : est-ce nécessaire au XXIe siècle d’avoir un moment collectif où on va arrêter de travailler ? Ce repos dominical répondait à une nécessité religieuse autrefois, puisqu’il fallait que toute la paroisse soit présente à la messe. Aujourd’hui, les rythmes sont de plus en plus discontinus et personnels. Toute cette affaire me semble un peu un combat d’arrière-garde.

JOL Press : La France est-elle prête à une réforme du code du travail d’une telle ampleur ?
 

Olivier Babeau : Je ne pense pas que la France soit prête à une libéralisation du travail du dimanche, je pense, en revanche, que nos dirigeants, depuis quelques heures, sont prêts à faire évoluer, dans quelques secteurs comme le tourisme et le bricolage, la législation. Rappelons que les Galeries Lafayette et le Printemps ne peuvent toujours pas ouvrir, car le boulevard Haussmann n’est pas considéré comme une zone touristique alors que 50 % de leurs clients sont des étrangers, dont 20 % de Chinois.

A l’heure où l’on cherche à lutter coûte que coûte contre le chômage, c’est incroyable que l’on ne parvienne pas à s’accorder là-dessus. Dans le cas des Galeries Lafayette et du Printemps, si demain ils ouvrent le dimanche, 1 000 emplois seraient créés.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Olivier Babeau est professeur de stratégie d’entreprise à l’université Paris VIII – UFR économie de gestion, membre du comité exécutif de TV Droit des Affaires & Management et consultant en stratégie. Il est également l’auteur ou le coauteur de plusieurs ouvrages, dont Jean Zay (éd. Ramsay, 2006), La transgression ordinaire (Eska, 2011), Devenez stratège de votre vie (éd. JC Lattès, septembre 2012).

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