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Appliquons la méthode des scénarios à la gestion de la dette en France

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En quoi la méthode des scénarios peut aider à penser certaine situations et notamment la gestion de la dette en France ? Le décryptage de Sylvain Fontan.

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Par Sylvain Fontan de [image:2,s]

La méthode des scénarios permet de raisonner par rapport à des conséquences et des situations susceptibles d’évoluer dans le temps. Cette méthode est liée en amont à des biais cognitifs forts qui influent sur la perception que les individus ont de concepts identiques. La notion d’incertitude joue un rôle très important car cette méthode cherche avant tout à penser l’improbable plus que le probable. Il apparaît que l’appréhension de la gestion de la dette française peut être analysée à travers cette grille de lecture.

« Ne jamais hésiter mais toujours douter »

Il faut être conscient que tout individu subit des biais dans sa réflexion. Afin de comprendre cette notion, il suffit pour cela de réfléchir aux médias (presse, télévisions, radios, sites internet) que chaque individu choisi librement de consulter et qu’il utilise comme vecteur d’information et de connaissance :

L’ensemble de ces éléments indique des biais cognitifs significatifs chez chaque individu. L’accumulation de ces biais aboutit à une vision différente de la réalité. Toutefois, l’important n’est pas de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais de réaliser que la vision de chacun est forcément le reflet d’une manière de penser, des origines culturelles, des expériences personnelles et professionnelles, des valeurs, des philosophies de vie, etc.

La représentation traditionnelle du globe est un exemple des biais liés à des conventions. En effet,  toutes les cartes représentant la surface terrestre traduisent la vision communément admise d’un monde centré sur l’Europe, avec le Pôle Nord en haut et le Pôle Sud en bas. Or, rien n’indique de manière impérative qu’il ne faut pas représenter la surface terrestre avec au centre les Amériques, ou même que le continent Eurasien soit en bas de la carte au lieu de l’Afrique et de l’Océanie. En effet, la représentation de la surface terrestre serait tout aussi réaliste si cette représentation était centrée sur les Amériques et que les Pôles étaient inversés : vue de l’espace, cette configuration est tout aussi fréquente que celle que nous avons tous en tête d’un planisphère. Concrètement, ce sont juste des conventions qui veulent que le monde doit être représenté ainsi alors qu’aucune raison objective ne le sous-tend. Au final, cela aboutit à souligner le fait que tout est relatif.

Afin de penser le monde, il est nécessaire de le conceptualiser. Pour illustrer cette idée il est possible de partir d’un mot usuel dans le débat public (politique, sociétal, philosophique, économique…), à savoir : l’Occident. Chercher à trouver l’origine du mot « Occident » indique qu’il existe en réalité cinq définitions de ce mot selon les époques :

  1. Il y a plus de 2000 ans, ce mot faisait référence à la direction, autrement dit là où se lève le soleil ;

  2. Ensuite, l’Occident renvoyait aux civilisations méditerranéennes antiques (Grèce, Rome) ;

  3. Au temps des croisades, il est devenu un mot pour renvoyer à la religion chrétienne (jusqu’à en devenir un synonyme parfait par endroits et par moments) ;

  4. Au XIXème siècle, il renvoyait, via la révolution industriel, à l’économie et à l’industrie ;

  5. Enfin, il est depuis quelques décennies lié à un certain nombre de valeurs (universalité, innovation, progrès, respect de l’autre, liberté…).

Dès lors, ces différents éléments amènent à dire que l’Occident en tant que tel n’existe pas. En effet, l’Occident est en réalité une production de l’esprit dont le but est de penser le monde. Chacun a besoin de conceptualiser le monde pour pouvoir l’appréhender, et le cas échéant, le changer. Tous ces concepts utiles pour penser le monde sont intrinsèquement flous. Les concepts sont également forcément rigides car il est très difficile de raisonner le monde dans un cadre conceptuel évolutif : la nature de l’homme fait qu’il a besoin de simplifier les choses.

