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Mylène Juste, prostituée de rue à Paris, répond à la députée Maud Olivier

JOLPress a publié, le 18 novembre dernier, une « Réaction à la pétition lancée par le chanteur Antoine sur la prostitution ». Elle émane de Maud Olivier et malheureusement, les arguments qu’elle développe relèvent d’une rengaine incantatoire bien rôdée qui a fini par passer pour une approche sensée du système prostitutionnel.

Je m’étonne que Maud Olivier, rapporteure de la proposition de loi du renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, initiée par Monsieur Geoffroy en 2011 (rapport N° 3334), n’ait manifestement pas lu, ou plutôt voulu prendre en compte, les différents constats, témoignages, thèses et rapports portant sur la dangerosité de la pénalisation du client. À l’inverse de son liminaire et terminal « les personnes prostituées se verront dépénalisées puisqu’il est prévu l’abrogation du délit de racolage », les dites prostituées se verront précarisées puisqu’il est prévu de pénaliser – très lourdement – leurs clients. Bien sûr il est beaucoup plus moralement et politiquement efficace de vouloir contraindre, dresser et punir pour « aider » que de se revendiquer adepte de la schlague contre un genre.

Assez d’hypocrisie

Tout a été tenté pour rendre crédible la pénalisation du client défini « prostitueur ». Maud Olivier, par souci de crédibilité, a ramené à « 10 ou 15 pénétrations » quotidiennes, soit la réduisant de moitié, une estimation avancée naguère. Il s’est trouvé un collectif de médecins pour le soutenir. Comment trouver intellectuellement honnête une telle outrancière approximation qui serait censée s’appliquer à toutes les personnes prostituées, victimes de la traite ou indépendantes, et en déduit la prédominance d’appareils génitaux dévastés ? Que ces expertes et spécialistes viennent donc demander des nouvelles de leur appareil génital aux traditionnelles qui ont plus de 30 ans d’exercice. Je ne puis garantir un accueil chaleureux au tout venant, mais cela ne saurait justifier l’absence d’une visite d’investigation sanitaire bienveillante, voire même de courtoisie, dans notre quartier du haut de la rue Saint-Denis, à Paris. J’ai dû aller rencontrer Madame Maud Olivier, car aucune de mes consœurs de ce secteur ne se souvient qu’elle ait tenté de vérifier un tel argument auprès d’elles.

Entre les chiffres fallacieux des rapports orientés et la réalité, (751 personnes victimes du proxénétisme en 2012 pour 40 000 TDS* ; non visibilité des indépendant·e·s, y compris des indépendantes majoritaires – mais non visibles dans mon quartier : il m’arrive encore de découvrir des inconnues après 10 ans de voisinage), s’étend l’univers du choix, de l’indépendance, des droits, pour les TDS* indépendant·e·s et les « exploité·e·s », à proposer en alternative. Et si l’on demandait leur avis aux victimes ? En supposant qu’elles aient le choix de continuer dotées de droits et de garanties d’enfin garder le fruit de leur activité ou d’arrêter via un parcours de sortie, pensez-vous qu’elles répondraient : « non, vous avez raison. Vous m’avez démontré que ce que je fais n’est pas bien, je vais prendre votre parcours de sortie » ? Beaucoup, par nécessité ou choix prospectif sciemment réfléchi, opteraient pour un libre exercice. Comment ignorer que c’est le fait de devoir reverser le fruit de son activité dans la contrainte qui est violent et que c’est ce qui doit être en priorité éradiqué ?

