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Face à la prostitution, la pénalisation du client est-elle la bonne solution?

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La proposition de loi contre le système prostitutionnel, élaborée par la députée PS Maud Olivier, est examinée cette semaine devant l’Assemblée nationale. Le texte prévoit de pénaliser les clients d’une amende de 1500 euros, d’instaurer des stages de sensibilisation, d’aider les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution par des mesures d’accompagnement social et professionnel, et de s’attaquer aux réseaux fournisseurs sur internet.

Pourquoi cette proposition de loi divise-t-elle autant ?

JOL Press : Cette loi va-t-elle, selon vous, « responsabiliser » les clients et « renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme », pour reprendre les mots de la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem, et de sa collègue de la Santé Marisol Touraine ?

Jacques de Guillebon : Sortir les prostituées non consentantes des griffes des mafieux, tout le monde convient que c’est le but premier. Cependant, cela nécessiterait, plus qu’une loi cosmétique, une révision générale de notre politique migratoire, notamment vis-à-vis des réseaux de clandestins. Cette loi sera inopérante sur ce plan-là, en revanche elle risque de nuire aux prostituées qui exercent librement leur métier, et aux plus pauvres des clients.

Ce sont eux, les Robert de Maubeuge smicards, personnages à la Houellebecq qui n’ont déjà plus rien dans leur vie que cette idée d’amende à 1500 euros va fortement pénaliser. De nouvelles structures, parallèles, se mettront de toute façon en place comme dans toute situation de prohibition, comme l’histoire nous l’a déjà montré.

Grégoire Thery : Je pense que cette loi va dans le bon sens car elle pose un interdit en disant qu’aujourd’hui on ne peut plus imposer un acte sexuel par l’argent. Cette loi est dans la continuité de la condamnation des autres formes de violence sexuelle : de la même manière qu’on ne peut pas imposer un acte sexuel par la contrainte physique ou psychologique ou par l’abus d’une situation d’autorité, je pense au harcèlement sexuel ou à la pédophilie, la loi pose une limite. La valeur normative de la loi est très importante.

Par ailleurs, cette loi sera dissuasive, le fait que l’interdiction soit accompagnée d’une sanction – même si elle est beaucoup trop faible selon nous – va conduire un certain nombre d’hommes à ne pas transgresser cet interdit.

Pour ce qui est de la lutte contre le proxénétisme, il ne faut pas oublier que les proxénètes ne le sont pas pour humilier leurs victimes mais pour faire de l’argent. La meilleure façon de s’attaquer au proxénétisme, c’est donc de s’attaquer à ses profits. En sanctionnant l’achat d’un acte sexuel, en sanctionnant la demande, on s’attaque directement au profit des proxénètes.

JOL Press : Pensez-vous que recourir aux services d’une prostituée est un droit ?

Jacques de Guillebon : Non, mais il faut surtout arriver à penser le monde autrement que selon la formule « c’est un droit ». Le réel est un peu plus complexe et une société pour exister requiert autre chose que la transparence totale, contrairement à ce que le nouveau puritanisme, souvent extrait des mondes anglo-saxons, veut nous faire croire. La prostitution est une tolérance, comme le nom des anciennes maisons nous l’indiquait.

Grégoire Thery : Ce n’est pas parce qu’un acte n’est pas pénalisé que c’est un droit. Philosophiquement et, bientôt j’espère, juridiquement, il n’y a pas de droit à exploiter la précarité d’une personne pour en obtenir un acte sexuel. Dans la prostitution le pseudo consentement est arraché par le déséquilibre de la contrainte financière. Nous avons une personne qui a de l’argent et qui a le pouvoir et une autre personne qui a besoin d’argent pour vivre ou survivre et qui s’exécute.

JOL Press : Jacques de Guillebon, pourquoi avez-vous signé le « Manifeste des 343 salauds » ?