La notion de concept est utile mais non suffisante pour penser le monde. En effet, les concepts permettant d’appréhender le monde de manière simplifiée peuvent être petits (caricatures) ou grands (paradigmes). Egalement, ils peuvent être délibérés (des stratégies) ou subis (ils s’imposent d’eux-mêmes. ex : nuit/jour). Au final, les concepts sont des idées dont la définition peut être « Hypothèses de travail », ce qui implique d’une part, qu’il existe d’autres hypothèses et, d’autre part, qu’il existe un doute raisonnable à avoir. Par conséquent, l’ensemble de ces éléments présentés dans cette partie soulignent qu’il est important de « ne jamais hésiter, mais toujours douter ».

Les scénaris

Un scénario, ou un modèle, n’est jamais vrai, il est juste plus ou moins utile. Un scénario peut être défini comme une visualisation imagée d’une séquence (une histoire) avec un début et une fin, réalisée à l’aide de modèles mentaux existants, logiques, mais fortement improbables. Dans ce cadre, l’incertitude ne doit pas être perçue avec défiance, mais doit être considérée et explorée comme une source d’opportunité pour anticiper et préparer des futurs possibles. En effet, le but premier des scénarii n’est pas d’anticiper des éléments certains ou très probables, mais d’appréhender et d’intégrer l’incertitude dans des schémas mentaux afin de pouvoir y faire face le cas échéant.

La notion d’incertitude est en constante augmentation, à fortiori dans le contexte actuel. Plusieurs exemples viennent étayer cette idée :

Dans ce cadre, et contrairement à l’adage qui veut que « dans le doute, abstiens-toi », il faut inverser le raisonnement et ainsi aboutir à « dans le doute, agis ».

Un scénario unique n’a pas de sens, il faut minimum quatre scénarios. Ils doivent tous les quatre ne pas être des variations d’une même idée, mais doivent être extrêmement différents. Dans l’idéal, ces scénarii doivent être « extrêmes » et s’adapter à l’entité étudiée (une entreprise précise, un secteur d’activité, un pays…).

Le but est de mettre en avant des situations possibles, mais improbables. Parallèlement, les impacts doivent êtres potentiellement énormes en cas d’occurrence, c’est-à-dire dans le cas où ces scénarii extrêmes se réalisent. Le principe est celui de la théorie du Cygne Noir, de l’écrivain Nassim Nicholas Taleb tirée de la découverte au cours du XVIIIème siècle de l’existence de Cygnes de couleur noire, alors même que tout le monde à cette époque était persuadé qu’un cygne ne pouvait être que blanc. L’idée est de se mettre dans la situation où un évènement peu probable mais avec un impact potentiel énorme se réaliser, et de dire pourquoi un tel évènement est arrivé, et qu’est-ce qui a pu l’engendrer. La démarche passe donc de la déduction à l’induction.

Il convient de prendre un exemple pratique et extrême pour illustrer ces éléments. Dans le cas d’une assemblée d’individus lambda, à qui il serait demandé de se prononcer sur les chances qu’un groupe tel que Google produise un jour de l’électricité (ou que Phillips produise des pneus dans 10 ans) la réponse qui apparaît est 0% de chance. Toutefois, si l’exercice introduit l’hypothèse selon laquelle cette éventualité est une réalité, et que c’est effectivement ce qui va se passer, la situation change. En effet, dans ce cas, s’il est demandé à la même assemblée d’individus de raisonner afin de savoir pourquoi Google s’est lancé dans telle ou telle production, toutes les personnes vont trouver plusieurs dizaines de raisons viables et logiques à une telle évolution. Il en est de même si cette assemblée doit ensuite déterminer quelles seraient les conséquences macroéconomiques d’une telle évolution de la production de Google. Enfin, si la question initiale est reposée à la même assemblée après cet exercice de raisonnement (à savoir quel est le pourcentage de chance pour que Google se lance d’ici 10 ans dans la production l’électricité, ou que Phillips se lance dans la production de pneus), dans ce cas le taux de répondant qui estime probable ces scénarii est nettement plus élevé que le résultat initialement obtenu avec la même question.

