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Crèche Baby-Loup: que s’est-il vraiment passé?

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Au printemps 2012, le journaliste Claude Askolovitch perd son travail en pleine polémique du Halal, et réalise ce qu’il savait déjà : ce qui touche à l’Islam fait basculer son pays hors de la raison. L’anecdote n’est rien en soi, sinon une preuve et un déclencheur. Nos mal-aimés – Ces musulmans dont la France ne veut pas en est la suite, un voyage engagé dans un malheur national, chez des musulmans.

Ce voyage se situe entre une présidentielle « pourrie d’identité nationale », le drame Merah et la crise tunisienne, et nul n’en sort indemne. Il passe par un chauffeur de bus salafiste et fan de l’OM, des soupes populaires halal, des étudiants chastes par amour de Dieu, des volailles bourguignonnes égorgées au son de Basmillah, un blogueur adorant Dieu, des étudiantes cachant leur voile ou récoltant les crachats, des Français paisibles trouvant plus que des raisons au Hamas, un écologiste qui aurait pu être ministre en Tunisie islamiste. Il passe par la France et ce qu’elle est déjà, et ce qu’elle refuse de voir – un pays devenu aussi musulman, complexe, instable et riche, où chacun arbitre entre son quotidien et son fantasme.

Extraits de Nos mal-aimés – Ces musulmans dont la France ne veut pas, de Claude Askolovitch (Grasset – septembre 2013)

Chanteloup- les- Vignes est un coquet village près de l’Oise, greffé d’une cité dans les années 60, la Noé. Chanteloup sera la ville de la désolation, puis des émeutes urbaines, puis de la reconstruction. Dans les années 80, Pierre Cardo, maire faussement de droite, commence à la relever. Il joue de l’associatif et de l’éveil des habitants, maille et mobilise. Baby-Loup naît de cette histoire, quand un groupe de femmes de la Noé monte un projet de crèche aux horaires élargis. Elles sont immigrées, musulmanes, maghrébines, peu formées, courageuses. Elles ont besoin que l’on garde leurs enfants quand elles s’en vont travailler, dans des emplois parfois nocturnes, loin de chez elles. Une association se monte, soutenue par la mairie.

Natalia Baleato est alors sage- femme, intervenant sur le quartier. Elle connaît ces femmes. Elle est embauchée comme directrice. Elle n’a pas inventé la crèche, comme on le dira, mais elle va la construire. Simple détail ? Pas vraiment. L’émancipation a été portée par la population elle- même : elle n’a pas été octroyée par une militante charismatique.

[image:2,s]Baby-Loup s’installe donc, en osmose avec le quartier, soulage les femmes, en embauche quelques- unes. Fatima Afif est de celles- là. Elle est musulmane et pratiquante, voilée parfois, y compris au travail, malgré une clause de « neutralité » du règlement intérieur qui, alors, ne fait pas scandale. Elle est formée dans Baby- Loup, et en devient sa directrice adjointe. Elle est, aussi, proche de Natalia, parfois sa représentante à l’extérieur. Son amie ? « Elle m’a hébergé une fois, à cause de la neige, je ne pouvais pas rentrer chez moi », dit Natalia. Rien d’autre ? « Je lui ai dit qu’elle pouvait me succéder. » Et puis, la vie décide autrement…

Fatima fait des enfants, empile des congés parentaux. Quatre, cinq, six ans d’absence. Fin 2008, quand le dernier congé s’achève, le lien s’est rompu. Fatima voudrait changer de vie ? Ce n’est pas si simple. Il y a des histoires obscures de dépossession, de jalousie, de légitimités qui s’affrontent. Pour Fatima, la crèche émane du quartier, donc d’elle-même ; pour Natalia, la crèche est une fin en soi. Avant même de se fâcher, on ne se comprend plus.

Baby- Loup a changé. La structure n’accueille plus seulement des enfants de Chanteloup, mais sert les parents d’autres communes. L’aspect social se dilue. Des médecins ou des pompiers bénéficient de la crèche modèle, ouverte 24 heures sur 24, et déposent leurs enfants à Chanteloup. Mixité sociale ou enracinement ? Les femmes fondatrices de la crèche se sont éloignées au fil des ans. Fatima Afif va être le révélateur du malaise ; elle provoquera la rupture violente entre Baby- Loup et son environnement.

Fatima voudrait être licenciée, toucher des indemnités. Une rupture conventionnelle ? Elle demande 13 000 euros. Natalia refuse. C’est l’argent de l’association. On discute. On rompt. La tension monte. Fatima déclare la guerre. Devant reprendre son poste, elle arrive voilée, des pieds à la tête, refuse de se changer ; elle crie, provoque, défi e. Elle obtient ce qu’elle voulait : un licenciement, mais pour faute grave, ce qui la prive d’indemnités. Elle va aller en justice. Elle veut la peau de Natalia. L’admiration a tourné à la haine. La mairie, que Pierre Cardo va quitter en février 2009, ne sait pas ramener le calme. Les dés roulent. Chanteloup, ville résiliente, et Baby- Loup, crèche modèle, perdent le contrôle de leur destin.

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Claude Askolovitch est journaliste. Il a travaillé au Nouvel Observateur, au JDD, au Point, à Europe 1 et à Marianne. Prix Décembre pour son Voyage dans la France de Le Pen, il a également publié une biographie de Lionel Jospin – tous deux chez Grasset.

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