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Face aux Français: François Hollande doit-il jouer son va-tout à la télé?

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La cote de popularité du président de la République a remonté de 3 points en novembre, avec 29% de bonnes opinions, mais cela suffit-il ? Pour les conseillers du président une grande émission « Face aux Français » permettrait au chef de l’Etat de retrouver davantage la confiance des Français et de redevenir audible. Mais pour le publicitaire Jacques Séguéla, le timing n’est pas forcément le meilleur. Pourquoi ne pas attendre de pouvoir annoncer l’inversion de la courbe du chômage ?

JOL Press : Une émission « Face aux Français », est-ce un exercice périlleux ou une bonne solution pour sortir de sa crise d’impopularité ?

Jacques Séguéla : Je pense que c’est une bonne idée, qu’on aurait dû lui soumettre depuis bien longtemps. Il ne faut pas s’imaginer que François Hollande est un mauvais communicant, c’est un mauvais procès qu’on lui fait. Il ne faut pas oublier qu’il a gagné le débat contre Nicolas Sarkozy qui passait pour le meilleur communiquant de sa génération et qu’il a toujours été très bon en conférence de presse.

François Hollande a tout intérêt à rencontrer les Français en face-à-face et en direct, c’est la meilleure émission qu’il puisse faire. Les Français ne l’aiment pas, il n’a donc pas d’autre solution que de se montrer tel qu’il est et qu’il explique sa politique. L’émission n’est que le lieu, ce qui compte c’est le message. S’il rencontre les Français pour ne rien leur apprendre de nouveau, s’il n’annonce pas qu’il change de politique – je ne parle pas de remaniement, ce n’est pas le moment – cette émission sera un échec. Le chef de l’Etat doit expliquer quelle est sa politique pour les trois ans à venir. C’est capital. Ou il choisit une politique sociale-libérale ou il choisit une politique sociale-socialiste mais il ne peut pas rester dans l’entre-deux.

JOL Press : François Hollande n’a pas encore pris sa décision sur la pertinence ou non d’une telle émission. Quels sont les dangers de ce genre d’émissions ?

Jacques Séguéla : Je ne crois pas qu’il y ait des dangers dans ce genre d’émissions. Le seul qui ait raté cet exercice c’est Jacques Chirac qui avait choisi de réunir 83 jeunes à l’Elysée pour débattre de la Constitution européenne en direct à la télévision. Le décalage d’âge entre lui et les jeunes était trop important, l’émission avait été mal préparée et le président n’était pas alaise dans ce genre de confrontation, ce qui n’est pas du tout le cas de François Hollande. Il a été pendant dix ans Premier secrétaire du Parti socialiste, il a déjà été confronté à ce type d’exercice de nombreuses fois.

Là où il a raison d’hésiter c’est qu’il ne peut faire cette émission que s’il a quelque chose à dire. On ne peut plus admettre, dans l’état de crise actuelle, qu’un responsable politique, et lui le premier, prenne la parole s’il n’a pas une nouvelle à annoncer. Il est là le piège. S’il répète, devant les Français, ce qu’il a déjà dit depuis six mois, s’il explique qu’il ne changera pas de politique, l’émission se retournera contre lui.

Par ailleurs, je pense qu’il n’est pas obligé d’apparaître en ce moment. On arrive au mois de décembre, la proposition de remise à plat de la fiscalité de Jean-Marc Ayrault va occuper les médias jusque vers le 15 décembre, après il y a les fêtes, puis les vœux du mois de janvier, puis les municipales… Le temps médiatique joue pour lui, d’où l’impératif de parler uniquement s’il a quelque chose à dire. Comme dit le proverbe japonais : « Avant de parler, assure-toi que ce que tu vas dire est plus beau que le silence ».

JOL Press : Dans quel exercice télévisuel avez-vous trouvé François Hollande le plus convainquant depuis le début de son quinquennat ?

Jacques Séguéla : François Hollande a prouvé qu’il était très bon en meetings, en débats et en conférences de presse. Il doit plutôt se méfier des émissions politiques classiques parce que s’il n’a rien à dire l’émission sera creuse mais je pense qu’il peut être très bon dans une émission « Face aux Français ». La pédagogie n’est pas une politique, il ne suffit pas de vouloir discuter. Les Français, à 90%, veulent du changement, s’il n’apporte pas ce changement, il ne peut être que mal reçu.

JOL Press : Qu’attendent les Français du Président de la République ?

Jacques Séguéla : Les Français attendent un changement de politique. Le problème c’est que tous les Français ne veulent pas du même changement de politique. La droite, qui est majoritaire en France, veut un changement de politique plus libéral avec une baisse de la fiscalité et des mesures qui facilitent la relance et la gauche veut des mesures sociales, une augmentation du pouvoir d’achat et des salaires. Face à ces deux volontés totalement opposées, le positionnement du chef de l’Etat n’est pas simple.

Cependant, je pense que la France est prête à accepter aujourd’hui une démocratie sociale libérale. On réunirait les Français autour des idées de partage mais aussi de production. François Hollande peut aussi choisir de réunir sa gauche, qui lui a échappé en grande partie, en faisant le choix d’un gouvernement social-socialiste.

JOL Press : La communication est-elle encore efficace quand les résultats ne sont pas au rendez-vous ? On pense notamment à l’inversion de la courbe du chômage…

Jacques Séguéla : Non, en effet. C’est pour cette raison que je pense qu’il devrait attendre avant de prendre rendez-vous avec les Français. Il est évident que sur cette question de l’inversion de la courbe du chômage d’ici la fin de l’année, il n’a pas d’autre choix que d’attendre d’avoir les résultats des chiffres du chômage pour parler aux Français. Je pense que l’émission « Face aux Français » serait une réussite si elle était pour lui l’occasion d’annoncer cette inversion en janvier, chiffres du chômage à l’appui.

On assiste à un tel désaveu des politiques de droite comme de gauche, un tel désamour du gouvernement que seuls des faits précis peuvent redonner confiance aux Français. Sans confiance, il n’y a pas de visibilité. Le drame de François Hollande c’est qu’il est passé de l’impopularité, à l’inaudibilité et, aujourd’hui, il est dans l’incompatibilité. Il faut impérativement que, preuve à l’appui,  il revienne audible pour redevenir populaire.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques Séguéla est un publicitaire, cofondateur de l’agence de communication RSCG en 1970 (absorbée par le Groupe Havas en 1996). Il a longtemps conseillé François Mitterrand. Lors de la campagne présidentielle de 1981, il se fait remarquer par le slogan puisé dans un célèbre discours de Léon Blum : « La force tranquille ».

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