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Kazakhstan: Nicolas Sarkozy, «l’Aigle d’or» du dictateur Nazarbaev

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« En guerrier solitaire, je me dresse contre un monolithe qui possède d’immenses moyens et profite d’énormes complicités. Je n’espère pas le vaincre, j’espère tout simplement être entendu. » Ce guerrier solitaire, c’est Viktor Khrapounov, ancien maire d’Almaty, ex-ministre de l’Énergie du Kazakhstan, contraint désormais à l’exil. Depuis la Suisse où il réside, il dresse un puissant réquisitoire sur les vingt ans de règne de Noursoultan Nazarbaev, ce jeune et dynamique président devenu, au fil des années, un vieux dictateur rusé et impitoyable.

Si le public occidental en sait si peu, c’est parce que le pouvoir kazakh jouit de la duplicité de moult gouvernements et multinationales. Des chefs d’État, parmi lesquels Nicolas Sarkozy et François Hollande, s’empressent de dérouler le tapis rouge devant ce leader d’apparence joviale, visé pendant des années par la justice de plusieurs pays pour avoir reçu des pots-de-vin somptueux en échange de juteux contrats.

À travers un récit haletant, Viktor Khrapounov nous plonge dans les réalités de ce pays lointain et mystérieux qu’est le Kazakhstan, et nous permet de mieux comprendre ce qu’il s’est passé dans le monde postsoviétique depuis l’éclatement de l’URSS en 1991.

Extraits de Nazarbaev, votre ami le dictateur de Viktor Khrapounov (Editions du Moment, 14 novembre 2013)

« Si le président kazakh se débrouille aussi bien sur la scène internationale, malgré les scandales financiers qui éclatent de façon récurrente autour de sa personne et de sa famille, malgré les violations systématiques des droits de l’homme commises dans son pays et malgré un culte de sa personnalité qui prend des proportions de plus en plus grotesques et odieuses, c’est pour deux raisons principales.

Première raison : l’extraordinaire habileté de Nazarbaev en matière de politique étrangère. Dans ce domaine, il joue un jeu complexe en affirmant conduire une politique « multivectorielle ». Il est vrai qu’il entretient d’excellentes relations avec la Russie, mais aussi avec la Chine, avec les États-Unis (depuis que le Kazakhgate est enterré), avec le monde islamique… Bref, il est l’ami de tous ceux dont il peut tirer profit. […]

Seconde explication : le Kazakhstan est l’un des pays les plus riches du monde en matières premières. Et comme ces richesses sont exploitées en grande partie par des sociétés étrangères (surtout par celles qui savent « partager le gâteau » avec la famille présidentielle), les multinationales et les gouvernements du monde entier ont intérêt à entretenir des relations dites « cordiales » avec Astana.

[image:2,s]À titre d’exemple, prenons le grand pays démocratique qu’est la France. Nous sommes en 2009. Le président Sarkozy s’efforce à tout prix d’empêcher son pays de sombrer dans la crise. C’est alors que les relations entre Paris et Astana connaissent un essor spectaculaire. Le 6 octobre, Sarkozy arrive dans la capitale kazakhe pour une visite éclair, accompagné d’un cortège de ministres et d’hommes d’affaires. 24 accords et protocoles bilatéraux sont signés en l’espace de 24 heures, pour un fabuleux montant de 6 milliards de dollars.

À écouter Sarkozy lors de la conférence de presse qui clôt sa visite, on a l’impression que la France et le Kazakhstan viennent d’entrer dans une ère d’amitié éternelle, abondamment arrosée de pétrole, de gaz, de divers projets aérospatiaux, de nucléaire civil et, bien entendu, de parfums français. Sarkozy tient la promesse qu’il a faite aux cercles d’affaires français dès son élection, à savoir un Drang nach Osten [« Marche vers l’est » ou Ostkolonisation, désigne le mouvement de colonisation germanique vers l’est, depuis la première moitié du XIIe siècle jusqu’au XIXe siècle] vers l’Asie centrale.

Cette amitié stratégique semble tellement fondamentale à l’impétueux président français qu’il ignore totalement les demandes des défenseurs des droits de l’homme kazakhs et de différentes ONG internationales : rappeler au président Nazarbaev la triste réputation du Kazakhstan en matière de libertés publiques. Sarkozy est venu au Kazakhstan non pas pour donner des leçons, mais pour régler des problèmes réels, dixit le chef d’État français. Heureux, Nazarbaev décore son invité de marque d’un ordre du mérite répondant au fier nom d’ordre de l’Aigle d’or.

