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A quoi ressemble la «Big Apple» que Bloomberg laisse aux New-Yorkais?

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JOL Press : Quel héritage a laissé Michael Bloomberg à New-York ?

 

Côme Pérotin: En ce qui concerne l’héritage (legacy) de Bloomberg, le point essentiel de compréhension, je pense, c’est son indépendance. Il a massivement financé ses campagnes électorales et même soutenu certains de ses projets de santé public par l’intermédiaire de ses fondations. Il s’est affranchi des intérêts particuliers de la ville : les grands groupes privés, le Parti démocrate et les syndicats publics et privés puissants dans la ville. C’était bien dans certains cas : lutte contre la cigarette, les sodas et les armes, mais problématique quand ces projets ou décisions entrainaient une forte opposition chez les habitants (Atlantic Yards, stop & frisk, etc.).

Ensuite, ce milliardaire et ingénieur de formation a dirigé la ville comme une multinationale avec l’utilisation massive d’outils statistiques pour gérer la ville et ses différents départements. Du stop-and-frisk à la réforme du système scolaire, c’était les résultats chiffrés qui prévalaient. Le bilan est, semble-il, plutôt positif sur ce point. En terme idéologique, il a suivi une approche néolibérale, favorable à Wall Street, au redéveloppement urbain et au développement du tourisme. A ce titre, Son deputy mayor for economic development Daniel Doctoroff de 2002 à 2007 était auparavant le président de NYC2012 qui dirigeait depuis 1994 la campagne de la ville pour organiser les J.O. en 2012. Beaucoup des projets de réaménagement urbain ont tourné autour de cette candidature et deviendront l’ossature de PlaNYC. Il est un peu trop tôt pour faire un bilan sur ce point mais beaucoup des projets ont été contestés.

JOL Press : Quels sont les grands défis qui attendent le successeur de Bloomberg ?
 

Côme Pérotin: Il me semble que les habitants de la ville, et dans une mesure différente les électeurs de la primaire démocrate, sont assez justes et ont un sentiment mitigé de la période Bloomberg. Ils ont l’impression que la progression positive de la ville s’est accompagnée d’un développement des inégalités. Ils veulent donc corriger le tir avec un candidat plus libérale – au sens américain – et tourné vers les questions sociales. Le successeur de Bloomberg devra répondre à ces attentes tout en contrôlant le budget de la ville, gigantesque comparé à d’autres villes comme Chicago ou L.A..

Ensuite pour comprendre la dynamique de l’élection et l’état d’esprit des électeurs, il faut aussi rappeler le monopole du Parti démocrate sur la ville politique de la ville. Presque tous les élus -municipaux, de l’Etat et fédéraux – sont démocrates sauf le maire depuis 1993. L’élection de deux maires républicains Giuliani et Bloomberg était une sorte d’anomalie. La campagne de John Lhota, un ancien chef de cabinet de Giuliani, a été trop proche de cet héritage pour qu’elle puisse se révéler fructueuse.

De Blasio, à l’inverse, a fait une très bonne campagne pour répondre à ces attentes durant la primaire, et a joué low profile pendant la campagne des élections générales. Des quatre principaux candidats de la primaire, Quinn, De Blasio, Thompson et Liu, il était plus considéré comme le plus progressive derrière Liu. Il avait aussi son expérience de Public Advocate,  et il a su utiliser le profil cosmopolite de son ménage.

En revanche, si Blasio est élu, il aura finalement peu de marges de manœuvres. Contrairement à Bloomberg, il ne sera indépendant d’aucun des acteurs majeurs de la gouvernance de la ville : groupes privés, syndicats et Parti démocrate. S’il réussit mal son premier mandat, il pourrait perdre sa réélection, à l’image d’un autre candidat pour qui il a travaillé David Dinkins.

JOL Press : Joe Lenski, co-fondateur de la compagnie de sondage Edison Research, a expliqué au New York Daily News qu’il avait l’impression que cette élection ressemblait à une «  élection post-raciale ». Bill de Blasio incarne-t-il le melting-pot de la ville de New York ?
 

Côme Pérotin: Cette élection a été moins ethno-raciale que d’habitude. Mais je pense pas la dynamique ethno-raciale des élections primaires – et générales – s’achève pour autant. Pour cette élection, il n’y avait pas de candidat hispanique et le candidat afro-américain avait un rapport ambivalent avec la communauté noire de la ville. A l’inverse Bill de Blasio a toujours été proche de la communauté afro-américaine et il a su se démarquer sur le stop&frisk, et par son identité familiale, face à Bill Thompson.

JOL Press : Dans une ville militante telle que New York, l’élection municipale mobilise-t-elle les habitants ?
 

Côme Pérotin: L’élection primaire, qui était assez ouverte en l’absence de candidat républicain viable cette année, a mobilisé un peu moins d’électeurs que celle de 2001 – post-Giuliani – et plus que celle de 2005 – mi- Bloomberg. L’élection générale en revanche ne devrait pas mobiliser autant d’électeurs étant donné qu’elle semble moins compétitive. Le candidat démocrate est largement favori.

JOL Press : New York a longtemps été synonyme d’El Dorado, une ville où tout est possible, dans l’imaginaire collectif. Après plusieurs évènements sombres, est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
 

Côme Pérotin: Oui c’est bien sur toujours le cas et c’est aussi l’enjeu de l’élection. Comment permettre aux immigrants d’intégrer la classe moyenne de la ville et de vivre dans une ville de plus en plus chère.

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