Les avantages de la méthode des scenarios

La méthode des scénarii présente deux avantages s’ils sont correctement considérés. En effet, elle permet d’établir un test de solidité et un test d’amélioration. En d’autres termes, ces tests permettent de répondre aux questions suivantes :

– Est-ce que je résiste en cas extrême ? Test de SOLIDITÉ.

– Comment est-ce que je peux m’améliorer ? Test d’AMÉLIORATION

Le cas où une entreprise cherche à embaucher un employé illustre ces deux tests. En effet, prenons le cas d’une entreprise qui veut embaucher. Au final, seulement deux candidats apparaissent comme parfaitement remplir les critères de recherche de l’entreprise. Or, appliquer la méthode des scénarii peut permettre de faire un choix en mettant en avant le fait qu’un seul des deux candidats résistera en cas extrême dans l’activité de l’entreprise : il apparaît qu’un des deux candidats ne tiendra pas et il ne saura pas faire ce qu’il faut pour s’adapter à cette situation.

De plus, il est possible de faire face à deux types d’incertitudes :

  1. Incertitude qui peut être gérée

Par exemple, qui va remporter un marché à l’exportation ? Il n’est pas possible de se prononcer avec certitude mais il est possible de probabiliser car il existe des éléments de réponse.

  1. Incertitude qui secoue les modèles mentaux :

Par exemple, dans un conflit social (envisagé comme un jeu entre deux parties) opposant le gouvernement d’un pays et les syndicats d’employés de ce pays.

Application pratique des scénarios

Tous les scénarii doivent raisonner selon deux idées principales. Les deux idées principales sont, d’une part, la possibilité d’occurrence (probabilité que le scénario se réalise) et, d’autre part, les impacts, c’est-à-dire la portée ou les conséquences potentielles. La mise en place de ces deux idées permet de créer une matrice avec en ordonnée (de bas en haut) l’intensité de l’impact du scénario sur la vie macroéconomique par rapport à la situation actuelle, et en abscisse (de gauche à droite) la certitude ou non que l’évènement intervienne dans un horizon temporel à 10 ans.

Il est ainsi possible d’appliquer la méthode des scénarios à la gestion de la dette en France :

SCÉNARIO 1

SCÉNARIO 2

SCÉNARIO 3

SCÉNARIO 4

Finalement, ces scénarii doivent servir à poser un certain nombre de questions : Sachant qu’au final c’est le scénario 1 (peu probable avec fort impact) qu’il convient de prendre en compte en priorité pour raisonner en matière d’incertitude extrême.

EXEMPLE

=> baisse des dépenses publiques, et notamment sociales (chômage, santé, retraites)

=> flexibiliser le marché du travail et accroître la concurrence afin de stimuler la croissance économique.

EXEMPLE

=> Identification des dépenses sociales à diminuer, ainsi que l’ampleur et le rythme de la baisse.

=> Comment réaliser la pédagogie nécessaire auprès de la population sans que cela ne se traduise de façon négative électoralement parlant, ni que cela ne nourrisse les populismes, les démagogues et les extrémismes.

EXEMPLE

=> En l’absence de prise de conscience collective de l’impérieuse nécessité de faire face à un endettement devenu dangereux pour l’avenir du pays, comment anticiper la perte de souveraineté économique du pays et déployer des politiques en amont pour y faire face de façon pratique et gérer les tensions sociales qui émergeront mécaniquement du fait de la brutalité des mesures qui devront être engagées.

Citation

Sylvain Fontan, “La méthode des scénarios appliquée à la gestion de la dette en France”, analyse publiée sur «leconomiste.eu»

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