Quelques mois plus tard, le 6 juillet 2010, à l’occasion de l’anniversaire de son ami Nazarbaev qui fête alors ses soixante-dix ans, « l’Aigle d’or » lui envoie une missive flatteuse : « Sous ta direction, écrit-il, le Kazakhstan est devenu l’un des pays les plus développés de l’espace postsoviétique… Astana est devenue une capitale futuriste au développement spectaculaire. »

Surtout, Sarkozy y réaffirme son soutien indéfectible quant à l’idée d’un sommet de l’OSCE sous présidence kazakhe. Bref, tout baigne. Mais peut-on sortir indemne d’un pacte avec le diable ? Le scandale éclate début octobre 2012, après que Sarkozy a quitté le pouvoir. C’est le journal satirique français Le Canard enchaîné qui vend la mèche. Le fond de l’affaire ? En 2010, Nicolas Sarkozy, fidèle à son rôle de président-démarcheur, a proposé au Kazakhstan d’acheter 45 hélicoptères Eurocopter EC725. À l’époque, chaque hélicoptère coûte 25 millions de dollars. La communauté Internet kazakhe se perd en conjectures. Le Kazakhstan a-t-il besoin de ces engins puissants pour protéger ses installations sur la Caspienne contre l’Iran ? Ou entend-il traquer des terroristes après le départ des troupes américaines de l’Afghanistan, prévu en 2014 ?

45. La quantité paraît encore plus énorme quand on sait que l’armée de l’air française ne possède que 19 de ces hélicoptères ! Pourtant, le président Nazarbaev se montre prêt à satisfaire, en partie, la requête de son ami français. Il est partant pour lui en acheter 20, ce qui représente tout de même la coquette somme d’un demi-milliard de dollars. Mais il pose ses conditions. En échange, Sarkozy doit utiliser son influence pour sortir d’un scandale de corruption en Belgique le puissant trio kazakh dont j’ai déjà parlé à maintes reprises dans ce livre : Patokh Chodiev, Alexandre Machkevitch et Alidjan Ibrahimov. Il semblerait que le président français se soit exécuté.

En effet, alors que le trio se trouve dans de sales draps à cause d’une affaire de corruption liée, une fois de plus, à la société Tractebel, le parlement belge vote en toute hâte, au mois d’avril 2011, une loi qui permet d’éviter une procédure judiciaire en échange d’une somme d’argent. En clair, elle autorise une transaction financière, même lorsqu’un procès est en cours ou lorsque la condamnation est déjà prononcée et que l’affaire va être examinée en appel.

Cette loi si opportunément votée permet illico presto à Chodiev, l’homme le plus riche de Belgique, et à ses deux compagnons d’arrêter l’action en justice menée contre eux par les magistrats belges, moyennant la somme de 23 millions d’euros. C’est si simple ! Puisque la justice belge n’a pu être achetée, on a tout simplement changé la législation !

Le journaliste du Canard enchaîné, Hervé Liffran, met en cause le vice-président du sénat belge, Armand De Decker, qui aurait promu cette loi à la demande de Claude Guéant, ancien secrétaire général de l’Élysée puis ministre de l’Intérieur sous Sarkozy. Le journaliste affirme avoir en sa possession plusieurs échanges de courriels entre le conseiller diplomatique de Sarkozy pour l’Asie centrale, Claude Guéant et les avocats du trio kazakh. Le reste n’est que pure conjecture. Le contrat pour l’achat des hélicoptères français a été signé par Nazarbaev à peine quelques jours après l’adoption de la loi…

Notons que ce même Armand De Decker, une personnalité politique belge de premier plan, également maire d’une commune de Bruxelles dénommée Uccle, a ordonné, le 18 décembre 2012, la dispersion d’une manifestation de la diaspora kazakhe devant l’ambassade du Kazakhstan à Bruxelles, dont l’objectif était de commémorer la tragédie de Janaozen et d’appeler le régime de Nazarbaev à gracier les condamnés. Je crois que cela se passe de commentaires ».

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Viktor Khrapounov, soixante-cinq ans, a été maire d’Almaty (ancienne capitale et la plus grande ville du Kazakhstan), ministre de l’Énergie, gouverneur du Kazakhstan-est et ministre aux Situations d’urgence. Contraint à l’exil depuis six ans par le régime de Nazarbaev, il vit en Suisse, à Genève. 

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