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De quoi sont aujourd’hui malades les syndicats?

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« Je crois que dans cette période, il est bon de faire du syndicalisme bashing », déclarait récemment Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Si la critique du syndicalisme français n’est pas sur toutes les lèvres, il est vrai, que depuis plusieurs mois, la voix des syndicats est moins entendue. Dans un même temps nous assistons à l’émergence de mouvements sociaux contestataires, dans différents domaines et différentes régions. Comment expliquer la discrétion des syndicats face aux « bonnets rouges »  bretons ? 

Comment expliquer ce nouveau phénomène social ? Les syndicats sont-ils coupés de leurs bases ? Que doivent faire les organisations syndicales pour être à nouveau entendues au niveau national ? Eléments de réponse avec René Mouriaux est docteur d’Etat en Science Politique et spécialiste du syndicalisme. Entretien.

JOL Press : Les syndicats semblent absents ou en retrait des contestations sociales actuelles. Comment l’expliquer ?

René Mouriaux : Il faut comprendre qu’il y a des constantes dans l’analyse des mouvements sociaux mais aussi des spécificités conjoncturelles. Des constantes il y en a trois. Tout d’abord, toute mobilisation sociale est composée. Ensuite, dans tout mouvement social, il y a les tendances lourdes qui peuvent toujours être analysées et puis l’accident. Certaines contestations ne partent jamais car il manque l’effet coagulant, l’événement qui fait que les colères s’embrasent. Enfin, il y a toujours eu une tension entre spontanéité, ce que la base met en œuvre, et organisation.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase où ceux qui nous gouvernent, le président de la République, le Premier ministre, les députés à l’Assemblée, forment un groupe relativement homogène mais tous ne parlent pas de la même voix. Dans l’affaire Leonarda, par exemple, nous avons eu un Premier secrétaire du Parti socialiste qui a dit que le président n’était pas allé assez loin. C’est une incroyable pagaille. Quand un gouvernement est affaibli, les mouvements sociaux prennent plus de force. Par ailleurs, les syndicats sont divisés, ce qui facilite l’émergence de mouvements spontanés et indépendants.

JOL Press : D’où viennent ces divisions ?

René Mouriaux : Les syndicats sont divisés depuis l’accord compétitivité-emploi qui a été signé par les partenaires sociaux le 11 janvier dernier. On a les réformateurs, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, d’un côté et les autres, sachant que Force ouvrière navigue. Le 2 novembre, FO était aux côtés du patronat à Quimper, quand CGT, Solidaires et FSU de Bretagne étaient à Carhaix.

Par ailleurs, les syndicats que l’on qualifie de mouvementistes sont en difficulté. La CGT ne s’est pas relevée des problèmes de succession de Bernard Thibault, Thierry Lepaon essaie de prendre en main progressivement l’appareil confédéral mais on ne peut pas dire que la CGT ait retrouvé sa force. Thierry Lepaon s’interroge, par exemple, sur la participation de la CGT à la manifestation du Front de gauche, le 1er décembre, contre la politique fiscale du gouvernement. Cette participation va provoquer des réactions internes assez vives. La FSU et l’union syndicale Solidaires sont aussi est en difficulté.

JOL Press : En quoi l’époque est-elle propice à l’émergence de ces mouvements sociaux ?

René Mouriaux : La situation actuelle est complexe. Vous avez des différences régionales considérables, le cas de la Bretagne n’est pas celui de l’Alsace, du Nord ou de PACA. Il faudrait, pour bien faire, prendre en compte les spécificités de chaque région.  Les causes de mobilisations aussi sont diverses : on a vu des revendications patronales et salariales ainsi qu’une mobilisation un peu transversale contre la fiscalité trop lourde. Il ne faut pas oublier aussi la question de l’emploi qui touche en priorité les salariés, mais aussi les entreprises, et la question des salaires. Il existe par ailleurs, les problèmes spécifiques par tranche, en particulier dans l’Education nationale.

JOL Press : Pour quelles raisons les syndicats donnent l’impression de n’être plus entendus ?

René Mouriaux : Il faut toujours prendre en compte dans ces mouvements sociaux le poids de la médiatisation. Les syndicats sont moins visibles, oui. Ils ont de la peine à se situer dans cette période car elle est complexe et ambiguë : dans le mouvement des bonnets rouges, les salariés côtoient le patronat, les anarchistes sont en colère aux côté de membres du Front national. Enfin, certains syndicats n’ont pas encore compris que la flexibilité était indispensable pour sauver l’emploi.

Dans la période, l’utilisation des symboles de la gauche a commencé avec la Manif pour tous, qui a montré que la droite pouvait descendre dans la rue, et continue aujourd’hui avec la couleur rouge des bonnets. Tout cela créé des confusions et on voit bien que les syndicats peinent à se positionner, à bien définir leurs spécificité, à assurer une liaison entre régions, professions et sujets et de ce fait, non seulement ils sont divisés, mais ceux qui ont l’ambition de pousser les ouvriers à améliorer leur situation peinent à trouver une vraie stratégie.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

René Mouriaux est l’auteur de nombreux ouvrages sur le syndicalisme parmi lesquels : Le syndicalisme en France depuis 1945 (La Découverte, 2008) et Les Syndicats dans la société française (Les Presses de Sciences Po, 1983). 

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