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Hassen Chalghoumi, modèle d’un «islam de France» improbable

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Au printemps 2012, le journaliste Claude Askolovitch perd son travail en pleine polémique du Halal, et réalise ce qu’il savait déjà : ce qui touche à l’Islam fait basculer son pays hors de la raison. L’anecdote n’est rien en soi, sinon une preuve et un déclencheur. Nos mal-aimés – Ces musulmans dont la France ne veut pas en est la suite, un voyage engagé dans un malheur national, chez des musulmans.

Ce voyage se situe entre une présidentielle « pourrie d’identité nationale », le drame Merah et la crise tunisienne, et nul n’en sort indemne. Il passe par un chauffeur de bus salafiste et fan de l’OM, des soupes populaires halal, des étudiants chastes par amour de Dieu, des volailles bourguignonnes égorgées au son de Basmillah, un blogueur adorant Dieu, des étudiantes cachant leur voile ou récoltant les crachats, des Français paisibles trouvant plus que des raisons au Hamas, un écologiste qui aurait pu être ministre en Tunisie islamiste. Il passe par la France et ce qu’elle est déjà, et ce qu’elle refuse de voir – un pays devenu aussi musulman, complexe, instable et riche, où chacun arbitre entre son quotidien et son fantasme.

Extraits de Nos mal-aimés – Ces musulmans dont la France ne veut pas, de Claude Askolovitch (Grasset – septembre 2013)

Il faut parler de Chalghoumi, ici, et puis le laisser : il est un personnage révélateur de cette mauvaise pièce. Je ne l’ai pas rencontré, par manque d’intérêt et par un choix délibéré de ne pas aller vers les stars éphémères que consomment les médias. Il est roi d’un instant, comète médiatique, honnête homme peut- être, ou arriviste. Qu’importe. C’est l’agitation qui l’entoure qui sert mon histoire. L’homme est une parabole de la complaisance paresseuse ou méprisante des élites républicaines, quand on évoque l’islam ; et de la passion méchante qui saisit des musulmans (les militants, les actifs, mais pas seulement eux) quand ils se retrouvent méprisés.

La légende de Chalghoumi est née en 2009, quand il a été pris à partie par un « collectif Cheikh Yassine[1] » (barbus vindicatifs et harpies en foulard politique, comme on les aime dans les médias, dont l’insanité est démultipliée par la fascination qu’ils exercent) pour avoir critiqué le Hamas au moment de la guerre de Gaza. Avant, l’homme avait fait sa révolution copernicienne, passant du prêche intégriste (imam de foyer Sonacotra, fervent du mouvement piétiste Tabligh[2], grand frère embauché par la RATP pour encadrer des jeunes, expliquant alors qu’il faut emmailloter sa femme dans un niqab de la même manière qu’on protège un diamant – « tu ne traites pas ta femme comme des légumes que tout le monde peut voir et toucher ») aux postures d’ouvertures et à la modernité ostentatoire, partisan du dévoilement et se posant en musulman pro- juif (visitant ainsi, avec force publicité, un jeune juif agressé dans une bagarre interethnique dans le XIXe arrondissement, en 2008). Le tout sans grand retentissement.

[image:2,s]Après l’épisode de Gaza, Chalghoumi est devenu célèbre et positionné. De religieux obscur contesté dans sa mosquée, l’imam est devenu un sujet d’actualité nationale, puis une marque. Deux marques en fait. « L’imam des juifs », pour ceux qui le vilipendent, donc un juste, instantanément, pour les dirigeants des communautés juives, secoués par le désamour environnant, et qui, depuis, ne jurent que par ce gentil prêcheur, l’adoubent et l’entourent, le manipulent, et l’étouffent de leur empressement. Et « l’imam modéré », pour les autorités politiques en mal de musulman convenable, qui de même l’ont couvé, entouré, étouffé, vanté, promu, sous Sarkozy puis sous la gauche, et les médias à l’unisson : deux bouquins, des plateaux télé, une parole recueillie avec la gravité qui accompagne les révélations.

Chalghoumi, sanctifié par l’hostilité des extrémistes, a été installé en icône, puis en penseur, et finalement en modèle d’un « islam de France » improbable, qui n’aurait d’autre caractéristique que celles- ci : 1/ être sous la protection de l’autorité politique (sarkozyenne, puis socialiste) ; 2/ témoigner (en creux) dans les médias de la « radicalité » des autres musulmans ; 3/ affirmer que le problème de l’islam en France est le fait des « influences étrangères », discours ronronnant aux oreilles gallicanes ; 4/ devenir l’ami des juifs, et instrumentaliser ce lien, tant le rapport aux juifs est réputé sésame de l’acceptation ; et au- delà, jouer la corde israélienne ; et puis encore, faire vibrer le lien à la Shoah. Tout ceci pour valider une carrière. Ou l’immense et caoutchouteuse mise à l’index des musulmans d’ici, forcément coupables, s’ils ne disent pas comme Chalghoumi, et forcément haïssables s’ils se refusent à l’aimer. Et ils ne l’aiment pas.

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Claude Askolovitch est journaliste. Il a travaillé au Nouvel Observateur, au JDD, au Point, à Europe 1 et à Marianne. Prix Décembre pour son Voyage dans la France de Le Pen, il a également publié une biographie de Lionel Jospin – tous deux chez Grasset.

[1] Du nom du fondateur du Hamas, prêcheur assassin, finalement assassiné par Israël.

[2] Le Tablighi djama’at ou la Djama’at al-tabligh, l’Association pour la prédication, est un mouvement religieux musulman fondé à la fin des années 20 en Inde. Son activité missionnaire vise à faire revivre la foi des musulmans du monde entier. D’après Wikipédia. Pour ces missionnaires, la France, terre laïque et de communauté musulmane déstabilisée par l’immigration, a été une terre propice et fertile.

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