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Grande coalition: négociations musclées entre Angela Merkel et le SPD

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L’Allemagne aura-t-elle un gouvernement pour Noël ?  C’est en tout cas ce que souhaite la Chancelière, qui a fixé au 27 novembre la fin des discussions. D’ici là, le parti démocrate-chrétien d’Angela Merkel (CDU) et son allié conservateur bavarois (CSU) auront dû s’entendre sur un pacte de gouvernement avec leur adversaire d’hier, le parti social-démocrate (SPD).
 
A l’issue des élections du 22 septembre dernier, la CDU-CSU avait raflé 41,5% des voix, tandis que le SPD n’avait recueilli que 26% des suffrages. A cinq sièges de la majorité absolue, la CDU-CSU a besoin d’un allié pour constituer une coalition majoritaire. Deux options se présentaient à Angela Merkel – son allié libéral-démocrate (FDP) ayant quitté la scène parlementaire : soit une alliance de circonstance avec les Verts, soit avec les sociaux-démocrates. C’est cette seconde option qui tient désormais la corde.
 
Reste maintenant à se mettre d’accord, notamment sur les dossiers « chauds », comme la création d’un salaire minimum, les retraites, ou encore l’octroi de la double nationalité pour les étrangers non communautaires (en majorité turcs en Allemagne). 
 

L’accord devra être approuvé par les adhérents du SPD

 
De part et d’autre de la table des négociations, un impératif guide les participants. Côté SPD, il s’agit de ne pas apparaître « cannibalisé » par la victorieuse CDU-CSU, mais bien comme un partenaire, sur un pied d’égalité, de la coalition ; pour cela, il faut arracher quelques mesures symboliques, tel le salaire minimum. Côté CDU-CSU, « on ne lâchera rien » sur un point : pas de hausse d’impôts.
 
Quand, enfin, les 70 négociateurs représentant les trois partis se seront mis d’accord sur un pacte de gouvernement, celui-ci devra encore obtenir l’assentiment des adhérents du SPD – le parti social-démocrate ayant conditionné sa participation aux négociations à la tenue d’un référendum interne. Entre le 6 et le 12 décembre, 470 000 militants devront ainsi approuver ou rejeter la coalition.
 
Quels rapports de force sous-tendent les négociations ? Quelles chances celles-ci ont-elles d’aboutir à un accord ? Le « oui » peut-il l’emporter lors du référendum ?
 
Pour décryper ce qui se joue ces jours-ci dans les coulisses de la politique allemande, nous avons demandé à Henrik Uterwedde, politologue et directeur adjoint de l’Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg, et à Ernst Hillebrand, politologue et directeur du département d’analyse politique internationale de la Fondation Friedriche-Ebert à Berlin, de bien vouloir répondre à nos questions.
 
 
JOL Press : Pourquoi Angela Merkel n’a-t-elle pas préféré former une coalition avec les Verts ?

 

Henrik Uterwedde : Les Verts défendent des positions parfois plus dures encore que le SPD, notamment sur la fiscalité. Une telle alliance aurait provoqué des crispations au sein des deux partis.
 
Cela dit, il existe actuellement de discrets pourparlers entre les Verts et les chrétiens-démocrates, qui montrent qu’une telle alliance pourait ne pas être absurde à l’avenir.
 
C’est l’enseignement de ces dernières semaines : face à l’absence de majorités « évidentes », les tabous et les rejets de principe ne sont plus de mise.
 
JOL Press : Pourquoi une coalition avec les Verts et le parti de gauche Die Linke, qui disposent avec le SPD d’une courte majorité au Bundestag, n’a-t-elle pas été préférée par le SPD à la coalition avec la CDU-CSU ?

 

Henrik Uterwedde : Die Linke, un parti réunissant, d’une part, le parti communiste de l’ex-RDA, d’autre part des déçus du SPD (du genre Mélenchon, avec le même comportement hargneux vis-à-vis du SPD), reste dans une culture de protestation pure et dure et défend des position très jusqu’au-boutistes.
 
Une telle majorité n’offrirait pas la perspective d’un gouvernement stable. De surcroît, elle serait rejetée par une bonne partie des électeurs verts et sociaux-démocrates.
 
Ernst Hillebrand : Une telle coalition disposerait d’une majorité très courte tout en comportant de très fortes contradictions politiques et idéologiques internes.
 
Sur la politique européenne, par exemple, la position des Verts (fédéralistes/ « europhoriques »), du SPD (pro-européen) et du Linke (euro-sceptique) sont assez éloignées.
 
Concernant la politique internationale, il y a souvent des grands écarts entre les différentes positions. Die Linke veut que l’Allemagne sorte de l’Otan, pas le SPD ou les Verts.
 
JOL Press : Pourtant, cette semaine, pour la première fois, le SPD n’a pas exclu de passer une alliance avec Die Linke aux élections de 2017. Pourquoi une telle déclaration au moment même où le SPD négocie un accord de coalition avec la CDU-CSU ?

 

Henrik Uterwedde : C’est stratégique : en levant le tabou, le SPD renvoie la balle dans le camp de Die Linke.
 
