Harcèlement sexuel, mutilations génitales, discriminations… La Fondation Thomson Reuters vient de publier une enquête sur l’état de la vie des femmes dans 22 pays du monde arabe. Et c’est l’Égypte qui fait figure de plus mauvaise élève, suivie par l’Irak et l’Arabie saoudite.
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Trois ans après le début des révolutions arabes, alors que le conflit syrien continue à faire rage et menace l’équilibre régional, la Fondation Thomson Reuters, basée à New York, vient de publier un rapport sur l’état des droits de la femme dans le monde arabe.
Les îles Comores, où les femmes occupent 20% des postes ministériels et où celles-ci gardent généralement leur terre ou leur maison après un divorce, sont arrivées en tête du classement, suivies par le Sultanat d’Oman, le Koweït, la Jordanie et le Qatar.
Mais malgré les changements espérés pour l’amélioration de la condition féminine dans les pays arabes après les différentes révolutions qui ont secoué certains de ces pays, les femmes font plutôt partie des grands perdants du Printemps arabe.
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L’Égypte, dernière du classement
L’augmentation du harcèlement sexuel et des mutilations génitales féminines, et la montée de la violence et de l’islamisme après les soulèvements du Printemps arabe ont fait de l’Égypte le pire pays où vivre lorsqu’on est une femme dans le monde arabe.
L’adoption de lois discriminatoires, la traite des femmes et les mariages forcés ont également contribué à placer l’Égypte en bas du classement des 22 pays de la Ligue arabe.
Si les femmes ont joué un rôle central dans la révolution du pays, le rapport montre en effet que l’influence croissante des islamistes, qui a abouti à l’élection de Mohamed Morsi, chef de file des Frères musulmans, à la tête du pays, a constitué « un revers majeur pour les droits des femmes ».
91 femmes agressées place Tahrir
Malgré le renversement de Morsi par un coup d’État militaire en juillet dernier après des protestations de masse contre le régime, l’espoir d’une plus grande liberté a été tempéré par les dangers quotidiens que rencontrent les femmes dans la rue.
Un rapport de l’ONU publié en avril dernier montrait notamment que 99,3% des femmes et jeunes filles avaient déjà été victimes de harcèlement sexuel en Égypte. Selon l’ONG Human Rights Watch, 91 femmes ont par ailleurs été violées ou agressées sexuellement en public sur la place Tahrir au Caire en juin dernier, en marge des manifestations anti-Morsi.
« Nous avons besoin d’une double révolution »
« Nous avons enlevé Moubarak de notre palais présidentiel, mais il nous reste encore à enlever le Moubarak qui vit dans nos esprits et dans nos chambres », a déclaré la chroniqueuse américano-égyptienne Mona Eltahawy, en référence au dictateur déchu égyptien Hosni Moubarak.
« Comme le montrent les piètres résultats du sondage, nous les femmes avons besoin d’une double révolution : une contre les différentes dictatures qui ont ruiné notre pays, et l’autre contre un mélange toxique de culture et de religion qui ruinent nos vies en tant que femmes ».
Plus grande vulnérabilité en Irak
L’Irak et l’Arabie saoudite occupent respectivement la 21ème et la 20ème place du classement. En Irak, les libertés des femmes ont régressé depuis l’invasion américaine de 2003 et la chute de Saddam Hussein, explique le rapport.
« Une décennie d’instabilité et de conflit a affecté les femmes de façon disproportionnée. Les abus et la prostitution domestique ont augmenté, l’analphabétisme a explosé et jusqu’à 10% des femmes – soit 1,6 millions – se sont retrouvées veuves et vulnérables », selon l’organisation humanitaire Refugees International.
Un constat partagé par l’agence onusienne pour les réfugiés, qui note que des centaines de milliers de femmes déplacées à l’intérieur et hors des frontières irakiennes à cause du conflit sont plus vulnérables à la traite, à l’enlèvement et au viol.
Timides avancées en Arabie saoudite
En Arabie saoudite, le rapport note quelques avancées, comme la nomination, depuis janvier, de 30 femmes au Conseil de la Choura sur 150 membres. Le Conseil n’a cependant aucun pouvoir législatif ou budgétaire.
Même si quelques timides réformes, poussées par le roi Abdallah, ont donné aux femmes plus de possibilités d’emploi et une plus grande place sur la scène publique, le royaume reste néanmoins le seul pays interdisant toujours aux femmes de conduire.
Le système de tutelle en Arabie saoudite interdit également aux femmes de travailler, de voyager à l’étranger, d’ouvrir un compte bancaire ou de s’inscrire dans l’enseignement supérieur sans la permission d’un parent de sexe masculin.
Les femmes comme armes de guerre en Syrie
La guerre civile en Syrie a eu un impact dévastateur sur les femmes, dans les foyers comme dans les camps de réfugiés. Des groupes de défense des droits de l’homme ont notamment pointé du doigt certains groupes armés, affiliés au régime de Bachar Al-Assad, ayant commis des exactions sur les femmes.
La présence de rebelles islamistes radicaux a par ailleurs privé de leurs droits un certain nombre de femmes vivant sur des territoires tenus par les rebelles. « La femme syrienne est une arme de guerre, soumise à des enlèvements et des viols commis par le régime et d’autres groupes », indique une militante des droits de femmes syriennes dans le rapport.
Un bilan mitigé
Le sondage a mis en évidence un bilan mitigé pour les droits des femmes dans les autres pays du monde arabe. Au Yémen (18ème place), les femmes ont protesté côte-à-côte avec les hommes au cours de la révolution de 2011. Mais dans un pays largement conservateur où le mariage des enfants est courant – il n’y a pas d’âge minimum pour se marier – les femmes doivent encore faire face à de nombreuses inégalités.
En Libye (14ème place), le rapport note la préoccupation des experts face à la propagation de milices armées et à l’augmentation des enlèvements, des extorsions, des arrestations aléatoires et de la violence physique faite aux femmes.
Les femmes vivant à Bahreïn (12ème place) sont plus actives dans la vie politique que dans de nombreux pays du Golfe, mais le sectarisme reste l’un des obstacles majeurs pour les droits des femmes.
La Tunisie reste bien classée parmi les pays du Printemps arabe. Les femmes occupent 27% des sièges au parlement national et la contraception est légale, mais certaines lois concernant la succession restent néanmoins plus favorables aux hommes.
336 experts
Le sondage a été réalisé par la Fondation Thomson Reuters qui a interrogé 336 experts de la question entre août et septembre 2013 au sujet de 21 pays de la Ligue arabe ainsi que la Syrie – membre fondateur de la Ligue arabe mais qui a été suspendue en 2011.
Le sondage a évalué les violences contre les femmes, les droits en matière de mariage et de grossesse, le traitement des femmes dans la famille, leur intégration dans la société et le rôle de la femme dans la politique et l’économie.
Le classement général (du pire au meilleur) :
22. Égypte
21. Irak
20. Arabie Saoudite
19. Syrie
18. Yémen
17. Soudan
16. Liban
15. Territoires palestiniens
14. Somalie
13. Djibouti
12. Bahreïn
11. Mauritanie
10. Émirats arabes unis
9. Libye
8. Maroc
7. Algérie
6. Tunisie
5. Qatar
4. Jordanie
3. Koweït
2. Sultanat d’Oman
1. Îles Comores