Alors assez d’hypocrisie, que les parlementaires prohibitionnistes reconnaissent l’évidence : l’accompagnement de sortie, conditionné à l’arrêt, contraint de fait, de l’activité, donne bonne conscience, mais ne constitue pas une solution à la précarité. Les victimes n’auront que le choix de préserver leur contrainte d’obligées envers leur réseau ou relationnel ou d’opter pour une autre contrainte. Celle d’obligées envers une société, un pouvoir dans lesquels elles ne peuvent se reconnaitre car s’étant prononcé sans nuance contre leur activité prostitutionnelle, librement choisie ou pas. En entretien, Madame Maud Olivier m’affirmait : « Elles ne viendront pas toutes ! ». Mais l’objectif proclamé, c’est bien que toutes les personnes qui se considèrent victimes viennent demander le droit à ne plus l’être, de fait, le droit à un travail correctement rémunéré. À contrario, il leur est infligé de se résigner à la réduction de leurs revenus (ou d’envisager de subir ou de s’infliger « l’abattage ») découlant de la pénalisation de la clientèle. Le seul choix serait entre la clandestinité ou d’admettre qu’un parcours de sortie est la seule solution pour sortir d’une précarité accrue ?

Un peu de réalisme

Soyez, Madame, sérieuse : croyez-vous en votre méthodologie ou le feignez-vous ? Vous envisagez la création d’un fonds abondé par l’argent saisi aux réseaux et aux proxénètes ? Mais pourquoi donc la Brigade de répression du proxénétisme deviendrait, d’un coup de votre baguette magique, plus efficace ? Ces réseaux sauront se réorganiser et mieux se dissimuler. Le rapport, daté de juillet 2012, de la Commission mondiale sur le VIH et le droit, indique clairement l’échec du si vanté modèle suédois  (1).

S’agit-il de mettre à contribution nos impôts ? Vous mettez en place des dispositions prétendant diminuer, voire éradiquer, notre activité. Vous pensez sérieusement que je vais abonder dans votre sens et subventionner, via mes impôts et cotisations, un dispositif qui ne coincera pas les « tortionnaires » dénoncés mais nuira dangereusement à la santé et aux revenus de mes consœurs ?

Vous suggérez aux personnalités signataires de la pétition du chanteur Antoine de verser des contributions volontaires. Je suggère que chacun des soutiens de votre proposition de loi qui se disent : « d’accord pour l’égalité homme/femme, la fin de la traite et l’aide aux victimes dans la prostitution contrainte» apportent leur contribution éclairée par de véritables réflexions fondées sur une véritable documentation élargie.

Ils pourront trouver des références, récentes, librement accessibles (2) . Je note que l’un des directeurs de la police d’Ausbourg, en Allemagne, Helmut Sporer, a préconisé des mesures, certaines de fort bon sens, d’autres controversées (comme le relèvement de l’âge légal d’accès à l’activité à 21 ans, ce qui est quand même plus réaliste que ce que propose le député UDI Charles de Courson, souhaitant le relèvement de l’âge du consentement sexuel pour tout individu français à 18 ans). Il plaide pour la légalisation de la prostitution librement décidée.

Ouvrez un vrai débat, étudiez de réelles solutions pour traquer et juguler les réseaux, pour élaborer une véritable aide aux victimes, et consultez les TDS* afin de déterminer les mesures correspondant à des objectifs mesurés, plausibles. Il n’y aura pas de réelle coopération des prostitué•e•s contraintes sans mesures concrètes, pérennes, assises non pas sur un fonds temporaire, mais des dispositions durables. Il n’y aura pas de maîtrise de la prostitution sans dispositifs réglementaires justes et acceptables par les intéressé•e•s.

Nous, TDS*, refusons toute prohibition et voulons participer à l’élaboration de propositions réalistes. Que soit reconnu le droit au maintien de notre activité et la maîtrise du terrain prostitutionnel afin de traquer et sanctionner les exploiteurs. Que les prostitué•e•s puissent librement opter pour la poursuite de leur activité ou, si elles le désirent, une reconversion, mais sans contrainte, tout simplement.

Que tait Maud Olivier à l’opinion ?

