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Manifestations en Thaïlande: le retour de la «fièvre» jaune

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La révolte de l’opposition qui fait rage en Thaïlande n’est pas nouvelle. Elle couve même depuis quelques temps mais connaît ces derniers jours une nouvelle ampleur. Des dizaines de milliers de personnes, opposées au gouvernement, sont descendues dans les rues de Bangkok.

Des précédents sanglants

Depuis le renversement par un coup d’État militaire, en 2006, du Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, exilé depuis à Dubaï, la vie politique en Thaïlande a connu plusieurs périodes d’instabilité.

En août 2008, des dizaines de milliers de manifestants de l’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD, le parti d’opposition) avaient manifesté, réclamant la démission du Premier ministre en poste, Samak. Quelques mois plus tard, les « chemises jaunes », qui étaient l’un des éléments-clé du coup d’État contre Thaksin deux ans plus tôt, occupaient l’aéroport international de Bangkok.

En 2010, des émeutes urbaines sanglantes s’étaient soldées par la mort de plus de 90 personnes à Bangkok après l’intervention de l’armée. Pendant deux mois, les « chemises rouges », partisans de Thaksin qui souhaitaient son retour et demandaient la démission du chef du gouvernement de l’époque, Abhisit Vejjajiva, avaient occupé le cœur de la capitale thaïlandaise. 

Jaunes et rouges : qui sont-ils ?

Aujourd’hui, la Thaïlande voit les deux forces s’opposer à nouveau. D’un côté, les « chemises jaunes » et alliés traditionnels au Parti démocrate, qui rassemblent essentiellement les élites de Bangkok gravitant autour du pouvoir royal et les classes moyennes urbaines. Elles demandent la démission du gouvernement et la fin du « système de Thaksin », accusé de continuer à contrôler la politique du pays dans l’ombre de sa sœur Yingluck, l’actuelle Première ministre, dont il tirerait les ficelles depuis Dubaï.

De l’autre côté, les « chemises rouges », partisans du parti au pouvoir dirigé par Yingluck depuis juillet 2011 (le Parti Puea Thai, PTP) et fidèles à Thaksin, qui réunissent principalement des populations rurales ou urbaines plutôt défavorisées, originaires du Nord et du Nord-Est du pays.

La colère des « chemises jaunes » contre Thaksin

Cette semaine, les opposants ont par milliers pris d’assaut plusieurs ministères, bâtiments publics et administratifs, à Bangkok et dans d’autres villes du pays, dans l’espoir de paralyser le gouvernement thaïlandais. 

Menées par Suthep Thaugsuban, une figure du Parti démocrate contre qui un mandat d’arrêt a été émis après l’occupation d’un ministère cette semaine, les « chemises jaunes » ne semblent pas prêtes à abandonner. « Nous n’abandonnerons pas, même si la Première ministre démissionne ou dissout le parlement. Nous ne nous arrêterons que quand le pouvoir sera entre les mains du peuple », a déclaré Suthep.

La police thaïlandaise a également demandé mercredi à la justice d’émettre six mandats d’arrêt contre d’autres meneurs des manifestants.

La crainte du retour de Thaksin

À l’origine de la mobilisation des opposants, un projet d’amnistie présenté début novembre devant le Parlement, finalement rejeté par le Sénat. La loi, qui a mis le feu aux poudres de la contestation, aurait permis d’exonérer l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra d’une condamnation. Ce dernier avait été accusé de corruption en 2008.

Malgré le rejet du Sénat, la colère de l’opposition – qui craignait que l’adoption d’une amnistie ne signe le retour de Thaksin au pays – n’est pas retombée.

Thaksin, ancien policier devenu magnat des télécommunications et milliardaire, avait rapidement gravi les échelons après avoir entamé sa carrière politique. Ce populiste, admiré par une partie de la population, est accusé par l’autre d’avoir profité de sa fortune et de sa position pour favoriser certaines opérations financières bénéficiant à ses proches.

« Il n’y a qu’une démocratie »

Le Parti démocrate, qui peine à se faire entendre sur la scène électorale, a déposé une motion de censure contre le gouvernement. La Première ministre a néanmoins échappé à cette motion de censure jeudi 28 novembre, après avoir remporté le vote de confiance avec 297 députés pour et 134 contre.

La Première ministre a en effet joué la carte de la démocratie, réfutant l’idée qu’elle puisse être manipulée par son frère. Elle sest dite prête à discuter avec l’opposition, annonçant que l’État « n’aurait pas recours à la violence ». « Il n’y a qu’une démocratie et un gouvernement élu, pas de régime Thaksin », a-t-elle réaffirmé devant le Parlement.

Quelle issue ?

Interrogée par La Croix, la directrice du centre Asie de l’Institut français de relations internationales, Françoise Nicolas, estime qu’« il est très difficile de savoir comment les choses vont évoluer ».

Si pour le moment la Première ministre semble « gérer assez bien les choses […], clamant haut et fort que la rue n’avait pas à dicter sa loi et rappelant qu’elle avait été démocratiquement élue », le niveau de détermination des manifestants est encore impossible à anticiper, selon la chercheuse.

« Bien que les Thaïlandais soient un peuple très pacifique, dès que l’on touche à la sphère politique, il peut y avoir des actions extraordinairement violentes », indique-t-elle encore. « Pour le moment, l’armée n’a pas bougé et il n’y a ni arme, ni blessé. La solution d’un gouvernement militaire est toujours possible », explique de son côté Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques au site 20 minutes.

Rappelons que la Thaïlande est coutumière des coups d’État, puisqu’elle en a connu dix-huit depuis 1932.

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