Ou bien celui-ci adopte une véritable culture de gouvernement (il en est encore loin à ce jour), et alors un possible rapprochement avec le SPD pourrait s’envisager, ou bien il persiste à refuser tout compromis et à s’isoler, et alors la faute sera de son côté, et non plus du SPD, accusé aujourd’hui d’avoir jeté l’anathème sur Die Linke.
 
En tout état de cause, ce processus prendra du temps ; il est exclu qu’il puisse aboutir avant 2017.
 
Ernst Hillebrand : A court terme, c’est d’abord une manière pour le SPD de peser dans les négociations en cours avec la CDU-CSU, et un avertissement à Angela Merkel.
 
A plus long terme, c’est stratégique : le SPD ne compte pas se contenter indéfiniment du rôle de force auxilliaire de la CDU-CSU ou celui de parti d’opposition.
 
Mais comme une alliance avec les Verts seule ne permet pas de former une majorité, le SPD fait des appels du pied à Die Linke.
 
JOL Press : Sur quels points chacune des partis n’est-elle pas prête aux compromis ?

 

Ernst Hillebrand : Les lignes rouges définis par le SPD sont : l’introduction d’un Smic à 8,50 euros par heure, l’obtention de la double nationalité pour les étrangers non-communautaires.
 
Pour la CDU, pas d’augmentation des impôts et non au mariage homosexuel. Et pour la CSU, l’introduction d’un système de péage pour les utilisateurs étrangers des autoroutes allemandes.
 
JOL Press : La CDU-CSU comme le SPD ne vont-ils pas payer cher leur participation à cette coalition (patronat mécontent de la première, électeurs de gauche « trahis » par le second…) ?

 

Henrik Uterwedde : C’est inévitable. Lors de la grande coalition de 2005 à 2009 [déjà entre la CDU-CSU et le SPD, ndlr], l’aile libérale et patronale de la CDU reprochait à Angela Merkel de s’être « sociale-démocratisée ».
 
Il y a toutes les chances que cela se répète, car le possible nouveau gouvernement devrait suivre un agenda social significatif. 
 
Ernst Hillebrand : C’est bien sûr possible. Néanmoins, il est faux de prétendre comme certains le font que la grande coalition est une alliance non populaire ; elle est au contraire, comme l’attestent les sondages, la fomule gouvernementale préférée des Allemands.
 
JOL Press : Comment le passage d’une alliance avec les libéraux à une nouvelle avec des sociaux-démocrates peut-il infléchir la politique européenne de la Chancelière ?

 

Henrik Uterwedde : Il y aura peut-être une tonalité plus « accomodante » vis-à-vis de l’Union européenne, notamment parce qu’il devrait y avoir une prise en compte des revendications du SPD pour une Europe sociale.
 
Cela étant dit, l’approche fondamentale de la politique européenne allemande changera beaucoup moins qu’on pourrait le croire. Un exemple : la « règle d’or » en vigueur en Allemagne, visant à limiter la dette du pays entre 2016 et 2020, a été votée par le SPD.
 
Ernst Hillebrand : Le nouveau gouvernement devrait être prêt à faire preuve d’une plus grande souplesse dans l’application des programmes d’austérité. Mais sinon, peu de chances de grands changements.
 
La politique européenne, au même titre que la situation économique du pays, est la raison principale du triomphe d’Angela Merkel. « Never change a winning team. »
 
JOL Press : Dans l’hypothèse d’un rejet de l’accord à l’issue du référendum, que décidera Angela Merkel : négocier avec les Verts ou bien former un gouvernement minoritaire – ce qui serait une première en Allemagne ?

 

Henrik Uterwedde : Le rejet de l’accord par la base du SPD pourrait ouvrir la voie à des négociations entre la CDU-CSU et les Verts.
 
La constitution d’un gouvernement minoritaire serait difficile, et risquerait de déboucher très rapidement sur des élections anticipées. Des élections qu’Angela Merkel pourrait gagner en réclamant aux électeurs une majorité stable pour gouverner le pays.
 
Raison de plus, pour le SPD – et donc, éventuellement les Verts -, de parvenir à trouver un accord avec la CDU-CSU.
 
Ernst Hillebrand : La Chancelière essayera d’abord de négocier avec les Verts. Si cela ne donne rien, il y aura une nouvelle élection, avec une large victoire de la CDU à la clé. Les libéraux du FDP feront leur retour au Bundestag [Parlement allemand, ndlr], ainsi que le parti anti-euro AfD. Ce serait un désastre pour la gauche allemande.
 
JOL Press : A quel résultat doit-on s’attendre à l’issue du référendum auprès des adhérents du SPD ?

 

Ernst Hillebrand : Sans doute une majorité, mais courte.
 
Henrik Uterwedde : Cela dépend du résultat des négociations. Les dirigeants du SPD devront avoir arraché quelques mesures symboliques – comme le salaire minimum – pour convaincre leurs militants. Un « non » de ces derniers pourrait provoquer la démission collective des leaders du parti, qui auraient perdu toute légitimité.
 
Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press
 
 
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