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Drapeaux algériens sur les Champs-Elysées: signe d’un repli identitaire?

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JOL Press : Plusieurs médias ont évoqué ce matin le mélange de drapeaux français et algériens sur les Champs Elysées. Plusieurs incohérences ont été relevées, établissant la confusion entre Français d’origine algérienne et Algérien. Pourquoi les médias ont dû mal à évoquer ces questions-là ?

Evelyne Ribert : Depuis longtemps, certains médias et certains hommes politiques entretiennent, volontairement ou non, une confusion entre ceux qui sont de nationalité étrangère et ceux qui sont français, mais dont les parents sont immigrés. Rien que l’expression « enfant d’immigrés de deuxième, troisième génération » laisse entendre qu’ils seraient eux-mêmes immigrés. Or ce sont des Français nés en France. Seuls leurs parents ou leurs grands-parents sont immigrés et étrangers s’ils n’ont pas acquis eux-mêmes la nationalité française.

Par ailleurs, depuis une trentaine d’années s’est installé chez une partie opinion publique, un sentiment anti-immigration. Ce climat habilite, banalise alors cette confusion.

JOL Press : Comment expliquez-vous que le football, symbole de cohésion nationale, peut également traduire un repli identitaire ?
 

Evelyne Ribert : Je ne crois pas que le football traduise ici un repli identitaire. Il offre un moment privilégié de cohésion nationale, et constitue une occasion pour s’identifier aux différentes nations. Aujourd’hui, en temps de paix, seuls les événements sportifs permettent d’affirmer son (ou ses) sentiment(s) d’appartenance nationale (s). A titre d’exemple, la victoire des Bleus en 1998 symbolisait celle d’une France black, blanc, beur, à la fois diverse et unie. A contrario, lors des débordements du match France-Algérie en 2001, certains médias se sont jetés dans la brèche, affirmant que certains jeunes Français étaient en réalité des faux Français et préféraient à la France, l’Algérie. Cela marche dans les deux sens.

Concernant le match d’hier, la présence de drapeaux algériens ou portugais s’explique par la victoire concomittante de l’Algérie et du Portugal. De façon générale, on peut s’interroger sur ce que signifie brandir un drapeau aujourd’hui ? Est-ce que cela symbolise son appartenance à une nation, sa joie face aux exploits sportifs, ou tout simplement l’envie de faire la fête avec ses amis ? Fêter les victoires algérienne ou portugaise n’est en aucun cas incompatible avec le fait de se réjouir de la victoire des Bleus. Nombreux étaient sans doute ceux qui fêtaient à la fois la victoire française et la victoire portugaise ou algérienne. Il est important de ne pas avoir de vision exclusive sur ce sujet, bien au contraire.

JOL Press : Ce phénomène peut-il s’analyser comme une recherche d’un refuge identitaire en France ?
 

Evelyne Ribert : Je ne pense pas que nous pouvons assimiler ce phénomène à un repli identitaire algérien ou portugais. Les enfants français de parents algériens ou portugais n’ont généralement pas envie d’aller vivre dans le pays d’origine de leurs parents. Les jeunes peuvent simplement avoir envie de concilier les différentes facettes de leur identité et d’être reconnus tels qu’ils sont : français, tout en étant issus de l’immigration.

JOL Press : Peut-on l’expliquer au regard du tragique épisode colonial de la France en Algérie ?
 

Evelyne Ribert : Je l’expliquerais plutôt par la stigmatisation qui vise les enfants d’immigrés, et ce, depuis plusieurs décennies. Elle s’est même intensifiée ces dernières années sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Créer un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, organiser des débats autour de l’identité nationale dans les mairies – qui furent par ailleurs un total échec –, n’ont fait qu’accréditer l’idée, totalement fausse, que l’immigration constituerait une menace pour l’identité nationale.

Par ailleurs, il me semble aujourd’hui que les stigmatisations ne visent pas les Algériens en tant que tels, mais plutôt les Maghrébins, les Subsahariens et surtout les musulmans, l’Islam cristallisant de nombreuses craintes au sein de la société française.

Propos recueillis par Carole Sauvage pour Jol Press. 

Liberté, égalité, carte d’identité : les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Ribert Evelyne, Paris, La Découverte, 2006

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