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«#OccupyImider», un projet webdoc sur le 3ème Printemps berbère

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JOL Press : Comment avez-vous eu l’idée de ce projet webdocumentaire sur le réveil berbère ?
 

Adeline Bailleul : Ce projet a pris vie au cours de notre dernier voyage au Maroc. Nous sommes partis à la rencontre des populations berbères de l’Atlas dans cette partie du « Maroc inutile », surnommé ainsi par le maréchal Lyautey. Au Maroc, la résistance culturelle berbère est ancienne. Partis de ces premières observations, nous nous sommes intéressés à leurs revendications identitaires, culturelles et sociales. Nous avons observé l’histoire de ces communautés berbères et leurs particularismes au-delà des frontières. Souvent marginalisée par les Etats, leur culture a pourtant survécu et cela au prix d’une lutte constante. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’une question de survie et c’est ce qui nous a frappés.

Trente-trois ans après le printemps berbère d’Algérie, on assiste à un nouvel élan de la revendication berbère.  C’est ce que nous avons choisi d’illustrer avec le projet Printemps Berbère Part I #OCCUPYIMIDER, que nous avons pensé comme le journal d’une révolution, le portrait d’une identité millénaire et un voyage en compagnie de ceux que l’on appelle les enfants de la liberté.

JOL Press : Que revendiquent les habitants du mont d’Alebban ?
 

Tarek Bouraque : La commune rurale d’Imider a connu l’apparition d’un mouvement de protestation pour réclamer une vie digne. Les revendications de l’assemblée des habitants sont claires. Dans un premier temps, ils demandent la libération immédiate et sans conditions de Moustapha Ouchtoubane, militant condamné à 4 ans de prison ferme suite à des accusations de vol de 18g d’argent par la société minière SMI. Ils réclament essentiellement la satisfaction des revendications socio-économiques et écologiques présentées à la SMI, qui va de la réduction de la quantité d’eau consommée par la mine à l’investissement d’une part des bénéficies dans la création d’infrastructures sociales. Ils revendiquent le respect des droits des populations d’Imider à exploiter leurs terres et profiter de leurs ressources. La question de l’illégalité de l’occupation des terres collectives par la mine est également soulevée. Il faut savoir que les maux des habitants qui souffrent des suites de l’exploitation minière sont dus en grande partie à l’absence d’un cadre légal et réglementaire qui protège leur environnement.<!–jolstore–>

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JOL Press : Face à l’ampleur du mouvement protestataire, comment réagissent les autorités ?
 

Adeline Bailleul : Devant la mobilisation, les autorités marocaines usent de tout l’arsenal dissuasif dont elles disposent. D’après les différents témoignages que nous avons recueillis, il s’agit de tentatives de corruption, menaces, harcèlement, intimidation, et également répression ouverte… Il faut savoir que le lancement du mouvement de protestation « sur la voie de 96 » fait lui-même reference à la lutte menée en 1996, quand les autorités avaient investi les tentes occupées par les manifestants. Le bilan de l’opération avait fait un mort, plusieurs blessés et 23 personnes ont été condamnées à de lourdes peines de prison. Les militants témoignent encore aujourd’hui de plusieurs tentatives d’intimidation de la part des forces de sécurité, des formes de menaces individuelles. A titre d’exemple, ils évoquent des hommes de mains utilisés pour provoquer et agresser les animateurs du mouvement de protestation.

JOL Press : Quelles sont les conséquences de la surexploitation de la mine par la Société métallurgique d’Imider (SMI) dans cette région  ?
 

Tarek Bouraque : Les conséquences sont nombreuses…Nous pouvons aujourd’hui parler d’un désastre écologique et sanitaire. Selon les habitants, la SMI surexploite la nappe phréatique. Les débits en eau dans cette région ont connu une baisse importante avec des régressions dans certains cas de plus de 60%. Mais c’est également la santé des habitants qui est mise en danger avec l’apparition de maladies de la peau et des cas de cancer. La surexploitation de la mine a provoqué la pollution de leur environnement au cyanure et au mercure, deux produits que la SMI utilise pour le traitement du minerai. Dans une région qui vivait essentiellement de l’activité agricole, les conséquences de la pollution de l’air, de la contamination du sol ou encore des destruction des terres agricoles ont été nécessairement désastreuses. Ils ont été nombreux à nous raconter la disparition des cultures qui autrefois subvenait à leurs besoins, des champs entiers d’arbres fruitiers, abricotiers, grenadiers etc. ont disparu sans compter le bétail qui a également été touché. Des troupeaux de chèvres ont été décimés après avoir bu à proximité de la digue du bassin de rétention des eaux de l’exploitation minière.

