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Harcèlement sexuel: une avocate indienne témoigne, un juge visé

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« Parfois, les choses les plus difficiles à écrire sont aussi les plus essentielles », écrit Stella James, jeune juriste indienne, dans une tribune publiée le 6 novembre sur le blog collectif Journal of Indian Law & Society.

« Je crois que cela est d’autant plus vrai lorsque beaucoup de gens, bien plus savants, ont déjà dit et écrit beaucoup sur la question, et ainsi votre propre expérience ne semble pas entrer dans le vaste filet qu’ils ont jeté ».

« Plus puissant que les arguments : l’expérience »

Mais de son expérience, Stella James, ancienne stagiaire auprès de la Cour suprême indienne en décembre 2012, a finalement décidé d’en parler.

« Gandhi a dit : « J’ai quelque chose de beaucoup plus puissant que les arguments : ça s’appelle l’expérience » », cite-t-elle en introduction de son témoignage. « Et c’est de ces mots que je tire ce que je considère la « valeur » de ce témoignage – pas de mon expérience en soi, mais de ce que je pense que mon expérience peut nous enseigner sur des questions beaucoup discutées dans le pays aujourd’hui ».

En décembre dernier, alors que l’Inde se soulevait contre le viol collectif d’une jeune fille dans un bus de New Delhi, provoquant une grande polémique sur les crimes impunis et les failles de la justice indienne, Stella James était elle aussi victime de harcèlement sexuel.

En stage de fin d’année auprès de la Cour suprême, sous la tutelle d’un juge aujourd’hui à la retraite, la jeune femme a subi plusieurs attouchements sexuels de cet homme qui pourrait « avoir l’âge de son grand-père », précise-t-elle dans son témoignage.

Incapacité à trouver un cadre de discussion

Si la jeune femme s’est décidée, un an après les faits, à sortir de son silence en publiant ce témoignage, c’est bien parce qu’elle se sentait coupable d’avoir finalement accepté « une situation inacceptable ». « Même si l’incident m’a profondément affectée, je ressentais peu de colère et presque pas de rancune envers l’homme. J’ai été plus choquée et blessée de voir que quelqu’un que je respectais beaucoup était capable de faire quelque chose comme ça », écrit-elle, expliquant que plus elle réfléchissait, et plus elle réalisait que « le cœur de son malaise résidait dans son incapacité à trouver un cadre dans lequel discuter de cette expérience ou même y réfléchir ».

Pourtant, ses cinq ans d’études de droit lui avaient appris à « se tourner vers la loi en toutes circonstances ». Mais même si elle savait que la loi était souvent insuffisante, Stella James s’est sentie lâche en refusant de mener une bataille juridique contre le juge.

« À la réflexion, cependant, je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi je me suis sentie comme cela. Comme mentionné précédemment, je n’avais, et n’ai encore aucune véritable mauvaise intention envers cet homme, et n’avais aucune envie de mettre son travail et sa réputation en question », confie-t-elle.

« Mais d’un autre côté, je sentais que j’avais la responsabilité de veiller à ce que d’autres jeunes filles ne se retrouvent pas dans une situation similaire. Mais je n’ai pas réussi à trouver une solution qui permette cela. Malgré les débats publics, en dépit d’une vaste armée de vigiles féministes, et malgré les nouvelles lois pénales et les lois sur le harcèlement sexuel, je n’ai pas trouvé d’issue. L’absence d’une telle alternative m’a laissée dans un sentiment paralysant d’impuissance intellectuelle et morale ».

« Ce jour-là, je n’ai rien dit à personne »

Interviewée par le site LegallyIndia, Stella James explique que même si elle avait voulu porter plainte, cela n’aurait probablement pas abouti. « Il n’y avait pas d’autres témoins, il n’y avait que moi. C’était dans une chambre d’hôtel, les gens m’ont vue entrer volontairement, et en sortir très calmement. Je n’en suis même pas sortie apeurée. À ce moment-là, j’ai senti que j’avais besoin de marcher très calmement. Ce jour-là, je n’ai rien dit à personne ».

La juriste a également déclaré au site que la cellule de harcèlement sexuel récemment lancée par la Cour suprême avait peu de chances d’améliorer les choses. « C’est souvent la parole d’une personne contre la parole d’une autre personne, et beaucoup de gens ont tendance à ne pas tenir compte de la parole d’une jeune avocate contre celle d’un avocat confirmé, qui a fait sa réputation depuis 10 ou 15 ans ».

8 viols sur 10 ne sont pas rapportés

La jeune femme, qui travaille aujourd’hui pour une associations de juristes et une ONG, peut désormais s’appuyer sur cette organisation « dans laquelle je sais que si je parle de cela en public, nous sommes 25 personnes, et je suis sûre que j’aurai toute l’équipe derrière moi ».

En Inde, selon les estimations, 8 cas de viols sur 10 ne seraient pas rapportés à la Justice par les victimes. La révélation de Stella James, très médiatisée dans le pays, a poussé la Cour suprême à nommer, mardi 12 novembre, un comité de trois juges pour enquêter sur ces allégations.

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