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«La mort de Kennedy a fait de sa vie un destin»

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JOL Press : Les États-Unis commémorent aujourd’hui le 50ème anniversaire de l’assassinat de Kennedy. Pourquoi ces commémorations sont-elles si médiatisées ?

Thomas Snégaroff : Cela tient d’abord au mystère entourant la mort de Kennedy et aux conditions de cette mort, qui font débat encore aujourd’hui.

Il y a aussi, je pense, d’un point de vue américain, une nostalgie des années 60 et d’une Amérique qui aurait disparu avec la mort de Kennedy : une Amérique sûre d’elle-même, belle, jeune, éternelle, qui avait l’avenir devant elle et qui a laissé place à une Amérique minée par la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate, la mort de « Bobby » [le frère de JFK] et celle de Martin Luther King en 1968… C’est un peu la fin d’un âge d’or symbolisé par John F. Kennedy.

Il y a aussi un côté glamour du personnage lui-même, qui aujourd’hui encore continue de fasciner. La mode des années 60 est revenue, notamment avec des séries comme Mad Men. On voit très clairement que Kennedy et le « style Kennedy » appartiennent à l’imaginaire populaire, au-delà de la théorie du complot, de sa mort etc. C’est aujourd’hui une figure de la culture populaire occidentale, au même titre que peut l’être Marilyn Monroe, par exemple. 

Il y a enfin un aspect un peu plus vénal de cette médiatisation, car les journaux savent bien que Kennedy est un sujet très vendeur…

JOL Press : Quelles étaient les relations de JFK avec son père ? Et le soutien – notamment financier – de son père a-t-il été déterminant pour la carrière politique de Kennedy ?
 

Thomas Snégaroff : Il y a un très grand respect du fils pour le père. Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, le père n’est pas distant avec ses enfants, il est même assez chaleureux, beaucoup plus que la mère Rose. En revanche, il est extrêmement ambitieux pour ses enfants, il ne supporte pas que ses enfants soient dépassés. Pour un Kennedy, un second, c’est un dernier. Il met une très forte pression sur ses enfants, et en particulier sur le fils aîné, donc « Joe » Jr., mort en 1944 et qui devait au départ assumer l’ambition de son père qui souhaitait faire de lui le président des États-Unis.<!–jolstore–>

Le père de John fonde finalement ses espoirs dans son deuxième fils, qu’il soutient financièrement dès sa première campagne électorale en 1946. On raconte même que des liasses de billets circulaient de main en main pendant les meetings de campagne. Les conditions de campagne de John sont facilitées par l’argent, il se balade dans tout le pays en avion, au point que certains lui reprochent de ne pas être assez représentatif des Américains.

JOL Press : En quoi les problèmes de santé de JFK ont-ils influé sur sa vie et sur ses décisions politiques ?
 

Thomas Snégaroff : Ses problèmes de santé commencent dès son plus jeune âge. Il a des problèmes de dos à l’adolescence et on lui détecte ensuite la maladie d’Addison, une maladie produite par une déficience des glandes surrénales. Il en souffrait beaucoup, mais il masquait sans arrêt ses souffrances. Non seulement ses problèmes physiques sont cachés, mais on vend l’image d’un homme courageux, viril, en forme, un modèle de la « jeunesse éternelle », une expression souvent utilisée à son égard.

La santé de Kennedy et ses ambitions ont joué un rôle dans sa vie politique, comme lors d’une rencontre avec Khrouchtchev à Vienne, en 1961. Kennedy sait qu’il est aussi jeune que le fils du dirigeant soviétique, mais il veut se mesurer à lui, lui montrer à qui il a affaire. Il lui impose en quelque sorte un combat viril, un combat de corps à corps. Mais John est véritablement humilié par Khrouchtchev. Il prend cependant sa revanche lors de la crise de Cuba, où Kennedy retrouve son autorité et parvient à s’imposer.

On sait qu’il veut se conformer à l’image que son père attend de lui. D’ailleurs, après la rencontre de Vienne, Kennedy rentre à Washington et dit à son frère Bobby que Khrouchtchev est « pire que papa ».

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JOL Press : On présente souvent JFK et le couple qu’il formait avec Jackie sous un jour « glamour ». Mais quelles étaient les « parts d’ombre » de JFK à ce sujet ?
 

Thomas Snégaroff : On sait évidemment que c’était un séducteur invétéré et qu’il a eu dès la fin de l’adolescence, jusqu’à plusieurs maîtresses par jour. Il racontait toujours qu’il préférait la séduction plutôt que l’acte sexuel lui-même, qui n’était jamais très long. Il a multiplié les conquêtes, avant et pendant le mariage, il ne s’est jamais arrêté. Il organisait même des orgies sexuelles, soit dans Washington, soit dans le Sud de la France, sur la côte d’Azur, avec des amis ou son frère, et ils enchaînaient les conquêtes. Là, John pouvait enfin laisser aller son corps…

Jackie n’est pas non plus une épouse éplorée. Elle a aussi choisi Kennedy pour l’argent, mais elle a beaucoup souffert de ses infidélités, notamment lorsqu’en août 1956, John est sur la Côte d’Azur et Jackie donne naissance à un bébé mort-né. John ne rentre pas à Washington. Jackie a failli divorcer, elle quitte le domicile familial et rentre chez ses parents pendant un temps. Elle finit par rentrer, et à un de ses proches elle confie : « Les Kennedy sont trop forts ».

Encore une fois, JFK a réussi à donner l’image du couple parfait, d’une famille idéale.

JOL Press : Quels ont été les grands échecs de la vie de Kennedy ?
 

Thomas Snégaroff : Il y a évidemment des échecs en politique étrangère : le mur de Berlin par exemple, dont Kennedy n’arrive pas à empêcher la construction en 1961 ; Fidel Castro, qu’il ne parvient pas à renverser ; il a également eu du mal à travailler avec le Congrès américain. Il n’a pas osé ou pas su faire avancer les grands problèmes sociaux, parce que les démocrates du Congrès étaient plutôt conservateurs, même si des jalons ont été posés avant sa mort, et ont permis des avancées ensuite.

JOL Press : À partir de quel moment peut-on dire que s’est forgé le « mythe » Kennedy ?
 

Thomas Snégaroff : Cela commence très tôt. À peine arrive-t-il au Congrès en 1946 qu’il est déjà considéré comme une des étoiles montantes. Et même plus tôt, lors du sauvetage de son équipage dans le Pacifique, pendant la Seconde Guerre mondiale… Et encore avant, lorsque son mémoire d’Harvard sur Neville Chamberlain, retravaillé par les amis de son père, reçoit une mention et devient un best-seller. Le mythe devient d’autant plus fort dans sa mort : pour reprendre une phrase de Malraux, la tragédie de la mort de Kennedy a fait de sa vie un destin.

Le mythe a ensuite été entretenu, symbolisé par la flamme éternelle allumée par sa femme Jackie lors de ses obsèques en 1963, au milieu du cimetière militaire d’Arlington, en Virginie. Il y a vraiment la volonté de préserver intacts le mythe et l’image de John.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Thomas Snégaroff est directeur de recherche associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Spécialiste des États-Unis, agrégé d’histoire et titulaire d’un DEA d’histoire contemporaine, il enseigne à Sciences Po Paris, en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce, et à IRIS Sup’. Il est notamment l’auteur de Kennedy, une vie en clair-obscur (Armand Colin, septembre 2013).

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