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JOL Press : Peut-on comparer le tournant qu’a pris la mobilisation à Imider avec les mouvements du 15M, Occupy Wall Street, Parc Gézi ? Ces combats sont-ils de même nature (mouvement horizontal sans leader, via Internet) ?  
 

Adeline Bailleul : Ce qu’il y a d’intéressant dans cette mobilisation c’est d’observer son fonctionnement de l’intérieur. Les habitants d’Imider n’ont pas de leader à proprement parler. Les décisions sont prises à l’unanimité au sein de l’assemblée des habitants. Cette forme de démocratie locale participative est vieille comme le monde chez les tribus Amazighes – c’est justement ce qu’on appelle l’Agraw. La jeunesse d’Imider connaît les dossiers sur le bout des doigts.  A l’origine, ce sont d’ailleurs les étudiants qui ont mené le mouvement de protestation sociale et de désobéissance civile. Vite rejoints par le reste des habitants de la commune, ils ont mené ‘une marche de la soif’ quotidienne, partant du centre du village jusqu’à l’entrée de la mine. Sans aucune réponse de la part de l’entreprise et des autorités, ils ont décidé de radicaliser leur mode d’action et au mois d’août 2011. Plus de 1000 personnes s’installent à côté du plus important château d’eau fournissant la mine, au sommet du mont Alebban, à 1 400m d’altitude. La résistance pacifique fait partie de leur quotidien et le mouvement engagé a également bouleversé les codes sociaux.

Les mouvements Occupy ont été un espace d’exaltation avec une mobilisation que l’on pourrait qualifiée, entre autres choses, d’inventive. Il s’agit, avant tout, de soulèvements spontanés. Dans le cas d’Imider, on retrouve une organisation collective consciente et volontaire menant des actions concrètes. En intitulant ce premier volet documentaire #OCCUPYIMIDER, nous avons, d’une certaine manière, voulu faire le rapprochement entre ces mouvements, simplement pour montrer qu’il faut associer ce genre d’initiative d’actions spontanées capables de mobiliser un grand nombre de personnes à une approche systématique pour obtenir le changement.

Depuis les soulèvements populaires de 2011, la revendication culturelle et identitaire berbère a connu un nouveau souffle. Du Maroc à la Libye, en passant par le Mali et les Iles Canaries, les berbères occupent une place bien particulière. Souvent marginalisée, leur culture a pourtant survécu et cela au prix d’une lutte constante. Aujourd’hui, on assiste à un nouvel élan de revendications, identitaires et culturelles, qui questionnent l’Afrique du Nord de l’intérieur sans oublier que les Berbères du monde entier ont su tisser un véritable réseau de solidarité.

JOl Press : De quoi se compose le projet ?
 

Tarek Bouraque : Le projet se compose dans un premier temps d’une série de films documentaires avec en première partie #OCCUPYIMIDER au Maroc. Nous souhaitons, par la suite, réunir l’ensemble des documentaires réalisés au Maroc, en Tunisie, aux Iles Canaries, en Libye etc. pour développer un web-documentaire interactif baptisé ‘Printemps berbère’. La résistance berbère est de nature profondément protéiforme, à travers la culture, l’identité, la langue, les frontières et les États, le droit des femmes… Nous avons choisi d’interroger ces problématiques en partant d’histoires humaines, à la rencontre de plusieurs communautés dans différents pays afin d’illustrer leurs quotidiens, leurs batailles, leurs réflexions et leurs espoirs tout en tissant des liens entre ces différentes histoires d’un bout à l’autre de l’Afrique du Nord.

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JOL Press : Qu’avez-vous découvert lors de votre première visite sur place ?
 

