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Vers l’abolition universelle de la peine de mort?

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En France, la peine de mort a été abolie par la loi du 9 octobre 1981. Il s’agissait d’un engagement politique de François Mitterrand, mis en œuvre par Robert Badinter, ministre de la Justice. En 2007, la prohibition de la peine capitale est devenue en France une norme de droit international (ratification du deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, protocole visant à l’abolition de la peine de mort adopté en 1989) et une norme de droit constitutionnel (article 66-1 de la constitution).

140 Etats ne pratiquent plus la peine de mort

Cette journée mondiale pour l’abolition donne l’occasion de se pencher sur la situation actuelle des exécutions dans le monde. Parmi les 193 Etats membres des Nations Unies, une très large majorité d’entre eux a aboli la peine de mort. Au moins 140 Etats ne la pratiquent plus. On distingue les Etats de jure abolitionnistes (par l’effet de la loi) et les Etats de facto abolitionnistes (par l’effet de la pratique). Il est estimé que si un moratoire a duré plus de dix ans, l’abolition est intervenue de facto.

A ce jour, 99 Etats ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. 8 autres Etats l’ont aboli pour les crimes de droit commun, en conservant la peine de mort pour des crimes portant atteinte à l’Etat. En 2012, la Mongolie et le Bénin ont rejoint ce groupe d’Etats, en abolissant la peine de mort. 33 autres Etats respectent un moratoire sur les exécutions. Ce qui porte à un total de 140 les Etats dans le monde ayant aboli cette peine de jure ou de facto.

Quelle est la situation actuelle continent par continent ? Plus aucune exécution n’a été relevée sur le territoire des Etats membres du Conseil de l’Europe depuis 1997 (47 Etats membres). En Europe, la Biélorussie, dernier bastion à exécuter des condamnés à mort, concentre les critiques. L’Amérique du Sud et l’Océanie ne comptent plus d’Etats pratiquant la peine de mort. En Amérique du Nord et centrale, hormis les Etats-Unis, le Belize et le Guyana, tous les Etats font partie du camp abolitionniste.

C’est en Asie et en Afrique que l’on trouve la majorité des Etats pratiquant encore la peine capitale

A ce jour, la peine de mort reste appliquée dans un peu plus d’un cinquantaine d’Etats. Parmi ceux-ci, les Etats les plus connus – parce qu’ils exécutent massivement – sont la Chine, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran. Difficile de faire des catégories parmi ces Etats qui estiment que la peine de mort est nécessaire en raison de son supposé pouvoir dissuasif et d’une criminalité considérée comme trop importante. On relève aussi la présence d’un certain nombre d’Etats musulmans : l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Egypte, l’Indonésie, l’Iraq, le Koweït, la Libye, la Malaisie, le Pakistan, le Qatar, la Syrie, le Soudan, le Yémen. Sans doute parce que certaines interprétations de la charia autorisent la peine de mort.

On relève aussi la présence d’un certain nombre d’Etats des Caraïbes : Barbade, Belize, Grenade, Guyana, Jamaïque, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Trinité-et-Tobago. Sans doute parce que le trafic de stupéfiants et la délinquance chronique y semblent des fléaux à combattre à tout prix. On remarquera aussi la présence importante des Etats d’Afrique (Botswana, Egypte, Éthiopie, Gambie, Guinée équatoriale, Libye, Nigeria, Ouganda, Soudan, et Zimbabwe) et d’Asie (l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Inde, l’Indonésie, l’Iraq, le Japon, le Koweït, la Malaisie, le Pakistan, le Qatar, la Syrie, le Yémen) qui refusent l’abolition. En 2012, une trentaine de ces Etats a exécuté des condamnés.

Entre l’abolition, le moratoire ou quelques rares exécutions, un certain nombre d’Etats semblent hésiter : le Bengladesh (quelques exécutions en 2008 et rien depuis), la Gambie, l’Inde (quatre exécutions seulement depuis 1995), l’Indonésie (une exécution en 2013 après cinq années sans), le Qatar (pas d’exécution depuis 2003), le Koweït (cinq exécutions en 2013 après cinq années sans), le Pakistan (quelques exécutions en 2008 et rien depuis), le Nigéria, la Thaïlande (deux exécutions en 2009 et rien depuis).

