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Jordanie: une soirée football à Rainbow Street

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Jeunesses arabes propose un regard inédit sur les nouvelles générations du monde arabe. Un regard calme, vivant et parfois déroutant qui s’écarte des clichés. Non, les jeunes Arabes ne peuvent se réduire à quelques clichés, les figures du terroriste potentiel, de l’éternel migrant ou de l’icône exotique de la « révolution » !

[image:2,s]Originaires des deux rives de la Méditerranée et partageant le quotidien de cette génération, les auteurs de cet ouvrage ont décidé de sortir des sentiers battus en racontant comment les jeunes Arabes occupent leurs temps libres : ces temps de liberté et de loisir où ils peuvent réfléchir, s’épanouir et se construire ; ces temps « vides » aussi, où ils peuvent parfois dériver, se perdre et se briser…

Du Maroc au Yémen, de l’Algérie à la Syrie, de la Tunisie au Liban, en passant par l’Irak, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, la Palestine, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ces spécialistes dressent, avec sensibilité, humour ou inquiétude, un portrait exceptionnel de cette génération dont on parle beaucoup, mais qu’on écoute trop rarement. Ce livre donne ainsi la parole à des jeunes hommes et femmes qui, héritiers de traditions plurielles, animés par des idées nouvelles et travaillés par divers mouvements culturels, inventent l’avenir de sociétés en plein bouleversement.
 

Extraits du chapitre « Rainbow street – Diversité, cloisonnement et affirmation des jeunesses d’Amman (Jordanie) » de Cyril Roussel, dans « Jeunesses arabes – Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques » de Laurent Bonnefoy et Myriam Catusse (La Découverte, septembre 2013) :

« La rue Rainbow domine la vieille ville d’Amman et son petit souk populaire. Lorsque les boutiques de la ville basse ferment, les établissements de la colline de Jabal Amman, et plus particulièrement ceux de Rainbow street, l’épine dorsale du quartier, commencent à s’animer.

La rue n’est pas large et l’on ne peut y circuler en voiture qu’en sens unique. Elle n’est pas très longue non plus. La jeunesse l’apprécie parce qu’elle est bordée de plusieurs établissements de restauration orientale et de snacks dans lesquels sont proposés des falafels, des pizzas orientales, des mana’ish-s sur le saj – plaque métallique bombée posée sur un feu de gaz –, et toutes sortes de spécialités culinaires syro-libanaises ou européennes.

Parce qu’elle permet de déambuler entre amis et amies, de s’asseoir sur des bancs en contemplant la ville basse en écoutant des jeunes musiciens jouer de la guitare autour de petites placettes aménagées, Rainbow street est fréquentée sans réelle distinction socio-économique, chacun consommant alors selon ses moyens.

Dans la journée, la rue ne se distingue pas des autres quartiers commerçants « à la mode » d’Amman. Mais les soirs de match de football, la rue s’anime d’une ferveur particulière. Les marchands ambulants de fanions et de drapeaux aux couleurs des deux clubs favoris de la jeunesse jordanienne – Real Madrid et F.C. Barcelone – se retrouvent tous ici.

Les bars à narguilés se remplissent plus de deux heures avant le coup d’envoi du match, car les plus fervents veulent être certains d’avoir une bonne place… devant l’écran ! Les supporteurs les plus assidus se retrouvent dans deux établissements caractéristiques de la rue, deux cafés mitoyens qui partagent le même trottoir.

Les tables des deux établissements sont voisines et leurs écrans géants suspendus dos-à-dos à un même mur. L’un accueille les pro-Barcelone alors que l’autre reçoit les pro-Madrid. Entre les deux groupes, l’ambiance est survoltée, électrique parfois, un poil provocatrice mais jamais agressive.

Une fois le match entamé, les deux groupes basculent dans un duel où chacun nargue l’autre au gré des actions et des jolis gestes techniques de leur équipe préférée. L’affrontement est indirect entre les groupes de jeunes ; c’est le niveau sonore qui renseigne sur l’équipe qui a pris provisoirement, ou définitivement, l’avantage. Sur le trottoir, des jeunes hommes sont agglutinés, debout, afin de ne pas trop gêner le flot de circulation sur la chaussée toute proche.

Car les voitures sont aussi de la partie. Certaines sont décorées ou recouvertes des drapeaux du club fétiche. Elles circulent au pas, s’arrêtant à tour de rôle à la hauteur de l’attroupement. Et comme si tout ce monde se connaissait déjà, la discussion s’engage sur le score du match ou sur les pronostics. Plus loin à l’arrière, d’autres chauffeurs enfoncent le klaxon.

La circulation reprend, hoquetant, à un rythme de sénateur, puis s’interrompt de nouveau avant de redémarrer dans un manège sans fin. Le sort de la rencontre détermine au final celui qui occupera la rue pour le reste de la soirée. Les « vaincus » n’auront d’autre choix que de s’éclipser en attendant la revanche»

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Cyril Roussel est chercheur à l’institut français du Proche-Orient (Ifpo – Jordanie). Il a publié Les Druzes de Syrie. Territoire et mobilité (Presses de l’Ifpo, Beyrouth, 2011).

Laurent Bonnefoy est politologue et spécialiste du monde arabe. Chercheur au CNRS, il travaille au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAN).

Myriam Catusse est politologue et spécialiste du monde arabe. Chercheuse au CNRS, elle travaille à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM).

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