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Crise de légitimité: et si Hollande convoquait les «États généraux»?

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« Vous êtes en train de faire croire qu’il y a une crise institutionnelle. Mais de quoi parlez-vous ? Remettez-vous en cause la légitimité de l’élection présidentielle au suffrage universel ? », a lancé le Premier ministre, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, la semaine dernière. Jean-Marc Ayrault répondait au chef de file des députés UMP, Christian Jacob qui avait lancé : « Dix-huit mois après avoir pris le pouvoir, vous êtes impuissants et usés ». « Les Français crient leur colère face à une France socialiste qui dégrade notre pays et le plonge dans la faillite», a-t-il ajouté. « Cette colère est profonde et elle vous tétanise car vous n’avez plus de prise sur rien ni politiquement, ni institutionnellement ».

Que penser de cet échange ? De quoi est-il symptomatique ? Eléments de réponses avec le journaliste et écrivain André Bercoff. Entretien.

JOL Press : Jean-Marc Ayrault accusait, la semaine dernière, le chef de file des députés UMP, Christian Jacob, de « remettre en cause la légitimité » de l’élection de François Hollande à l’Elysée. Quel est cet air qui flotte dans les rangs de l’opposition pour que le chef du gouvernement fasse une telle accusation ?

André Bercoff : Je crois que le contexte est propice à ce genre d’accusation. Les sondages sur la popularité du chef de l’Etat sont au plus bas, être à 15% d’opinions favorables pose immanquablement la question de la légitimité. Par ailleurs, l’émergence des différents mouvements sociaux, des manifestations, l’esprit de contestation ambiant, poussent la classe politique, de droite comme de gauche, au bord de la crise de nerfs. Le climat entraîne, de parts et d’autres, quelques excès.

François Hollande a été élu pour cinq, sa légitimité n’est pas à remettre en question, mais Jean-Marc Ayrault doit garder son sang-froid. Ce type d’emportement met en lumière un gouvernement aux abois qui ne voit pas comment s’en sortir. Cela vient du fait que la parole du président est frappée, non pas d’illégitimité, mais d’incrédibilité. Quoique dise désormais François Hollande, il n’est plus écouté, il n’est plus suivi, il n’est plus cru. Ce manque de confiance entraîne une tétanie du pouvoir qui est extrêmement gênante.

JOL Press : Une cinquantaine de maires, essentiellement de droite ou sans étiquette, a décidé de ne pas appliquer la réforme des rythmes scolaires « en l’état », à la rentrée 2014. La question s’est aussi posée avec le mariage homosexuel. Pourquoi certains élus, à droite, veulent défier la loi ? La considèrent-ils comme illégitime quand elle émane de la gauche ?

André Bercoff : Rappelez-vous, au moment des débats autour du Mariage pour tous, François Hollande avait d’abord dit aux maires qu’ils pourraient agir selon leur conscience puis il est revenu sur ses propos. A droite, comme à gauche, les politiques sont de plus en plus adeptes des déclarations à l’emporte-pièce. Quand le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, déclare, au cœur de l’affaire Leonarda, « il y a la loi, mais il y a aussi des valeurs », comment voulez-vous, après, forcer un maire à marier deux personnes homosexuelles, si c’est contraire à ses valeurs ?

De droite, comme de gauche, on assiste à un climat assez délétère dans lequel les politiques ne tiennent plus leur langue et dès qu’un micro se tend, ils disent n’importe quoi. On a eu les débats autour du « pays légal » et du « pays réel », mais aujourd’hui c’est la remise en question de la loi qui est en jeu. A partir du moment où vous avez des responsables politiques qui disent tout et son contraire, il est évident que se créé un désordre, une brèche dans laquelle s’engouffre l’opposition.

JOL Press : « Avec la droite, c’est toujours la même technique. La gauche est présenté comme illégitime ou irresponsable », confiait, en novembre 2011 à la presse, un proche de François Hollande. Est-ce exact ? Le phénomène s’était-il produit à l’époque de François Mitterrand ?

André Bercoff : La droite a toujours eu, de façon prétentieuse, le sentiment qu’elle était faite pour le pouvoir et la gauche pour l’opposition. C’est une posture qui ne tient pas la route. Mais pour ce qui est du procès en illégitimité, je n’ai pas souvenir que Mitterrand en ait été victime. En 1964, François Mitterrand publiait Le Coup d’Etat permanent, dans lequel il traitait le général De Gaulle de dictateur, 15 ans plus tard il se coulait dans les moules de la Ve République.

Qu’une partie de la droite considère la gauche comme illégitime, c’est possible, c’est même probable, mais cela n’a jamais empêché la gauche d’exercer le pouvoir. En situation de crise, les outrances verbales et posturales sont inévitables, elles sont cependant aussi ridicules qu’inefficaces.

JOL Press : Ce sentiment est-il exacerbé par la personnalité de François Hollande ?

André Bercoff : J’en suis convaincu. Sa posture du dos rond n’arrange pas les choses. C’est le moment ou jamais d’avoir un responsable politique qui mette tout sur la table, qui donne un cap, qui apporte des solutions et qui ne cache pas aux Français la vérité, même si elle est difficile à entendre. Or François Hollande n’adopte pas du tout cette attitude, il fait du coup par coup et ce n’est pas efficace.

Je pense, qu’avec les technologies d’aujourd’hui, le président de la République devrait convoquer, comme en 1788, les Etats-généraux. En présence de tous les Français, on met tout sur la table, on présente les solutions, on écoute les préoccupations. On est en 2013, dans la mondialisation, on est dans l’Europe, avec ses failles et ses grandeurs, j’espère que quelqu’un aura un jour le courage de tout mettre à plat.

JOL Press : Les Etats-généraux n’ont pas porté chance à Louis XVI. Cette démarche ne serait-elle pas considérée comme un aveu de faiblesse ?

André Bercoff : François Hollande est dans un tel état de faiblesse que cette démarche ne pourrait, au contraire, que lui servir. Aujourd’hui quelles solutions a-t-il ? Le remaniement ministériel ? La dissolution de l’Assemblée nationale ? Elle est là, la nouveauté ? Ce qu’il faut c’est créer une union nationale avec un certain nombre de personnes qui ont envie de travailler ensemble. L’affrontement aujourd’hui ne se fait plus entre la gauche et la droite mais entre précaires et abrités. Les Etats-généraux permettraient d’entrevoir de nouvelles solutions.

Aujourd’hui la situation n’autorise plus les petits arrangements d’autrefois. Il est grand temps de faire l’inventaire avec les artisans, les commerçants, les hauts fonctionnaires… Il n’a jamais été fait. Pas l’inventaire de tel ou tel mandat mais celui du pays, en 2013. Ce que je lance, c’est un appel à l’intérêt collectif.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

André Bercoff est écrivain, journaliste et homme de télévision. Depuis son livre, L’Autre France, en 1975, il est l’auteur d’une trentaine de romans et d’essais, dont Qui choisir (2012 – First éditions), Moi, Président… (2013 – First éditions) ou Je suis venu te dire que je m’en vais (novembre 2013 – Éditions Michalon).

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