Site icon La Revue Internationale

Le modèle allemand (enfin) remis en cause?

[image:1,l]

 

JOL Press : L’enquête de la Commission européenne visant les excédents dégagés par l’Allemagne vous semble-t-elle légitime ?
 

Michel Santi : Ce que l’on peut déjà se demander, c’est pourquoi la Commission européenne fait, enfin, cette enquête. Cela fait des années que plusieurs économistes « hétérodoxes », auquels j’appartiens, en parlent et dénoncent les excédents allemands. Le fait que la commission européenne finisse par en parler maintenant, prouve d’une certaine manière, que l’Europe est aux abois. Elle doit chercher la croissance là où elle le peut, sachant que l’on a la preuve désormais que tous les programmes d’austérité qui ont été appliqués dans les pays européens périphériques, y compris en France, ne fonctionnent pas.

La Commission européenne est acculée, et consciente que les programme d’austérité ne vont pas entrainer un retour de la croissance. Pour simplifier, elle se dirige là où il y a l’argent, c’est-à-dire dans les coffres allemands. Maintenant, est-ce que c’est légitime ? Il semble évident que oui, tout simplement parce que les excédents allemands ont pour corolaire le déficit des pays européens périphériques. Il y a toujours ce double flux de liquidités.

Les excédents allemands ne se sont pas développés par magie depuis l’avènement de l’Euro. C’est tout simplement parce qu’il y a eu un boom spéculatif lorsque plusieurs pays, l’Espagne, la Grèce, le Portugal notamment, ont acquis l’Euro comme monnaie. Le phénomène a pris des formes différentes selon les pays, avec en Espagne et en Irlande par exemple, une bulle immobilière.

Chaque pays a connu son moment d’euphorie, qui a touché un ou plusieurs de ses marchés. Et cette croissance euphorique qui a eu lieu jusqu’en 2007-2008 dans certains pays européens périphériques s’est traduite entre autre, par une consommation effrénée de produits allemands. C’est grâce à cela que l’Allemagne a généré ses excédents, commerciaux et de la balance des paiements.

Cela fait plusieurs années que l’on demande un effort à l’Allemagne mais qu’elle refuse. Pourtant, cet effort est indispensable, parce que nous sommes dans une union monétaire, sans quoi elle n’aurait aucune obligation. On ne peut pas demander des dévaluations intérieures aux pays périphériques sans demander également, en même temps, un regain de consommation en Allemagne, pour qu’un rééquilibrage se produise.

JOL Press : Ce qu’espère la Commission, c’est donc, en soi, que l’Allemagne recentre son modèle économique sur la demande intérieure ?
 

Michel Santi : Oui, c’est la condition sine qua non à un rééquilibrage en Europe, parce qu’une fois que la consommation intérieure allemande repartira, non seulement les consommateurs allemands finiront bien par acheter des produits des pays périphériques, mais cela induira également une certaine inflation. Or, on sait qu’aujourd’hui l’Europe souffre plutôt d’une situation proche de la déflation. S’il y avait un peu d’inflation en Europe, disons entre 2 et 3%, cela allégerait de manière substantielle le fardeau de la dette des pays périphériques.

JOL Press : Dans la mesure où le risque d’hyperinflation est quasiment nul en Europe, pourquoi l’Allemagne refuse-t-elle d’opérer ce changement ?
 

Michel Santi : Il y a plusieurs raisons. L’Allemagne a une hantise de l’inflation, cela remonte maintenant à très loin. C’est l’excuse traditionnelle. Mais on peut y voir également une raison morale. L’Allemagne veut, dans une certaine mesure, donner une leçon aux mauvais élèves européens. Le gouvernement allemand est, au même titre qu’une partie importante de la population, persuadé que l’argent du pays a été rudement gagné.

Aux autres donc de faire les mêmes efforts, une « concession » aux autres pays européens, que ce soit sous forme d’inflation ou autre, serait en contradiction avec leur morale rigoriste. Il y a donc une connotation morale non négligeable.

L’autre élément à prendre en compte se situe du côté de la démographie. L’Allemagne est un pays qui vieillit, et une population qui vieillit est nécessairement une population qui s’accroche à son épargne. Or, comme tout le monde sait, l’inflation est l’ennemi numéro un de l’épargne.

JOL Press : Comment peut-on expliquer le fait que la commission prenne cette décision maintenant, puisque, comme vous l’avez indiqué, le problème est loin d’être nouveau ?
 

Michel Santi : Parce que l’Europe a été fondée sur un modèle néolibéral, un modèle qui impose que l’Etat soit réduit à sa plus stricte expression, et qui considère que la marché et les entreprises doivent faire la vie économique. Cela fonctionne en temps normal, hors crise, l’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie, il doit simplement être là pour réglementer. Mais à partir de 2008, face a une crise sans précédent, le rôle de l’Etat n’a pas été renforcé, à l’inverse de ce modèle néolibéral, qui aurait dû lui, être remis en question.  

Il faut bien se rappeler que la crise est venue, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, des abus de la finance. Les Etats européens ont creusé leur déficit uniquement pour sauver leurs banques. Un pays comme L’Espagne était excédentaire avant la crise.

Si on demande à l’Etat de réduire ses dépenses, pour rentrer dans les clous des 3% de déficit budgétaire par rapport au PIB, c’est tout simplement dans une volonté de démanteler l’Etat.

JOL Press : Que faudrait-il mettre en place pour que l’Allemagne change de position sur ses excédents mais également sur le niveau de l’euro ?
 

Michel Santi : C’est compliqué car même actuellement, en étant remise en question par la Commission européenne et par le gouvernement américain, qui a lui aussi dénoncé les excédents allemands, l’Allemagne se montre intransigeante. Lorsque la banque centrale a baissé son taux directeur à 0,25% il y a deux semaines, les Allemands, membres du comité directoire de la BCE, ont été les seuls à s’opposer, farouchement, à cette baisse des taux.

Il y a un seul cas de figure dans lequel la position allemande pourrait être infléchie : si la dépression s’accentue de manière dramatique en Europe. A ce moment là, il va de soi que l’on ne pourra pas accentuer les mesures d’austérité et donc, soit l’Allemagne fait un effort, soit, c’est la fin de l’Euro.

Mais selon moi, si la crise s’aggrave, il n’y aura pas de scission avec une fin de l’Euro parce que ce n’est absolument pas dans l’intérêt de l’Allemagne. Si elle reprend sa devise, le Deutschemark, celui-ci atteindra immédiatement des sommets, ce qui sera terriblement handicapant du point de vue des exportations.  

A titre d’indication, la banques suisse UBS a fait une étude il y a un an et demi, qui a montré qu’une sortie de l’Euro coûterait plus cher à l’Allemagne, que l’absorption de la moitié des dettes de l’Espagne et du Portugal.

JOL Press : N’est-on pas en droit d’attendre plus de solidarité de la part du pays qui a le plus profité de la construction européenne, et de l’euro en particulier ?
 

Michel Santi : L’Allemagne est sans aucun doute le pays qui a le plus profité de l’établissement de l’Euro. Elle a triplé son excédent commercial en treize ans et connu une croissance nettement supérieure à celle de tous les autres pays de l’Union européenne. C’est une certitude que le pays est le grand gagnant de l’Euro. Il est désormais temps de faire preuve de solidarité, car sinon, nous nous dirigerons tout droit vers une liquéfaction européenne, dont elle sera l’une des grandes perdantes.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

 

Quitter la version mobile