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Quel a été le rôle du PS dans la montée du Front national?

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« Le temps est venu maintenant de dire stop à François Hollande, mais de le faire en comprenant bien qu’un piège est tendu : celui d’une collusion entre le PS et le Front national dans le cadre d’une instrumentalisation indécente », a déclaré Jean-François Copé au Grand Rendez-Vous Europe 1/Le Monde/i>Télé.

Mais de quelle collusion parle-t-il ? Eléments de réponse avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Certains responsables de l’UMP ont l’habitude de dénoncer une « alliance objective » entre le Parti socialiste et le Front national qui existerait depuis François Mitterrand. Pouvez-vous nous faire un petit rappel historique ?

Philippe Braud : En 1985, à la veille des élections législatives, François Mitterrand, sachant qu’il pouvait perdre sa majorité, a tenté une manœuvre de dernière chance : il a fait modifier la loi électorale. Pour la première fois sous la Ve république, les législatives se sont déroulées intégralement au scrutin proportionnel à un seul tour. C’est ainsi que le Front national a pu obtenir 32 sièges. Avec le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, le FN n’avait aucune chance.

François Mitterrand a permis l’arrivée du FN à l’Assemblée pour mettre la droite devant le dilemme suivant : soit vous faites des alliances avec le FN et on vous stigmatisera, soit vous refusez les alliances et vous n’aurez pas la majorité. Mais malheureusement pour lui, son calcul a échoué car l’union UDF et RPR a obtenu la majorité, ce qui a débouché sur le gouvernement Jacques Chirac. C’était un calcul assez machiavélique qui n’a pas marché.

JOL Press : « Le rêve de François Hollande c’est un deuxième tour entre lui et Madame Le Pen », a déclaré Jean-Luc Mélenchon. Le président actuel pourrait-il mettre en place une stratégie qui irait dans ce sens ?

Philippe Braud : Je ne crois pas qu’aujourd’hui les stratégies soient si compliquées. Mais pour être franc, je pense que le Parti socialiste n’est pas mécontent que le FN monte dans les intentions de vote. Bien sûr le Front national prend au Parti communiste, bien sûr il mord un peu sur le Front de gauche et sur le PS, mais pour l’essentiel le FN attire les électeurs de droite. On retrouve alors le scénario que  François Mitterrand avait mis en place : toute les voix qui sont récupérées par le FN sont perdues pour la droite et cela d’autant plus que toute alliance de programme sera stigmatisée.

La différence entre aujourd’hui et 1986, c’est qu’à l’époque le chef de l’Etat avait joué un rôle actif. A présent, le PS se contente d’enregistrer ce qui se passe : il s’indigne de la montée du Front national et se rassure en même temps car c’est la droite parlementaire qui en est la principale victime.

JOL Press : Pour Jean-François Copé, voter FN aux municipales revient à voter PS. Ce discours va-t-il être compris par son électorat ?

Philippe Braud : C’est vrai que d’une certaine façon, du point de vue de la droite,  voter FN c’est objectivement favoriser la montée du PS. L’argument tient, mais je crois que ce qui se passe dans le débat parlementaire, entre les stars de la vie politique et les stars des médias, n’influence que très peu la masse des électeurs. Ce qui est certain, c’est que, malgré la stigmatisation du FN qui est dominante dans le débat politique et médiatique, une grande partie des Français ne trouve pas que le Front national soit si révulsant que cela.

Bien des idées du FN sont partagées par une majorité de Français, mais d’autres idées paraissent complètement absurdes à cette même majorité de Français. Autant sur l’immigration, sur l’identité nationale ou sur la France face à l’Europe, beaucoup d’électeurs adhèrent au FN, en revanche quand le FN parle de quitter l’euro ou l’Union européenne, là énormément de gens ne sont plus d’accord.

JOL Press : Ne croyez-vous pas que, malgré tout, cette montée du FN correspond à un phénomène plus large que ce seul « coup de pouce » de la gauche dans les années 80 ? En Europe, la montée des populismes est incontestable…

Philippe Braud : Bien sûr. On a aussi accusé François Mitterrand d’avoir cassé le Parti communiste en 1981… La montée du populisme d’un côté et le déclin des partis communistes occidentaux de l’autre sont des tendances de fond qui correspondent à des évolutions de la société. Il est certain que la construction européenne, qui met chaque jour d’avantage en place un Etat fédéral qui ne dit pas son nom, provoque des crispations identitaires nationales, d’autant que les classes politiques de chacun des pays ont toujours tendance à montrer du doigt Bruxelles, au moindre disfonctionnement.

Il faut aussi souligner que chaque fois qu’une société a connu une longue période de croissance économique et qu’ensuite elle entre dans une phase de stagnation, voire de tassement, c’est là que les protestations sont les plus fortes. Il y a des lois que se répètent dans l’histoire, selon la conjoncture.

JOL Press : Pour quelles raisons les politiques se sentent obligés de parler du FN ? Quelle est la place du FN dans l’argumentaire politique ?

Philippe Braud : Il existe une loi de la rhétorique politique qui veut qu’on désigne un adversaire et un adversaire stigmatisable. L’idéal en politique, c’est d’avoir des adversaires qui ne sont pas légitimes. Il s’est construit, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une critique extrêmement forte de tout ce qui se rapproche de près ou de loin au nazisme, au fascisme et aux régimes autoritaires.

Comme on a besoin d’un adversaire, on va essayer de croire, ou de faire croire, qu’on le pense ou qu’on ne le pense pas, que le FN est un ersatz du mouvement nationaliste de 1930 ou des collaborationnistes, par exemple. Avec la personnalité de Jean-Marie Le Pen c’était plus facile, avec sa fille c’est plus difficile. Mais le discours de la stigmatisation trouvera toujours des arguments chez ces militants FN surpris en flagrant délit de racisme ou d’homophobie.

JOL Press : Pensez-vous que le FN sera encore longtemps le parti que les politiques aiment stigmatiser ?

Philippe Braud : Tout dépendra de son accès ou non au pouvoir. Si les succès électoraux du FN deviennent incontournables, il y aura une grande possibilité d’alliances programmatiques. Si Marine Le Pen obtenait un jour 100 députés, la gauche serait minoritaire et la droite ne pourrait gouverner sans elle. Alors la présidente du FN reporterait à plus tard ses idées de sortie de l’Union européenne ou de sortie de l’euro et obtiendrait des concessions sur le durcissement de l’immigration ou sur les conditions d’accès à la nationalité. En faisant des concessions, elle deviendrait respectable, des militants ne seraient pas contents du tout, crieront à la trahison et il y aurait une scission, un éclatement du parti.

Pour créer les conditions d’une coalition, il faut deux choses : un rapport de force et une perspective d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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