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Les descendants d’Haïtiens privés de nationalité

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Jusqu’en 2010, la République dominicaine accordait la nationalité à tous les enfants nés sur le sol dominicain. Mais la Cour constitutionnelle dominicaine a jugé, le 26 septembre dernier, de manière rétroactive, que tout citoyen né depuis 1929 en République dominicaine de parents ou grands-parents immigrés ne pouvait désormais plus avoir la nationalité dominicaine. En procédant à cette « dénationalisation »la plus haute juridiction dominicaine va rendre quelque 250 000 personnes apatrides.

« Dénationalisation»

Le scandale a éclaté lorsque Juliana Deguis Pierre, 28 ans, née de parents haïtiens lorsqu’elle s’est fait retirer la citoyenneté dominicaine en 2008. Motif : son acte de naissance n’est pas valide. Son père avait franchi la frontière dans les années 1970 pour travailler dans les plantations de cannes à sucre.

« J’ai 28 ans, et je n’ai jamais mis les pieds à Haïti. (…) Je ne sais pas à quoi cela ressemble, de quelle couleur c’est, tout simplement parce que je n’y suis jamais allée, parce que je suis née ici » a expliqué la jeune femme au journal El Caribe,  confiant redouter la police, qui peut aujourd’hui l’expulser à tout moment. 

« Des conséquences désastreuses » selon l’ONU

Ces mesures ont provoqué la colère et l’indignation des autorités haïtiennes et de plusieurs organisation de défense des droits de l’homme comme Amnesty International et Human Rights Watch.  Le 4 novembre dernier, des manifestants ont défilé pour protester contre la dénationalisation des Dominicains d’origine haïtienne. Deux juges dissidents du tribunal constitutionnel ont également condamné cette décision, qui pourrait avoir de graves conséquences selon le Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme :

« La décision pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les descendants d’Haïtiens en République dominicaine, plongeant des dizaines de milliers d’entre eux dans un vide constitutionnel qui en feraient des apatrides privés d’accès aux services de base » estime l’agence spécialisée des Nations unies. 

Un arrêt comparable aux lois nazies contre les Juifs 

Scandalisé par l’arrêt du tribunal constitutionnel, le poète et écrivain péruvien Mario Vargas Llosa a pris position dans une tribune publiée dans El Pais, le 3 novembre dernier, dans laquelle il compare cet arrêt aux lois nazies contre les Juifs : « La conclusion du tribunal constitutionnel dominicain est une aberration juridique qui semble directement inspirée des lois hitlériennes des années 1930, dictées par des magistrats nazis dans le but de priver de leur nationalité les Juifs pourtant établis en Allemagne depuis des années et parfaitement intégrés dans la société » écrit-il dans le quotidien espagnol, rapporté par Courrier International

Dans son texte, le Prix Nobel de littérature 2010 prend l’exemple de Juliana Deguis Pierre, pour montrer que « les magistrats motivent leur refus de nationalité (…) par la ‘situation irrégulière’ de leurs parents. En d’autres termes, il s’agit de faire payer aux enfants (…) un délit présumé de leurs ascendants ». Pour lui, à la manière des «tribunaux de l’Inquisition au Moyen Age, l’arrêt constitutionnel dominicain part du principe que les délits sont héréditaires et se transmettent par leur sang, de génération en génération ».

Et d’ajouter : « J’ai l’espoir que la levée de boucliers qu’il [l’arrêt du tribunal constitutionnel] suscite dans le pays comme à l’étranger libèrera les Antilles, d’une injustice aussi barbare que flagrante ».

458 000 immigrants haïtiens

Selon le recensement national des immigrants de 2012, la République dominicaine compte 458 000 immigrants haïtiens pour 10 millions d’habitants. Chaque jour, des centaines d’Haïtiens fuient la misère de leur pays – le plus pauvre au monde – pour venir travailler en République Dominicaine, où ils représentent une main d’oeuvre importante et bon marché. Selon les autorités dominicaines, plus de 47 000 Haïtiens entrés illégalement en République dominicaine ont été expulsés depuis l’année dernière.

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