Assiste-t-on à un « retour du racisme en France » ? Le débat a été rouvert suite à la tribune écrite par le journaliste Harry Roselmack dans Le Monde mardi 5 novembre. « Me voilà ramené à ma condition de nègre. Me voilà attablé avec d’autres Noirs parce qu’ils sont noirs. Et me voilà en train de m’offusquer d’une idiotie qui ne m’atteignait guère : le racisme », s’indigne-t-il. Un article qui fait écho aux injures dont a été victime la garde des Sceaux Christiane Taubira – comparée plusieurs fois à une guenon – ces dernières semaines. La ministre s’est récemment inquiétée « des inhibitions qui disparaissent, des digues qui tombent » dans la parole publique.
Quelles sont les raisons et les manifestations concrètes de cette mise en cause ? La France est-elle réellement plus raciste qu’hier ? Elements de réponse avec Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
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JOL Press : Assiste-t-on aujourd’hui à « un retour du racisme en France » comme l’a dénoncé Harry Roselmack dans une tribune du quotidien Le Monde ?
Christine Lazerges : Lorsque l’on étudie le phénomène dans la durée, on se rend compte que la société est bien plus tolérante aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans. En revanche, nous assistons depuis trois ou quatre ans à un pic d’intolérance inquiétant couplé d’un nombre croissant d’actes et injures à caractère raciste, antisémite et xénophobe recensés par les services de police et de gendarmerie.
La CNCDH dénonce cette tendance depuis 2009 et nos analyses mettent en avant plusieurs hypothèses. On peut très nettement invoquer ici la crise économique d’une grande violence qui entraine un repli sur soi et rend les Français plus sensibles aux discours de haine jouant sur la xénophobie et le racisme. On peut notamment évoquer le discours politique clairement décomplexé depuis plusieurs années, ou même ces derniers mois.
JOL Press : Qui sont les principales victimes du racisme aujourd’hui ?
Christine Lazerges : La figure de l’étranger en général est devenue la cible favorite des discours de haine courants, c’est évident. Nous constatons cependant que certaines communautés sont les victimes privilégiées de l’intolérance. Nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises, les populations Roms présentes en France ont fait l’objet d’un défoulement public massif sur les réseaux sociaux notamment, mais également au plus haut niveau de l’Etat. Ils sont désormais un bouc-émissaire facile et il n’est pas rare désormais d’entendre à leur égard des propos particulièrement durs dans toutes les couches de la population.
JOL Press : Sous quelles formes se manifeste la xénophobie aujourd’hui ? Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur ces nouvelles formes ?
Christine Lazerges : La nature de la xénophobie n’a pas réellement changé. Ce qui a en revanche beaucoup évolué, ce sont les canaux de diffusion d’idées et propos xénophobes ou racistes. Autrefois, si on tenait des propos xénophobes avec des amis, il y avait peu d’incidence sur l’opinion publique.
Aujourd’hui, Internet, les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook sont de véritables outils de propagations des idées. Ces médias sont une aubaine pour la circulation des informations, c’est le volet positif de ces technologies de l’information et de la communication. Le revers, c’est qu’ils sont notamment des moyens efficaces de diffusion de toutes sortes d’opinions apparemment hors contrôle. C’est le cas pour l’extrême droite notamment, mais également pour l’internaute anonyme qui souhaite s’exprimer sans filtre et s’offre par ce biais une sorte de tribune en ayant l’impression d’être au-dessus des lois, ce qui est bien sûr complètement faux.
JOL Press : Peut-on expliquer le racisme par la recherche d’un bouc-émissaire en temps de crise économique ?
Christine Lazerges : Les crises sociales vont souvent de paire avec les crises économiques, terreaux favorisant la montée de l’intolérance et du repli sur soi. L’utilisation d’un bouc-émissaire pour expliquer des maux ou des dysfonctionnements plus profonds est un mécanisme ancien et relativement facile qui permet d’évacuer les questions de fond en focalisant l’attention sur une minorité jugée responsable de tous les maux d’une société.
JOL Press: L’institutionnalisation du Front national a-t-elle favorisé la montée du racisme ?
Christine Lazerges : Il est évident que la dédiabolisation de l’extrême droite française depuis plusieurs années a joué un rôle non négligeable dans le phénomène de libération de la parole que nous observons actuellement. Mais ce n’est pas l’unique raison de la montée du racisme en France.
JOL Press: Quelle est la responsabilité de la parole politique et médiatique, qui ne semble plus aujourd’hui se fixer d’interdits ?
Christine Lazerges : Nous nous sommes inquiétés à plusieurs reprises de propos de ce type tenus par des élus et des membres du gouvernement encore récemment. Nous rappelons dès que nous en avons l’occasion que les responsables politiques ont une réelle responsabilité et que leurs écarts et prises de position publiques ont une réelle incidence sur le climat ambiant. Les personnalités publiques sont, selon nous, tenues de montrer l’exemple en mesurant leurs propos et en évitant de tomber dans la facilité.
Propos recueillis par Carole Sauvage pour JOL Press