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Nouveaux mouvements sociaux: les syndicats déconnectés de la réalité?

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Une réunion sur le « pacte d’avenir » pour la Bretagne, qui doit être signé avant fin novembre pour tenter de trouver une solution à la crise bretonne, a débuté mardi 14 novembre, à la préfecture de Rennes (Ille-et-Vilaine).

Mais dans un communiqué commun publié mercredi 13 novembre, CFDT, CGT, Solidaires, CFTC, UNSA, CFE-CGC et FSU ont estimé que ce « pacte d’avenir est insuffisant ». « Aux propositions économiques qu’il contient, il faut ajouter un volet social conséquent qui prenne en compte l’urgence des situations », ont-ils souligné. « Ce pacte doit dessiner un avenir pour l’ensemble des filières et des territoires, ce qui passe également par un engagement fort des pouvoirs publics et des entreprises vis-à-vis des salariés ».

Comment expliquer ce sursaut des organisations syndicales ? Eléments de réponses avec Patrice Laroche, auteur de Gérer les relations avec les partenaires sociaux (Dunod). Entretien.

JOL Press : Quand les « bonnets rouges » ou les « travailleurs du dimanche » font entendre leur colère, les syndicats ne sont pas à l’initiative. Comment expliquer ce nouveau phénomène social ? Les syndicats sont-ils coupés de leurs bases ?

Patrice Laroche : Ces nouvelles formes de luttes sociales ne sont pas vraiment nouvelles, ni spécifiques à notre pays. Le développement de ce phénomène prend appui sur les mutations sociales et culturelles qu’a connue la société française depuis une trentaine d’années. Comme l’a très bien montré le sociologue Jean-Michel Denis, ce phénomène s’explique notamment par le déclin des rapports sociaux industriels, la perte de la place privilégiée qu’occupait la classe ouvrière au sein des luttes sociales et l’émergence d’un processus d’individualisation touchant les salariés depuis au moins trois décennies. C’est dans ce contexte que peuvent être interprétées ces manifestations de « distanciation » d’une partie de la population à l’égard des organisations syndicales. Les salariés ont parfois beaucoup de mal à se reconnaître dans les prises de position syndicale.

Cela étant, je crois qu’il faut distinguer ces deux mouvements sociaux : l’un est la manifestation d’une profonde exaspération et s’apparente plus à un mouvement de révolte et de colère contre le Gouvernement qu’à une lutte revendicative traditionnelle alors que l’autre exprime un désaccord entre certains salariés et leurs organisations syndicales. Ainsi, cette dernière contestation témoigne davantage d’une rupture de dialogue entre les syndicats et leurs bases ce qui n’est le cas des « bonnets rouges ».

JOL Press : Laurent Berger dénonce la montée du « populisme dans le monde salarial ». Est-ce la seule explication ?

Patrice Laroche : Les discours prenant pour cible les « élites » et prônant le recours au peuple ont toujours existé dans le monde salarial. L’explication n’est pas là. La principale explication réside dans le hiatus qui s’est creusé au fil du temps entre les organisations syndicales et les salariés qui sont supposés les représenter. Le cas des « travailleurs du dimanche » est emblématique du décalage pouvant exister entre des attentes individuelles des salariés et une position syndicale déconnectée de leur réalité professionnelle et salariale. Ce dysfonctionnement résulte d’une part de la défiance de plus en plus importante des salariés à l’égard de leurs organisations syndicales et d’autre part de l’absence de légitimité professionnelle que les salariés accordent à leurs représentants syndicaux.

JOL Press : Le problème des syndicats n’est-il pas  avant tout politique ? En 2012, la CGT appelait à « battre Nicolas Sarkozy » et la FSU considérait que sa réélection était « inenvisageable »…

Patrice Laroche : Je ne le pense pas. Même si certains syndicats sont sortis de leurs réserves lors des dernières élections présidentielles, le problème des syndicats ne résultent pas de ces prises de positions politiques. D’autres facteurs expliquent cette défiance des salariés à l’égard de leurs syndicats et leur image parfois calamiteuse chez les salariés. Selon Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, le problème principal des syndicats aujourd’hui est d’avoir déserté les ateliers et les bureaux. La disparition progressive des syndicats sur les lieux même du travail a conduit au déclin des adhésions syndicales.  Par ailleurs, le cumul des mandats (DP, membre du CE, DS) a conduit  à une professionnalisation des syndicalistes de plus en plus déconnectés des réalités sociales et plus enclins à discuter avec leur employeur qu’à résoudre les problèmes quotidiens des salariés.

JOL Press : Les revendications sociales sont-elles désormais plus fortes que ce qui séparait jusqu’alors patrons et salariés ?

Patrice Laroche : L’actualité récente pourrait laisser penser que le clivage est aujourd’hui plus fort entre les salariés et leurs syndicats qu’entre les salariés et leurs employeurs.  Les récents mouvements sociaux chez Marionnaud, Sephora ou Castorama autour de la question du travail le dimanche révèlent plutôt l’individualisme des salariés, notamment chez les plus jeunes d’entre eux, qui apprécient les horaires décalés et les 25% de bonus salarial. Les salariés dénoncent finalement la posture idéologique que peuvent prendre certains syndicats et remettent en cause leur légitimité. Pour autant, il s’agit d’un phénomène encore rare et les conflits individuels et collectifs entre les salariés et leurs employeurs restent plus fréquents.

JOL Press : Que doivent faire les organisations syndicales pour être à nouveau entendues au niveau national ?

Patrice Laroche : Il faut avoir à l’esprit que ces nouvelles formes de contestation ne constituent pas un modèle alternatif idéal pouvant résoudre les problèmes de l’action collective. L’émergence de ces mouvements sociaux témoigne certainement d’une insatisfaction  à l’égard des organisations syndicales. Cela dit, il faut se rappeler que certains syndicats se sont opposés à la politique de leur propre confédération sur la question du travail du dimanche.  Quoi qu’il en soit,  les syndicats français doivent absolument réinvestir les lieux de travail et résoudre les problèmes quotidiens des salariés.  A partir de là, les syndicats pourront regagner la confiance des salariés, susciter de nouvelles adhésions et par conséquent renforcer leur légitimité.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en sciences de gestion, Patrice Laroche est professeur à l’ESCP-Europe et a enseigné dans de nombreuses Universités en France et à l’étranger. Spécialiste des relations sociales en entreprise, il a été chargé de mission au sein du Groupe Alpha (Expert du CE).

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