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France: Le nombre de personnes séropositives augmente toujours

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JOL Press :  Quel état des lieux peut-on faire du VIH en France en 2013 ?
 

Marina Karmochkine : Aujourd’hui, 150 000 personnes sont porteuses du VIH en France. Parmi elles, on estime que 30 à 40 000 personnes ignorent leur séropositivité. Nous sommes particulièrement inquiets pour ces personnes qui peuvent contaminer leurs partenaires sexuels. Aujourd’hui, à peu près deux tiers des nouvelles infections sont liées à ces personnes porteuses du virus.

Il faut également rappeler que le nombre de personnes séropositives en France augmente: chaque année, 7000 nouvelles contaminations surviennent : le pool de personnes infectées continuent donc d’augmenter.

JOL Press: Comment expliquer cette augmentation de cas ? Est-ce dû à une baisse de la prévention sur le virus ? 
 

Marina Karmochkine : Nous assistons en 2013 à un phénomène de relâchement, surtout dans la communauté homosexuelle, où il y a le plus de contaminations. Les jeunes sont également de plus en plus touchés par cette maladie. Cela s’explique par un déficit d’information: les plus jeunes n’ont en effet pas eu accès aux messages choc de prévention présents dans les années 90. Comme il n’y a plus ce bruit de fond médiatique autour du VIH, un certain nombre de gens pensent que le problème est résolu : au contraire, les chiffres montrent que le nombre de personnes séropositives n’a jamais été aussi élevé en France.

Nous avons beaucoup évolué en matière de prévention qu’il s’agisse du dépistage, du traitement antirétroviral des personnes séropositives, de l’usage du préservatif que l’on essaye de promouvoir, mais nous devons continuer ce travail d’information pour limiter la propagation du virus. 

JOL Press : Peut-on vivre aujourd’hui normalement avec le VIH ?
 

Marina Karmochkine : Quelqu’un qui a accès aux soins de façon précoce – d’où l’importance du dépistage – avec un traitement adapté, peut avoir la même durée de vie que quelqu’un de séronégatif. Par contre, la qualité de vie n’est pas la même…Les traitements sont pourvoyeurs de quelques effets secondaires : il y a plus de risque d’infarctus, d’ostéoporose, de diabète et de cholestérol.   

JOL Press : La commercialisation d’autotests en 2014 marquera-t-elle un tournant dans la lutte contre le sida? 
 

Marina Karmochkine : Toutes les armes supplémentaires contre le sida sont une bonne nouvelle. C’est l’addition de toutes ces armes qui sera efficace contre cette épidémie. Mais l’autotest ne résoudra pas le problème, car il y a tout de même en France une très large offre de dépistage. Cinq millions de tests sont réalisés chaque année. Le problème, c’est qu’on ne les fait pas aux bonnes personnes. Les personnes à risque sont justement celles qui n’effectuent pas le test. Le problème n’est donc pas directement lié à l’offre mais au message de prévention. Sans oublier que les autotests sont salivaires, donc un petit moins sensibles que les tests sanguins. 

JOL Press : Comment fonctionnent les traitements post-exposition ?
 

Marina Karmochkine : Les traitements post-exposition sont disponibles dans tous les services d’urgence. Ils sont proposés aux personnes séronégatives qui ont eu un rapport sexuel potentiellement à risque, soit parce qu’il s’agit d’un partenaire séropositif connu non traité, ou bien parce que c’est un partenaire dont on ne connaît pas le statut sérologique. Une trithérapie d’urgence est donnée au patient pendant quatre semaines en prévention de la transmission. C’est un traitement assez lourd composé de trois médicaments.

JOL Press : Depuis plus d’un an, l’essai Ipergay (Intervention préventive de l’exposition aux risques avec et pour les gays) est en cours. Qu’en ressort-il ?
 

Marina Karmochkine :  Cela fait partie des « petites armes » supplémentaires. C’est un protocole qui est en cours, principalement destiné aux homosexuels, et qui vise à évaluer l’efficacité d’un traitement antirétroviral préventif, pris avant un rapport sexuel à risque. Comme l’essai est en cours, nous ne connaissons pas encore son efficacité. Ces traitements qui pourraient être efficaces contre le VIH ne protègent en revanche pas des autres maladies sexuellement transmissibles (MST). Ce comprimé pris avant un rapport pourrait protéger contre le sida, mais sans l’utilisation du préservatif, les partenaires risquent de contracter la syphilis, l’hépatite B, l’hépatite C…

JOL Press : Les pouvoirs publics sont-ils suffisamment mobilisés selon-vous ?
 

Marina Karmochkine :  En ce qui concerne les soins, nous sommes très pauvres… La file active des personnes augmente mais le nombre de soignants n’augmentent pas. La qualité des consultations a vraiment diminué… Nous voyons les patients deux fois par an, et seulement 15 minutes à chaque fois. C’est un temps insuffisant pour faire face à cette maladie chronique. Nous ne sommes donc pas performants pour parler de prévention et de sexualité. Nous sommes trop peu nombreux à nous occuper du VIH et les pouvoirs publics nous demandent toujours plus.

JOL Press : L’éradication de l’épidémie du sida est-elle envisageable ? 

 
Marina Karmochkine :  Mathématiquement, c’est possible : si toutes les personnes séropositives étaient dépistées et traitées, il serait en effet possible d’éradiquer le sida. Mais aujourd’hui, aucun pays ne peut se targuer de faire ça, et je pense que nous en sommes encore loin. Nous essayons de sensibiliser la population au dépistage et de faire du dépistage ciblé sur les migrants d’origine subsaharienne et sur les homosexuels. 

N’oublions pas que la France n’est pas le pays le plus touché : 0,2% de la population est porteuse du VIH dans l’Hexaone. Il y a des pays d’Afrique où encore 20% de la population est contaminée par la maladie. Nous pouvons peut-être éteindre le réservoir dans des pays occidentaux comme la France mais le réservoir ne s’éteindra pas dans le monde entier. Une génération sans sida serait donc envisageable, mais pas dans un futur tout proche. Il faudrait mettre en place un dépistage et un traitement universels. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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