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Les malades ne sont pas intéressants quand ils sont pauvres

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Le dévouement et la probité de la plupart des professionnels de la santé sont indubitables, mais la corruption s’est installée au cœur du système. La logique du profit a dévoyé la science. Chaque année, près de 200 000 personnes décèdent en Europe suite aux effets médicamenteux qualifiés de « secondaires » ; les overdoses d’antidouleurs tuent plus que l’héroïne et la cocaïne réunies ; l’abus de médicaments a pollué jusqu’à l’eau du robinet, devenue un cocktail de Prozac, d’antibiotiques, d’anticancéreux et de perturbateurs endocriniens.

Extraits de Big pharma : une industrie toute-puissante qui joue avec notre santé, coordonné par Mikkel Borch-Jacobsen (Arènes éditions – 5 septembre 2013)

C’est évidemment ce même principe qui est à la base de tous les scandales sanitaires évoqués plus haut et c’est, le seul principe qui guide en fin de compte l’action de l’industrie pharmaceutique en général. Il ne s’agit pas seulement pour elle de ne pas perdre de l’argent en faisant de la philanthropie, il s’agit d’en gagner le maximum et le plus vite.

C’est pourquoi par exemple, l’industrie pharmaceutique néglige de couvrir toutes sortes de besoins criants en santé publique, notamment dans les pays en voie de développement. Les maladies de pauvres comme la maladie du sommeil, le paludisme ou la leishmaniose viscérale n’ont évidemment aucun intérêt pour elle : là où il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de marché.

L’industrie pharmaceutique se désintéresse donc complètement du tiers-monde pour se concentrer sur les pays développés ou émergents, où les consommateurs peuvent payer le prix fort. C’est ainsi que les maladies infectieuses tuent de nos jours plus de 10 millions de personnes chaque année, dont 90% dans les pays en développement car les populations n’y ont pas accès aux médicaments dont elles ont besoins.

[image:2,s]La tuberculose, une maladie qui a quasiment disparu dans les pays développés, cause chaque année 1,4 million de morts qui pour la plupart pourraient être évitées avec les antibiotiques disponibles à des prix abordables pour les populations concernées. Même chose pour la pneumonie, qui tue 1,5 million d’enfants par an en Afrique.

Qu’on ne voie pourtant aucun racisme dans ce double standard, les firmes appliquent exactement la même politique aux pauvres occidentaux. Le 3 novembre 2012, le groupe pharmamaceutique allemand Merck KGaA (distinct de Merck U.S.A) annonçait qu’il ne livrerait plus son médicament anticancéreux Erbitux aux hôpitaux publics grecs, devenus mauvais payeurs du fait de la crise de la dette souveraine dans ce pays. La bourse ou la vie : l’Erbitux, dont le prix de vente est unanimement considéré comme tout à fait excessif et injustifié, coûte 10 000 dollars par mois et représente actuellement un chiffre d’affaires annuel de 1,1 milliard de dollars.

Du point de vu de l’industrie, cela fait sens d’investir dans la recherche et de développement (R&D) de médicaments dont elle peut espérer un retour sur investissement aussi important. À l’heure actuelle, les grandes firmes se bousculent pour développer des anticancéreux car elles se sont aperçues qu’il n’y a quasiment aucune limite au prix qu’elles peuvent exiger pour des médicaments apportant un bénéfice parfois très marginal (l’Erbitux, par exemple, prolonge la vie des patients d’à peine un mois et demi en moyenne). En revanche, il n’y a quasiment pas de R&D ciblant les maladies qui prévalent dans les pays en développement, et ce depuis fort longtemps.

Selon une étude souvent citée qui a été réalisée en 1999 par une équipe de Médecins sans frontières sous la direction de Bernard Pécoul, sur les 1223 nouvelles molécules commercialisées entre 1975 et 1997, 13 seulement (1%) concernaient des maladies tropicales. Sur ces 13 médicaments, 4 seulement (0,3%) étaient le résultat de recherches effectuées par des laboratoires pharmaceutiques en vue de trouver des remèdes à des maladies humaines. Les autres étaient des recyclages de médicaments antérieurs, un antipaludique développé par l’armée américaine au Vietnam ou encore des découvertes faites par hasard lors de recherches sur le bétail ou les animaux domestiques, deux marchés bien plus important pour l’industrie que les maladies tropicales.

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Livre coordonné par Mikkel Borch-Jacobsen. Philosophe et historien, il enseigne à l’université de Washington et a consacré avec Anne Georget un documentaire au marketing pharmaceutique des maladies (Arte).

Avec John Abramson, de l’université Harvard ; Kalman Applbaum, professeur d’anthropologie médicale à l’université du Wisconsin ; David Healy, professeur de psychiatrie à l’université de Cardiff ; Irving Kirsch, directeur associé du Programme d’études sur le placebo de l’université Harvard ; Wolfgang Wodarg, médecin épidémiologiste et ex-député à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Hans Weiss, journaliste médical d’investigation…

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