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La situation inquiétante des minorités musulmanes en Birmanie

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JOL Press : Pouvez-vous nous décrire le rôle de votre association, Info Birmanie ?
 

Cécile HARL : Nous sommes un centre d’information et de plaidoyer sur les droits de l’Homme et la démocratie en Birmanie. Notre action a deux volets. Le premier consiste à sensibiliser le grand public sur ce qui se passe en Birmanie, à informer sur la situation des droits de l’Homme dans le pays. Le second volet, c’est l’aspect plaidoyer, pour essayer de faire pression sur les décideurs français et européens afin, qu’à leur tour, ils fassent pression sur le gouvernement birman, sur toutes les questions relatives aux droits de l’Homme. Même si elle est pour l’instant moins développée, notre action a également une partie soutien à la société civile birmane.

JOL Press : Comment se passe la collecte d’information ?  Par la collaboration avec des acteurs locaux ?
 

Cécile HARL : On travaille, il est vrai, avec des organisations locales. Plusieurs missions de terrain sont organisées chaque année. Elles nous permettent d’être directement en contact avec de petites organisations qui n’ont pas forcément accès à internet ou qui ne l’utilisent pas. C’est vraiment un moyen d’avoir une information la plus récente et la plus proche du terrain possible.

A côté de cela, on travaille avec un groupement d’associations au niveau européen, l’Européen Burma Network. C’est un réseau d’associations européennes qui ont exactement les mêmes missions que nous. On se voit tous les six mois pour définir les axes stratégiques d’action et avoir un message cohérent et commun. C’est aussi grâce à ce réseau que l’on obtient beaucoup d’informations, tout comme l’appartenance à certaines réseaux internationaux.

JOL Press : Aujourd’hui où en est-on en Birmanie d’un point de vue purement économique, au niveau des infrastructures notamment ?
 

Cécile HARL : Les infrastructures sont très peu développées. Le réseau ferroviaire date par exemple de l’époque coloniale. Plus de 70% des habitants ne disposent pas d’un accès continu à l’électricité. Le système bancaire est lui aussi très peu développé.

Le pays s’ouvre aux investisseurs depuis peu, un an et demi environ, mais ces derniers sont encore hésitants. La faiblesse des infrastructures engendre un surcoût pour les entreprises et même si les salaires sont très peu élevés, le pays souffre d’un manque de main d’œuvre qualifiée. Les conflits armés qui subsistent n’incitent pas non plus les investisseurs à venir.<!–jolstore–>

JOL Press : Quelle est la situation religieuse et ethnique du pays ?
 

Cécile HARL : Il existe, en Birmanie, 135 minorités reconnues. D’autres minorités, non reconnues par la constitution, vivent cependant sur le territoire, parfois depuis des générations, comme les Rohingyas.

La grande majorité de la population est bouddhiste, environ 90%. Il y aurait ensuite environ 4% de musulmans et 4% de chrétiens. 

JOL Press : Il y a eu récemment le naufrage d’un navire transportant 70 personnes de la minorité musulmane Rohingya. Fuyaient-ils les persécutions ?
 

Cécile HARL : Ils fuyaient le nettoyage ethnique en cours en Birmanie. Ils étaient originaires de l’Etat d’Arakan, où les discriminations et les persécutions sont les plus importantes envers ces populations musulmanes.  Il y a, dans cet Etat, un racisme avéré, et presque toléré par les autorités. Ce racisme s’est propagé dans le pays ces deux dernières années. Et ce n’est pas uniquement contre les Rohingyas, contre d’autres groupes également, les Kamans par exemple.

Les Rohinyas ne sont pas considérés comme des citoyens birmans. Ils n’ont plus de possibilités d’avoir de cartes d’identités, avec toutes les difficultés que cela entraîne. Il y a également une disposition récente qui tente de les empêcher d’avoir plus de deux enfants.

Ce sont les violences avec les bouddhistes qui conduisent à ces tentatives d’exode, avec de plus en plus de bateaux de fortune qui quittent les côtés. Il y a aussi des campagnes de haine menées par certains moines bouddhistes influents dans le pays et le mouvement 969, qui a vraiment participé à ce phénomène. La situation est implicitement tolérée par le gouvernement, qui ne réagit pas.

JOL Press : Comment ces populations Rohingyas sont-elles devenus apatrides ?

Cécile HARL : Cela date de 1982, année à laquelle une loi sur la citoyenneté a été mise en place, et le dictateur birman de l’époque, Ne Win, a décidé de les en exclure. Depuis, il n’est donc plus possible pour eux d’avoir des cartes d’identité, il y a des directives qui les empêchent également de quitter le territoire d’Arakan sans autorisation.

Ils essaient de fuir là où c’est possible, en fonction des réseaux de passeurs, avec bien sûr une préférence pour la Malaisie, puisque c’est un pays musulman et que beaucoup de Rohingyas s’y trouvent déjà.

JOL Press : Pendant que ces persécutions se poursuivent, Aung San Suu Kyi reste étrangement silencieuse, comment peut-on expliquer son attitude ?
 

Cécile HARL : Elle pense aux élections de 2015, cela l’oblige d’une part à composer avec les militaires, et d’autre part, d’essayer d’éviter de froisser une population majoritairement bouddhiste. Elle refuse de reconnaître l’existence d’un nettoyage ethnique en cours, en soulignant qu’il y a eu des violences de deux côtés. Elle sait que si elle se met à dos la population bouddhiste elle ne pourra pas gagner les élections.

JOL Press : Le pouvoir a-t-il vraiment changé finalement ?
 

Cécile HARL : Les militaires sont, dans les faits, toujours au pouvoir. La communauté internationale salue le fait que ce soit un gouvernement civil désormais, mais il faut savoir qu’au parlement, il y a encore 25% de militaires qui siègent de façon obligatoire. Si la décision de « délaisser » la dictature a été prise, c’était principalement dans le but de faire lever les sanctions internationales, ce qui a été le cas. Les militaires gardent les pleins pouvoirs mais de manière plus discrète, notamment par le biais de l’économie. 

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

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