Les propos publics lénifiants de Madame Maud Olivier en masquent soigneusement d’autres qui feraient bondir les signataires de la pétition du chanteur Antoine. Le groupe socialiste, républicain et citoyen de l’Assemblée nationale, Mmes Maud Olivier, Capdevielle et Chapdelaine et d’autres, Messieurs Geoffroy, de Courson et d’autres, veulent faire de la sollicitation d’un·e prostitué·e un délit qualifié, en situation initiale ou de récidive selon les cas et les amendements, un délit, et non plus une contravention, entraînant une condamnation de six mois d’emprisonnement. Ce qui entraîne automatiquement une inscription aux bulletins du casier judiciaire, tant bien même cette peine serait totalement assortie de sursis. Aux très lourdes amendes s’ajouteraient des dispositions nuisant à l’insertion professionnelle ou entraînant des révocations professionnelles. (3).

Il s’agit aussi de traquer les clients des prostitué·e·s hors des frontières nationales. De tout cela, pour s’en convaincre, il suffit de consulter les amendements déposés par les unes ou les autres. La rémunération de la personne prostituée ne sera plus seule constitutive de l’infraction ou du délit projeté. Toute offre ou promesse d’offre du moindre avantage « n’impliquant pas uniquement une rémunération pécuniaire » sera constitutive de l’infraction ou du délit.  

Sa réponse débute par « je m’étonne que les signataires de cette pétition initiée par Antoine n’aient manifestement pas lu la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. ». Le texte est public, et j’invite toute future victime, tout membre du public, toute citoyenne ou citoyen, à le lire très, très soigneusement, ainsi que les textes des amendements introduits. Ce sera ma meilleure réplique à Maud Olivier. 

1 : « Selon la police, le commerce sexuel dans la rue a diminué de moitié en Suède, mais globalement, il reste au niveau qu’il était avant la promulgation de la loi, mais est devenu, en grande partie, clandestin. Il s’est déplacé dans les hôtels et les restaurants, ainsi que sur Internet et au Danemark. Selon les services suédois de police judiciaire, il est  devenu  plus  violent.  Ces  services s’inquiètent  particulièrement  de  l’arrivée  dans  la  profession  de  femmes étrangères, souvent entièrement contrôlées par des proxénètes. (…) Malgré plus de 2 000 arrestations, à peine 59 clients ont été soupçonnés de s’être procuré les services de travailleurs du sexe. Seulement deux condamnations ont été enregistrées parce que les auteurs ont plaidé coupables. Aucune peine d’emprisonnement n’a été prononcée en vertu de la loi, et seules des amendes dérisoires ont été imposées. Les délits sont pratiquement impossibles à prouver…. »  

2 Par exemple, des thèses universitaires comme celle-ci : http://recherchetravailsexuel.files.wordpress.com/2013/11/levy-jay-labolitionnisme-suc3a9dois-comme-violence-faites-aux-femmes.pdf ou la déposition d’Helmut Sporer le 1er octobre 2013 à Bruxelles : http://fr.scribd.com/doc/184667092/Prostitution-in-Germany-by-Detective-Superintendent-Helmut-Sporer  

3  Dans Le Midi Libre daté du 19 novembre 2013 sous le titre « Nîmes : l’association Le Nid veut dénoncer la violence de la prostitution » L’association Le Nid, qui a inspiré ces amendements, considère publiquement que toute relation avec une prostituée est assimilable à un viol ou à du harcèlement sexuel. L’idée de Maud Olivier et consorts est de faire du client-prostitueur un violeur honteux sur la voie du repentir forcé par des peines allant jusqu’à six mois de prison. Le Nid déclare que « la violence de l’acte marchand » (sous-entendu imposé par le client-prostitueur) est constitutif d’un délit et qu’une infraction assortie d’une amende initiale de 1 500 euros « seulement » est largement insuffisante pour sanctionner efficacement. André Bresson (délégué du Nid pour le Gard) énonce très hypocritement : « nous ne sommes pas pour la prison »1. Mais qui a donc inspiré les amendements si ce ne sont ses instances nationales ?Qui a concocté la fable selon laquelle seules un dixième des prostitué·e·s français·e·s seraient des indépendant·e·s ?

Ce  que  Maud  Olivier  tait,  c’est  la  concordance  entre  groupes  de  pression  ayant  déformé  les  réalités  afin  de convaincre une opinion mal ou désinformée.  

 

*TDS : Travailleuses ou travailleurs du Sexe

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