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Accident nucléaire, qui est responsable?

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L’approche adoptée dans Nucléaire On/Off – Analyse économique d’un pari est non partisane : ni nucléariste, ni écologiste. Le seul parti est d’étudier et de comprendre en détail l’économie de l’énergie nucléaire à l’échelle de la planète : les coûts, les risques, les mesures de sûreté, les décisions politiques et les règles de gouvernance internationale de l’atome.

Cet examen met en cause de nombreuses fausses certitudes : croire qu’il existe un vrai coût du nucléaire, élevé ou bas ; que le risque d’un nouvel accident majeur dans le monde est certain ou, à l’opposé, impossible en Europe ; que la régulation de la sûreté est parfaite en France ou inféodée au lobby nucléaire, etc. Les nombreuses questions sur l’énergie nucléaire doivent être tranchées en incertitude, ce qui exige de la cerner avec précision.

Si ce livre montre comment les débats sur le nucléaire peuvent être éclairés par l’évaluation coût-bénéfice, par l’analyse probabiliste, par la théorie de l’électeur médian et la notion de bien collectif, il affirme aussi, on ne peut plus nettement, que le nucléaire reste un pari.

Extraits de Nucléaire On/Off – Analyse économique d’un paride François Lévêque, (Dunod – novembre 2013)

Dans les faits, la responsabilité civile des électriciens nucléaires est en général plafonnée. Les montants sont le plus souvent modestes en regard du coût d’un accident majeur. En France, par exemple, la responsabilité d’EDF est aujourd’hui engagée à hauteur de seulement 91,5 millions d’euros. Au Royaume-Uni, le plafond est de 140 millions de livres. La responsabilité illimitée reste une exception. En Europe, elle n’est en vigueur que dans quatre États membres. Mais trois d’entre eux, Autriche, Irlande, Luxembourg, n’hébergent pas de centrales nucléaires. Seuls les opérateurs allemands sont soumis à l’obligation légale de rembourser les victimes d’un accident quel que soit le niveau des dommages.

La responsabilité limitée à un faible montant est pour une large part un héritage du passé. Elle ne peut se comprendre qu’à la lumière des autres caractéristiques de ce régime, très particulier en comparaison d’autres secteurs. En cas d’accident, la responsabilité de l’opérateur de la centrale nucléaire est engagée quel qu’ait été son comportement. Il est responsable même s’il n’a commis aucune négligence, même si par exemple il a respecté toutes les exigences réglementaires. Dans ce régime de responsabilité dit strict, la preuve d’une faute n’a pas à être apportée. De plus, la responsabilité des opérateurs est exclusive : le dommage causé par la négligence d’un fournisseur présent sur le site ou par une erreur de conception d’un équipementier devra être compensé par l’électricien.

[image:2,s]La responsabilité de l’accident peut être partagée dans les faits, mais seul l’opérateur est juridiquement responsable. Ces deux caractéristiques, peu courantes dans l’industrie, renforcent les incitations des exploitants à assurer la sûreté et augmentent leurs dépenses. Elles ont également pour conséquence de compenser plus rapidement et pleinement les victimes5. C’était d’ailleurs l’objectif poursuivi par les premiers législateurs du droit nucléaire, lorsque ces conditions ont été imposées aux exploitants dans les années 1960. Mais, en guise de contrepartie, les opérateurs ont obtenu que leur responsabilité soit limitée. Ils ont aussi fait valoir que l’obligation d’assurance, associée à la responsabilité, était de toute façon plafonnée par l’incapacité des assureurs de l’époque à offrir une large couverture. En termes économiques, le dispositif historique ainsi négocié augmente les incitations d’un côté − avec la responsabilité stricte et exclusive −, et les diminue de l’autre à cause du plafond de responsabilité.

Le souhait des gouvernements d’aider au développement de l’industrie nucléaire n’est évidemment pas non plus étranger à l’instauration d’une limite de responsabilité. Les premières réflexions sur la législation nucléaire américaine6, à la fin des années 1950, insistent sur l’intérêt national vital du développement de l’énergie nucléaire ainsi que sur la nécessité de protéger l’industrie contre des demandes d’indemnisation inconnues. En Europe, la Convention de Paris de 1960 qui fixe les premières règles internationales de responsabilité civile nucléaire souligne dans son exposé des motifs que : « La responsabilité illimitée pourrait facilement entraîner la ruine de l’exploitant ».

Aujourd’hui, l’industrie nucléaire n’est plus dans son enfance. L’assurance du risque nucléaire non plus. Il est temps de relever les plafonds de responsabilité civile, voire d’imposer la responsabilité illimitée. Le mouvement est d’ailleurs enclenché. Le gouvernement du Royaume-Uni propose, par exemple, de relever la limite de responsabilité de l’opérateur à 1,2 milliard de livres sterling, soit plus de huit fois le montant d’aujourd’hui. La France, de son côté, devrait dans les prochaines années fixer un nouveau plafond à 700 millions d’euros, soit plus de sept fois, le niveau actuel. Le plus élevé des plafonds est imposé à l’ensemble des électriciens américains. La loi Price-Anderson de 1957, régulièrement amendée, l’a fixé à 12,6 milliards de dollars. Ce montant comprend la responsabilité financière de l’opérateur pour ses propres centrales (375 millions de dollars par site), qui doit être couverte auprès d’un pool d’assurances privé. Trait unique au monde, si le dommage dépasse cette somme, les autres opérateurs doivent mettre la main à la poche.

Comme nous l’avons déjà mentionné, chaque opérateur américain est en effet solidairement responsable en cas d’accident sur n’importe quel réacteur du parc. Cette responsabilité prend la forme d’un versement postérieur à l’accident qui peut aller jusqu’à 117,5 millions de dollars par réacteur en propriété. Comme 104 centrales nucléaires sont exploitées, ce mécanisme collectif permet de dédommager les tiers à hauteur de 12,2 milliards de dollars.

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François Lévêque – Professeur d’économie à l’Ecole des Mines de Paris, spécialisé en économie industrielle et de l’énergie. Il a également enseigné l’économie de l’environnement à l’EHESS et l’économie de la concurrence à Berkeley. Il est l’auteur de deux manuels d’économie parus dans la collection Repères, La Découverte, Economie de la réglementation (1998), Economie de la propriété intellectuelle (2003). Il est éditeur de energypolicyblog.com

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