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Parti de la Banlieue: «Agir sur l’humain plutôt que sur le béton»

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JOL Press: Quel est l’objectif du Parti de la Banlieue ?
 

Abdel-Malik Djermoune : La création du Parti de la Banlieue vient d’un constat : la banlieue s’exprime mais elle n’est pas entendue. Nous célébrons cette année le trentenaire de la Marche pour l’égalité (1983) et contre le racisme. La seule réponse que les marcheurs ont eu à l’époque c’est la création de SOS Racisme, qui est pour moi une aberration. Je pense que l’échec de cette marche – qui a été magnifique – est dû à l’absence de parti politique derrière pour prendre le relai des revendications.

Le Parti de la banieue puise ses racines d’un autre constat: depuis des décennies nous assistons à la mise en place de « plans banlieues » successifs portant sur la rénovation urbaine par exemple. Enormément d’argent a été dépensé, mais il n’en reste pas grand-chose de solide aujourd’hui.  Lorsque le gouvernement part, le plan banlieue tombe et il n’en reste qu’un vague souvenir. Le parti politique, lui, reste dans le temps avec cette question de la banlieue. Mais pour l’instant,  pas un parti n’a été capable de dire qu’il fallait plutôt agir sur l’humain, plutôt que sur le bêton. 

Lors des émeutes de 2005, nous avons bien vu que les politiques, mais également les élites intellectuelles, ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Il a fallu attendre l’analyse des renseignements généraux pour entendre une vision plus juste des émeutes urbaines: une frange de la population française qui s’est rebellée car elle en avait assez d’être discriminée pour sa couleur de peau ou la consonance de son nom.

JOL Press: Un point de votre programme concerne la responsabilité citoyenne des médias. Le traitement médiatique de la banlieue en France participe-t-il, selon vous,  à la ghettoïsation des quartiers populaires ? 

 

Abdel-Malik Djermoune : Il participe à la ghettoïsation et à la stigmatisation, n’ayons pas peur des mots ! Je me souviens d’un évènement qui m’a véritablement et fortement choqué. C’est anecdotique mais révélateur. Lors de l’émission de télé « La Marche du siècle », le journaliste Jean-Marie Cavada avait été jusqu’à grimer des jeunes sur un banc de quelques barbes dans une banlieue lyonnaise. Non seulement le traitement médiatique des banlieues est stigmatisant en France, mais on essaie de tout faire pour la trahir afin de mieux la stigmatiser.  Pour cette raison, nous préconisons dans notre programme, la création d’un observatoire des médias indépendant de contrôle pour demander une rectification rapide de l’information ou de l’opinion fausse ou erronée

JOL Press : Vous appelez également à la responsabilité des partis politiques ?
 

Abdel-Malik Djermoune : Tout le monde doit se responsabiliser : parents, écoles, et partis politiques… C’est notamment l’objet de la proposition 6 dans notre programme, sur la responsabilité des partis politiques dans le discours raciste. Aujourd’hui, trop souvent, nous entendons des politiques issus de soi-disant grand partis républicains,  tenir des propos discriminants voire racistes. Certains oublient que la politique c’est agir pour autrui, fabriquer une société meilleure, et veulent allumer le feu en dressant une frange de la société contre une autre. N’oublions pas que les valeurs de notre république reposent sur les mots : égalité, liberté et fraternité. C’est une question d’actualité essentielle, puisque Madame Taubira vient de parler de la responsabilité des discours racistes des partis politiques. 

JOL Press : Vous présentez ce parti comme le porte-drapeau de la diversité culturelle en banlieue. Parmi vos 50 propositions, figure la création d’un ministère du multiculturalisme. Quel en sera le but ?
 

Abdel-Malik Djermoune : C’est un point essentiel de notre programme. Le Parti de la banlieue est le seul et le premier parti politique à prôner le multiculturalisme. Il ne suffit pas de répéter le mot égalité pour qu’elle existe et émerge. La réalité, c’est comment faire pour atteindre et construire l’égalité ? Je pense, après mûre réflexion, qu’il n’y a pas d’autres chemins que de pouvoir appliquer dans notre République la notion politique de multiculturalisme. La création d’un ministère d’Etat et de citoyenneté du multiculturalisme permettra de mobiliser les autres ministères – comme celui de l’éducation – pour promouvoir la diversité culturelle. Tout le monde est d’accord en France pour appliquer cette notion, alors pourquoi ne l’applique-t-on pas? Je pense qu’il y a dans ce pays des relents racistes, des élites conformistes qui veulent garder leurs intérêts et qui se disent que ce n’est pas possible que nous apportions réellement l’égalité: faire semblant pourquoi pas, mais quand  même pas pour de vrai…

JOL Press : Comment expliquer la rupture entre les banlieues et les grandes métropoles ? Est-ce  une spécificité française selon vous ?
 

Abdel-Malik Djermoune : Ces zones reléguées existent depuis très longtemps, on les appelle aujourd’hui « banlieues », nous les appelions hier « faubourgs ». Les gens qui habitent dans ces espaces sont généralement de conditions sociales défavorisées. Dans la culture française, les catégories sociales ne se croisaient pas : nous avons fait la Révolution pour abolir tous ces avantages et permettre aux citoyens de naître libres et égaux en droits.  Mais dans la réalité, certains des avantages ont perduré. Nous restons en France, dans un pays de titres et de positions sociales dans lequel se trouve aussi le « sous-sous citoyen », pauvre et d’origine étrangère, en dessous des autres. 

Je suis moi-même issu de ces quartiers populaires. J’ai été de nombreuses fois discriminé à cause de mes origines ethniques, raciales, religieuses. Je me sens profondément français. J’ai deux solutions : soit j’abdique  et j’accepte ce système tel qu’il l’est, soit j’essaie de trouver des solutions car je croie aux valeurs de ce pays. Certains diront que c’est perdu d’avance… Je suis un grand optimiste et je pense que le peuple Français est prêt à une évolution : en faisant évoluer nos élites politiques, médiatiques, intellectuelles. 

JOL Press : A qui s’adresse ce parti ?  Pas uniquement aux habitants de la banlieue ?
 

Abdel-Malik Djermoune : Ce parti s’adresse à tous les citoyens français : qu’ils soient Français de souche, Français d’origine immigrée et même aux immigrés, car je suis pour le droit de vote aux immigrés au niveau local. Il y a un sens éthymologique dans le choix du nom du parti : il faut que ceux qui ont été mis au ban de la société soient replacés dans la grande famille nationale. Nous devons lutter contre la discrimination sociale, territoriale, ethnique, religieuse, ni raciale. 

JOL Press: Des candidats se  présenteront aux élections municipales de 2014 ? 
 

Abdel-Malik Djermoune : Je travaille pour. C’est notre devoir. Le parti a été lancé il y a une semaine, et cela demande beaucoup de travail. Pour les scutins de liste cela demande par exemple 49 noms pour une ville comme Aubervilliers ou 45 noms pour Genevilliers. Je ne sais pas encore combien je présenterai de listes, mais nous en présenterons. 

Propos recueillis par Louise Michel D. 

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Abdel-Malik Djermoune a été le responsable sur Aubervilliers du parti politique « Mouvement Des Citoyens » de Jean-Pierre Chevènement en 2002. Un an plus tard, il a fondé le mouvement « Regard Citoyens », puis a créé le magazine gratuit du même nom. Il a été le porte-parole  du mouvement politique « République Solidaire », présidé par Dominique de Villepin. Il est actuellement délégué général de l’Observatoire des engagements de la ville d’Aubervilliers.

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