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La correspondance de Churchill et son épouse enfin traduite en français

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Les écrits de Winston Churchill, depuis son premier et unique roman jusqu’à ses Mémoires de Guerre, en passant par ses biographies et ses recueils d’articles, ont presque tous été traduits en français. Ce n’est pas le cas de sa correspondance avec son épouse, publiée en 1998 aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne sous le titre : Speaking for themselves, et sous-titrée : The personal letters of Winston and Clementine.

Conversations intimes (1908-1964), introduit et annoté par leur fille Mary Soames, est un choix dans les centaines de lettres, notes personnelles et télégrammes échangés entre Churchill et son épouse entre 1908 et 1964. Les annotations de leur fille, qui a été témoin de bien des épisodes mentionnés dans les lettres, ajoutent un éclairage précieux à cette correspondance intime, dans laquelle la politique constitue bien souvent une partie intégrante de l’intimité.

Extraits de Conversations intimes (1908-1964), Editions Tallandier (14 novembre 2013)

Le 21 décembre 1941, à la Maison Blanche

Ma chérie,

Hier, samedi, s’est achevée la semaine la plus longue que j’aie vécue depuis le début de la guerre. Nous avons eu une succession presque ininterrompue de tempêtes. Pendant une bonne partie du temps après avoir contourné la pointe de Bloody Foreland au milieu de la zone la plus exposée aux sous-marins et aux Focke Wulf nous ne pouvions pas filer plus de six nœuds sans abandonner notre escorte de destroyers. 36 heures durant nous sommes restées au plus à 5 ou 600 milles de Brest, avec ses escadrilles de bombardiers, et nous avons eu beaucoup de chance qu’aucun Focke Wulf ne nous repère dans une trouée entre les nuages.

Il y a trois jours nous avons laissé nos destroyers derrière nous car ils ne pouvaient suivre dans cette grosse mer, et dans une demi-heure nous espérons rencontrer l’escorte de destroyers américains juste au nord des Bermudes. La météo est redevenue si exécrable que nous les laisserons sans doute derrière nous eux aussi pour ne pas ralentir, mais malgré cela nous parlons désormais de mardi après-midi pour l’arrivée probable à Annapolis. Si cela se réalise, la traversée aura pris dix jours, ce qui représente un long bail dans des moments comme ceux-ci. Je vais très bien et n’ai pas eu du tout le mal de mer, bien que j’aie pris deux doses de Nautamine le premier jour. Ces bateaux ne peuvent pas filer plus de 17 ou 18 nœuds dans une mer vraiment grosse. Personne n’est autorisé à aller sur le pont, et nous avons deux hommes qui se sont cassé le bras ou la jambe. J’ai une belle cabine proche de la passerelle en plus de mes appartements à l’arrière. Ils sont inutilisables à cause du bruit et des vibrations. Ici il fait frais, l’endroit est tranquille et éclairé par la lumière du jour.

[image:2,s]Je passe la majeure partie de la journée au lit, je me lève pour le déjeuner, je retourne aussitôt au lit ensuite pour faire la sieste et me relève pour le dîner. Je réussis à avoir beaucoup de sommeil mais j’ai abattu aussi beaucoup de travail pendant que j’étais éveillé. Les transmissions fonctionnent très bien pour ce qui est des télégrammes officiels et des renseignements secrets. Nous avons 27 spécialistes du chiffre à bord rien que pour ce service, et tous mes télégrammes à Auchinleck, entre autres, passent bien, mais en matière d’informations générales on ne sait guère que ce que la radio nous dit… Nous formons une tablée très sympathique au moment des repas, et tout le monde est désormais habitué à ce que cela bouge.

Un grand avantage, c’est le cinéma. Tous les soirs nous regardons un film. J’en ai vu de très bons. Celui d’hier soir, Arènes sanglantes, qui parle de toréadors, est le meilleur que nous ayons vu jusque-là. Le cinéma est un divertissement merveilleux, qui détourne l’esprit de tout le reste. À propos de ce reste. Le pire qui soit arrivé est l’effondrement de la résistance d’Hong Kong ; même si on savait que c’était un avant-poste isolé, nous espérions qu’ils tiendraient sur l’île fortifiée pendant un bon nombre de semaines, voire de mois, mais là ils semblent au bord de la reddition après seulement quinze jours de lutte. Les nouvelles ne sont pas non plus très bonnes en provenance de Malaisie. Du fait que nous avons perdu la maîtrise des mers, les Japonais ont des capacités de renfort illimitées, et nos hommes battent en retraite avec l’ordre de défendre la pointe sud et la Forteresse de Singapour, absolument cruciale.

J’ai donné de nombreuses instructions pour que l’on déplace les troupes, les canons et l’aviation vers cette direction. Il faut nous attendre à souffrir lourdement dans cette guerre avec le Japon, et cela ne sert à rien aux critiques de demander « Pourquoi n’étions-nous pas prêts ? » alors que tout ce dont nous disposions était déjà entièrement engagé. L’entrée en guerre des États-Unis vaut très largement toutes les pertes subies en Orient. Reste que ces pertes sont très douloureuses et seront très difficiles à réparer.

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