L’abolition sera universelle : ce n’est qu’une question de temps

Toutefois, la tendance abolitionniste ne se dément pas depuis la Seconde Guerre mondiale. Les progrès sont visibles sur l’ensemble des continents. Cette tendance se poursuit actuellement : au cours des 20 dernières années, 50 Etats sont devenus abolitionnistes en droit. L’abolition sera universelle : ce n’est qu’une question de temps. Certains Etats sont certes plus suiveurs que leaders. Cependant, comme le mouvement en faveur de l’abolition est mondial et aussi régional, les Etats qui pratiquent l’abolition auront de plus en plus de mal à justifier leur position et leur isolement.

Même dans les Etats qui n’ont pas aboli la peine de mort, le nombre d’exécutions (environ 700 exécutions en 2012 d’après Amnesty International, le même nombre qu’en 2011) est en voie de réduction. Il existe bien une baisse tendancielle du nombre de condamnations ainsi que des exécutions dans le monde.

Même l’Asie, dont on disait qu’elle résisterait au changement, a connu une évolution importante. Sont ainsi devenus abolitionnistes de plein droit le Cambodge (depuis 1989), le Népal (depuis 1997), l’Azerbaïdjan (depuis 1998), le Turkménistan (depuis 1999), le Timor-Leste (depuis 2002), la Turquie (depuis 2004), le Bhoutan (depuis 2004), les Philippines (depuis 2006), le Kirghizistan (depuis 2007), l’Ouzbékistan (depuis 2008) et la Mongolie (depuis 2012). D’autres Etats asiatiques pratiquent un moratoire : Brunei (depuis 1984), le Laos (depuis 1989), la Birmanie (depuis 1993), la Corée du Sud (depuis 1997), Oman (depuis 2001), le Kazakhstan (depuis 2003), le Tadjikistan (depuis 2004). Ils ont rejoint les Maldives (depuis 1965) et le Sri Lanka (depuis 19­76). Au Vietnam, en Chine, à Singapour, en Indonésie et en Malaisie, où l’on continue à exécuter, le nombre d’exécutions est plutôt en baisse.

La tendance à l’abolition se retrouve dans les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU). A ainsi été adoptée le 18 décembre 2008 par l’AGNU une résolution pour un moratoire sur la peine de mort en vue de son abolition universelle. Cette résolution a été adoptée à nouveau le 21 décembre 2010, puis le 20 décembre 2012. Ce dernier texte a été présenté par 90 Etats de l’ensemble des continents, dont la France et ses partenaires européens. Il a été adopté à une très large majorité de 109 Etats membres, jamais atteinte auparavant. La République centrafricaine, le Niger, le Soudan du Sud et la Tunisie ont rejoint la majorité des États appelant à la mise en place d’un moratoire. Cela confirme le renforcement de la mobilisation internationale et la tendance mondiale en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort.

Le courage politique reste un élément déterminant

Pour les Etats qui pratiquent encore la peine de mort, le Conseil économique et social de l’ONU a adopté une Résolution (1984/50) le 25 mai 1984 dressant une liste (complétée en 1989) de garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort : peine limitée à des infractions très graves, droit à un procès équitable, culpabilité reposant sur des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits, droit d’appel, droit à l’examen d’une demande de grâce, interdiction de l’exécution des mineurs et des femmes enceintes etc. Les Etats sont invités à incorporer ces éléments dans leur législation nationale. Le respect de ces garanties contribue à réduire le nombre de personnes condamnées à mort et le nombre de personnes exécutées.

Il convient néanmoins de rappeler que les résolutions de l’AGNU appelant à l’abolition de la peine de mort, tout comme les résolutions du Conseil économique et social de l’ONU, ne sont pas contraignantes en droit international pour les Etats.

En réalité, pour que la peine capitale soit abolie dans un Etat, il faut que les conditions politiques soient réunies. La communauté internationale, les pouvoirs publics, la population civile et les élites d’un pays peuvent contribuer à créer les conditions facilitant cette abolition. Mais c’est bien sûr toujours les responsables politiques qui ont le dernier mot et font basculer les choses dans un sens ou dans l’autre. L’exemple français, avec le rôle majeur joué par François Mitterrand et Robert Badinter, alors que l’opinion publique était hostile à l’abolition, montre bien que le courage politique reste un élément déterminant.

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