Jacques de Guillebon : Les néo-féministes sont persuadées que tout le malheur du monde provient uniquement de la forme du désir masculin, qu’il faudrait abolir. En miroir de l’islamisme actuel, qui croit que c’est la femme qu’il faut cacher parce que ce serait elle qui provoquerait par sa seule présence ce désir irrépressible, ces gens-là le considèrent comme le seul résultat d’une histoire qu’il faudrait déconstruire. A la limite, si on les suivait, tout ceci ne proviendrait que d’une conjuration à l’âge néolithique où les hommes de sexe mâle se seraient entendus pour dominer éternellement la pauvre femme, pure et faible.

JOL Press : Grégoire Thery, qu’avez-vous pensé du « Manifeste des 343 salauds » ?

Grégoire Thery : C’est révélateur et effarant à la fois. Ce manifeste montre bien que le sujet, c’est la domination. Un petit club fermé d’hommes, des hommes bien placés dans la société qui ne connaissent pas la misère sexuelle, demande un maintien de son privilège. Je ne parle pas d’un droit mais bien d’un privilège.

En outre, l’allusion au « Manifeste des 343 salopes » qui étaient, à l’époque, 343 femmes qui se battaient pour le droit à disposer de leur corps, est effarante. Nous avons aujourd’hui un escadron d’hommes qui se battent pour disposer du corps de ceux ou de celles qu’ils dominent économiquement. Enfin, l’allusion à « Touche pas à mon pote » qui s’inscrit dans la lutte contre le racisme est intéressante. Quand les « 343 salauds » disent « Touche pas à ma pute », ils se remettent dans un rapport de domination contre lequel se battent justement les antiracistes.

On est dans la continuité de l’affaire DSK : la confusion entre le libertinage et la prédation sexuelle. Dans le cas de la prostitution, on est dans tout sauf dans l’égalité, on est dans la bonne vieille domination masculine.

JOL Press : Comment lutter efficacement contre le proxénétisme ?

Jacques de Guillebon : En mettant plus de policiers sur le terrain, en leur donnant les moyens suffisants pour démanteler ces réseaux, en revenant aussi à une certaine forme de frontières qui les empêcheraient de s’installer si facilement en France.

Grégoire Thery : Il faut savoir qu’en France la lutte contre le proxénétisme est déjà importante : on compte 500 condamnations par an même si on n’en parle pas beaucoup, et 50 réseaux sont démantelés, chaque année. En France, il y a entre 20 et 40 000 personnes prostituées, en Allemagne, il y en a entre 200 et 400 000. Si on avait fait comme l’Allemagne, qui a dépénalisé le proxénétisme et donné au proxénète un statut d’entrepreneur du sexe, on n’en serait pas là.

On ne part pas de rien, mais pour lutter efficacement contre le proxénétisme, il faut augmenter les moyens de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains et des brigades spécialisées. Il faut aussi favoriser l’accès à l’indemnisation des victimes – ce qui apparaît dans la proposition de loi – et s’attaquer à profit des  proxénètes, confisquer leurs biens, lors des procès, et condamner l’achat d’un acte sexuel qui remplit les poches des proxénètes.

JOL Press : Quelle est, selon vous, la première des priorités pour venir en aide aux femmes qui souhaitent sortir de la prostitution ?

Jacques de Guillebon : Leur parler, aller les voir, leur donner du temps gratuitement, et chercher à comprendre ce qu’elles veulent.

Grégoire Thery : La priorité, c’est d’abord un accueil de qualité des victimes sur l’ensemble du territoire. Chaque personne en situation de prostitution doit pouvoir identifier, pas loin de chez elle, dans son département, une association ou un service social qui va pouvoir la recevoir, l’écouter sans la juger, sans discrimination, ni stigmatisation, et l’accompagner ensuite dans l’ensemble du processus de sa réinsertion. Il faut aussi des moyens pour permettre l’hébergement, la formation, la reconstruction personnelle et psychologique, l’accès aux soins, etc.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques de Guillebon est essayiste et journaliste. Il est rédacteur en chef Culture du magazine Causeur, à l’origine du manifeste.

Grégoire Thery est le secrétaire général du Mouvement du Nid. Le Mouvement du Nid a pour but d’agir sur les causes et les conséquences de la prostitution en vue de sa disparition. Ses actions principales sont la rencontre et l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, la prévention auprès des jeunes et la sensibilisation des acteurs sociaux et du grand public.

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