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Non, les animaux ne sont pas des meubles!

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JOL Press : Pourquoi avoir signé le manifeste demandant un changement du statut juridique des animaux ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : La Fondation 30 millions d’amis et moi-même avions déjà travaillé ensemble, sur une de mes propositions concernant la réforme du statut de l’animal, publiée dans la Revue semestrielle du droit animalier, dont je suis directeur. La Fondation est alors revenue vers moi pour me demander de cosigner ce manifeste. Il n’y a eu aucune hésitation de mon côté étant donné sa totale synergie avec ce que j’avais préalablement proposé, et que je continue de proposer avec le soutien de 30 millions d’amis et une vingtaine d’autres associations.

Nous militons pour l’amélioration significative de la condition animale en France, ainsi que pour la reconnaissance de ces « êtres sensibles ». Notre idée est  de faire émerger dans le Code civil en tant que véritable question de société, un problème aujourd’hui seulement perçu comme un sujet mineur et secondaire comparé aux autres maux de la société.

JOL Press : Quel serait pour vous le meilleur statut juridique de l’animal ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : La première chose à faire serait d’extraire les animaux de la catégorie des biens, et de ne plus les considérer comme l’équivalent d’un torchon ou d’un lave-linge. Cela déverrouillerait de manière imparable toutes les barrières juridiques aux discussions sur la question.

Deuxième chose. Il faut savoir où se situe l’animal, une fois sorti de la catégorie des biens. Il existe à ce sujet plusieurs propositions. Certains préconisent de créer une catégorie intermédiaire entre les biens et les hommes. Depuis une trentaine d’années, je défends plutôt l’idée de les faire passer sous le régime juridique des personnes morales, habituellement reconnu pour les associations ou les sociétés. Soyons clair, il ne s’agit en aucun cas de les rendre comparables aux hommes, cette situation me faisant horreur. Il s’agit simplement de les faire jouir de la personnalité morale, adaptée au rôle qu’ils jouent dans la société, sans remettre en cause la frontière entre les hommes et les animaux.

JOL Press : Etablissez-vous une différence entre les animaux de compagnies, les animaux destinés à l’élevage, ou encore les animaux sauvages ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : Ce nouveau statut juridique vaudrait seulement pour les animaux domestiques et ceux dits « apprivoisés ou tenus en captivité ». Depuis 1959, ils sont protégés contre les mauvais traitements, puis contre les actes de cruauté et les sévices graves, selon leur propre intérêt, et non plus selon celui de leur propriétaire.  A contrario, les animaux sauvages ne sont pas protégés pour eux-mêmes.

JOL Press : Quelle est le régime juridique aujourd’hui accordé aux animaux en France ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : Aujourd’hui notre droit se caractérise par une incohérence majeure, qui vient principalement des discordances entre le code civil et le code pénal. Alors que le code pénal considère que les infractions permettant de punir les auteurs d’actes de cruauté ou de malveillance à l’égard des animaux ne sont pas des infractions contre les biens, l’article 528 du code civil assimile les animaux à de vulgaires biens meubles. Cela renvoie à la théorie de « l’animal-machine » du père du rationalisme moderne, René Descartes.

Si en 1999, à la suite de l’affaire des chiens dangereux, le code civil a été modifié sur ce sujet, le remède fuit pire que le mal de départ. Si la loi distingue, désormais, les animaux des corps inanimés – les meubles -, ainsi que des objets servant à l’exploitation du fonds – les immeubles, l’animal reste toujours défini par le seul critère de sa mobilité, et non par celui de sa vie et de sa sensibilité. Surtout les articles 528 et 524 du Code civil disent aujourd’hui plus clairement qu’en 1804, que les animaux sont des meubles ou des immeubles, c’est-à-dire des biens au sens de l’article 516.

JOL Press : Et selon vous qu’est-ce qui explique la rigidité de loi civile française ? Comment cela se passe à l’étranger ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : Le débat juridique est totalement verrouillé pour une raison simple : les ministères compétents sur la question, à savoir celui de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Recherche, sont soumis à de puissants lobbies industriels, religieux et de tauromachie. La raison : leur poids électoral considérable.

L’Allemagne, notamment, garantit constitutionnellement la protection et le régime juridique des animaux. La Suisse, l’Etat le plus protecteur sur la question, affirme que les animaux ne sont pas des choses, tout en précisant, que sauf dispositions contraires, les règles applicables aux choses le sont encore pour les animaux. Si cette démarche peut faire sourire, elle présente l’immense mérite de fixer d’ores et déjà le principe suivant lequel les animaux ne sont pas des choses.

JOL Press : Sur les animaux, quelles sont les conséquences de ce régime juridique à la fois flou et complexe ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : Rappelons qu’en France, il existe, à côté du code civil, beaucoup de textes qui protègent les droits des animaux. Le problème essentiel vient de leur application. Nous constatons en effet un énorme fossé entre ce qu’ils disent et leur réelle efficience. L’efficacité des textes est commandée par la manière dont les juges les appliquent et les interprètent. Or, aujourd’hui, nul ne se préoccupe, hormis les associations, des maltraitances commises chaque jour à l’encontre des animaux. De même, malgré le fait que le code pénal prévoit des sanctions allant jusqu’à deux ans de prison, très peu de personnes sont en réalité condamnées à de telles peines.

En droit civil nous pouvons noter quelques évolutions. Dans le cadre d’un divorce, les animaux ne sont plus systématiquement considérés et partagés comme s’il s’agissait de simples meubles. Parfois, en effet, les tribunaux apprécient le lien affectif qui relie chaque époux à la bête pour prendre une décision. Progressivement, l’animal échappe, ici, au régime de partage des biens du code civil.

JOL Press : Que pensez-vous de la proposition de loi soumise à l’Assemblée par le député UMP Frédéric Lefebvre pour rechercher un nouveau statut juridique des animaux ?
 

Jean-Pierre Marguénaud : Depuis la publication de ce manifeste, j’ai l’impression que parmi le personnel politique, il existe « une course à l’échalote » pour savoir qui récupérera la paternité de cette loi. Non seulement il y a le député UMP Frédéric Lefebvre, mais également la sénatrice UDI Chantal Jouano, la députée PS Geneviève Gaillard, et le sénateur PS Roland Povinelli. Ces derniers bénéficient, à mon sens, d’un peu plus de légitimité, travaillant depuis plusieurs années déjà sur cette question-là. Quelle que soit l’ancienneté de leur intérêt pour la question tous les parlementaires qui s’en saisissent ont le grand mérite d’aider à faire prendre conscience de ce qu’elle devient une véritable question de société qui n’est plus réservée aux éleveurs, aux chasseurs ou aux expérimentateurs. Vivement qu’ils soient plus nombreux et regroupés en délaissant les clivages politiques traditionnels!

Je vais être particulièrement attentif à ce qui va se passer lors des prochains mois. Il est important de ne pas réitérer ce qui s’est passé en 1999. Plutôt que de légiférer dans la précipitation et ne rien changer in fine, les parlementaires auront intérêt à établir de nouvelles règles juridiques rompant avec la tradition cartésienne des animaux-machines, et appréhendant la sensibilité de l’animal sur le long terme. Il serait également souhaitable que le Parlement prenne rendez-vous tous les cinq à dix ans afin de d’adapter le statut des animaux aux enjeux du XXIe siècle.

Propos recueillis par Carole Sauvage pour Jol Press.

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