Adeline Bailleul : Lors de nos recherches dans l’Anti-Atlas marocain. Ce voyage nous a conduit à Imider pour un premier repérage, nous avons rencontré les résistants du mont Alebban. Ils nous ont accueilli au sommet de la montagne qui fait face au gisement d’argent exploité par la SMI. Ils nous ont guidé sur leur terres et partagé avec nous leurs ressources, leurs témoignages et également considérablement nourri notre réflexion sur cette problématique. Nous avons été invité au cœur même de l’Agraw, assisté aux discussions et observé leur système de démocratie participative où enfants, femmes et hommes prennent la parole à tour de rôle afin de faire progresser le débat.

Nous avons découvert avec beaucoup d’étonnement la proximité géographique entre les militants d’un côté, l’exploitation minière de l’autre et la présence, entre les deux, des autorités 24h sur 24h 7j sur 7 – sans oublier la route qui les sépare, passage presque obligé pour les cars de touristes en provenance du désert. Une situation pour le moins paradoxale. C’est réellement en marchant sur leur terre, au cours de nos discussions, de nos observations et de nos découvertes que le documentaire a pris vie.

JOL Press : Comment allez-vous procéder pour réaliser les documentaires ? 
 

Tarek Bouraque : Pour le premier documentaire #OCCUPYIMIDER, nous avons déjà tous les éléments de réalisation en tête. Le premier repérage s’est révélé très constructif et nous bénéficions d’une très grande mobilisation de la part des habitants et de la société civile autour du projet. Nous envisageons de rester sur place dans la commune d’Imider, au sommet du Mont Alebban et dans ses environs pour une durée de 15 jours minimum, pour véritablement partager leur quotidien mais aussi pour analyser les environs afin de soulever des problématiques et, peut-être, tenter de répondre à d’autres. Notre méthode est celle du terrain mais également du partage. La caméra prend le temps de la rencontre avec les femmes, les enfants et les hommes berbères, ces indignés de la première heure, déterminés à se faire entendre.

JOL Press : Pourquoi avoir opté pour la forme du webdocumentaire ?
 

Tarek Bouraque : Format éditorial hybride, le web-documentaire est une forme narrative qui nous offre une plus grande liberté pour documenter la résistance culturelle des autochtones de l’Afrique du nord. C’est une possibilité pour nous de communiquer avec les internautes, en leur offrant un mélange RichMedia de photographies, vidéos, sons, textes, cartes et éléments graphiques. C’est une navigation interactive qui les rend acteurs et non plus uniquement spectateurs du projet. Sa diffusion sur internet le rend accessible gratuitement et partout dans le monde: cette grande visibilité est notre ultime objectif.

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JOL Press : La forme du webdoc est-elle selon vous cohérente avec la démarche du financement participatif : faire passer l’internaute du statut de spectateur à celui d’acteur du projet ?
 

Tarek Bouraque : À l’air du financement participatif 2.0, les internautes deviennent contributeurs et actionnaires du projet. Cela permet aux réalisateurs et aux internautes d’avoir une relation financière basée sur l’entraide et pas la recherche unique de profit. Dans le cadre de ‘Printemps berbère’, la cohérence de cette démarche nous semblait presque naturelle.

JOL Press : Quels sont les aspects positifs et négatifs du crowdfunding selon vous? Le financement participatif est-il la solution pour les réalisateurs/journalistes dans le contexte actuel ?  

 

Adeline Bailleul : Il y a plusieurs aspects positifs du Crowdfunding, et je ne pourrais pas tous les citer ici mais il permet non seulement de récolter les fonds, mais aussi de faire connaître le projet, d’avoir une audience et de développer une communauté. Outre le financement à proprement parler, c’est également le moyen de créer une dynamique, d’éveiller la curiosité et l’envie de participer. Il s’agit ici d’une logique d’implication à défaut de contemplation. Notre méthode est celle du terrain, mais elle est aussi celle du partage et c’est en cela que le crowdfunding participe à cette logique.

Le web-documentaire s’est imposé dans un contexte difficile, il fait nécessairement face à une crise du secteur audiovisuel et il est en train de chercher son modèle économique. D’ici là, le financement participatif est l’un des moyens permettant le développement d’une création indépendante et participative. 

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