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Quel modèle pour la Chine de Xi Jinping?

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JOL Press : Les multiples arrestations d’opposants donnent le sentiment que la Chine ne fait aucun pas vers une plus grande libéralisation politique, est-ce le cas ?
 

Emmanuel Lincot : Il y a eu, en effet, de nombreuses arrestations depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, mais ce n’est hélas pas quelque chose de nouveau. En revanche, ce qui est radicalement nouveau, ce sont les formes de dissidence qui se manifestent au sein même du parti communiste, et notamment en faveur de Bo Xilai, l’ancien maire de Chongqing, la plus grande ville du monde avec ses 34 millions d’habitants, qui représentait la nouvelle gauche.

Bo Xilai a été victime d’un procès récemment, dans la province du Shandong, mais n’est, malgré tout, pas encore mort politiquement, puisqu’un certain nombre de dirigeants du parti communiste, lors du plénum qui a eu lieu ces derniers jours, se sont déclarés en sa faveur. Cela montre bien qu’il  y a des factions qui s’expriment maintenant clairement contre la direction actuelle et donc, contre Xi Jinping, et son premier ministre Li Keqiang

En réalité, il faut inverser l’appréciation que l’on a de la configuration politique chinoise, la dissidence, aussi paradoxale que cela puisse paraître, a plus de chance d’être efficiente à l’intérieur du parti qu’à l’extérieur.

JOL Press : Cette montée de la dissidence en interne pourrait-elle restreindre la capacité d’action et de réforme du président chinois ?
 

Emmanuel Lincot : C’est une lame à double tranchant évidemment. On a encore une organisation léniniste du parti, c’est-à-dire qu’au sein du parti, le plus grand du monde, avec 80 millions d’adhérents, il y a un processus décisionnel qui doit faire l’objet d’une concertation, et repose sur une unanimité de vues. Dès lors qu’il y a dissension au sein du parti, forcément, ce processus de décision peut être retardé et entravé.

Mais d’un autre côté, on peut considérer également qu’il s’agit de l’expression d’une forme de démocratie et d’une chance pour le parti d’engager des réformes sur le plan constitutionnel. Parce que c’est la grande attente de la plupart des intellectuels chinois, y compris des dirigeants politiques, et en particulier Li Keqiang, qui est un juriste de formation, et qui avait laissé entrevoir, à partir du mois de mars dernier, la possibilité d’une réforme profonde de la constitution chinoise.<!–jolstore–>

JOL Press : La libertés individuelles progressent-elles toujours en Chine ?  
 

Emmanuel Lincot : Il ne faut pas sous-estimer les espaces de liberté qui se sont développés, et qui vont en s’élargissant, grâce aux réseaux sociaux, et aux blogs en particulier. Il y a également ce que l’on appelle les bureaux des plaintes, où sont enregistrés divers problèmes et injustices auxquels sont confrontés les citoyens. Cela peut être la spoliation de terres, des injustices au niveau social, juridique. Tout n’est pas systématiquement censuré par le régime, il y a des relais d’opinions, il y a discussion, concertation.

JOL Press : Ce n’est donc pas réellement le changement de président qui a modifié la donne ?
 

Emmanuel Lincot : C’est un mouvement historique, qui s’inscrit en réalité dans les reformes initiées par Deng Xiaoping, il y a près de quarante ans maintenant. Ce mouvement ne peut, de toute façon, que se développer, parce qu’une police, aussi importante soit-elle, ne peut contrôler les faits et gestes de l’ensemble des citoyens.

La démultiplication des réseaux sociaux force le régime à non plus censurer systématiquement mais au contraire à apaiser et trouver des solutions pacifiques aux conflits qui naissent nécessairement dans une société hypercentralisée.

JOL Press : La Chine se donne-t-elle vraiment les moyens de lutter contre la corruption ou s’agit-il toujours d’une certaine mise en scène destinée à satisfaire l’opinion publique ?
 

Emmanuel Lincot : Pour les affaires de corruption, les dés sont pipés dès la départ. A partir du moment où il y a confusion des différents pouvoirs, il ne peut y avoir que corruption et conflits d’intérêts. Tout l’enjeu est de savoir si d’un point de vue juridique, le gouvernement va pouvoir créer la distanciation nécessaire entre les différentes institutions pour qu’elles deviennent autonomes et indépendantes les unes des autres.

Bo Xilai a été sacrifié au motif qu’il était corrompu mais, en réalité, ils le sont tous, jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Les dirigeants politiques sont à l’origine de fortunes absolument colossales et évidemment totalement illégales. A chaque fois que le gouvernement veut donner l’illusion d’avancer, il sacrifie un dirigeant à l’opinion publique. On l’incarcère et on organise un procès retentissant, mais cela ne signifie pas qu’en amont, une réformes institutionnelle et profonde du système ait été mise en place. Pour Bo Xilai, le problème pour le gouvernement était bien sûr avant tout qu’il était un outsider au sein du parti communiste et qui plus est, d’une certaine manière, le porte-parole d’une autre forme de gouvernance.

C’est là encore tout l’enjeu de ce plénum, savoir si oui ou non, le parti communiste va se donner les moyens de réformer les structures.

JOL Press : Il est admis que le vieillissement de la population sera un problème majeur pour la Chine dans un horizon plus ou moins proche, est-ce que des mesures sont dès à présent envisagées pour lutter contre ce phénomène ?
 

Emmanuel Lincot : Il y a un grand projet très symptomatique, qui a été annoncé il y a déjà quelques mois, qui est le la levée de la politique de l’enfant unique au niveau de Shanghai. Or Shanghai, dans bien des domaines, a souvent été la première étape de réformes ensuite appliquées à l’échelle nationale.

La Chine est confrontée à un problème qui se manifeste dans de nombreux pays de l’OCDE, pays riches, et qui pose la question notamment du financement des retraites. Une réformes est nécessaire parce que l’on arrive réellement à un seuil critique. Selon la formule consacrée, le pays pourrait devenir vieux avant de devenir riche.

Cette levée de la politique de l’enfant unique à Shanghai a de forte chance d’être appliquée à l’ensemble des autres provinces. Ce serait la fin de quelque chose, qui est, comme on peut l’imaginer, très mal vécue par l’ensemble de la population.

JOL Press : La Chine affiche-t-elle une volonté de s’imposer désormais également sur la scène internationale, sur les grands dossier internationaux ?
 

Emmanuel Lincot : Le plénum est bien sûr surtout orienté vers des questions de politique intérieure mais là où est attendu Xi Jinping, là où l’attend la communauté internationale, c’est avant tout sur les grands dossiers internationaux. Lors de deux grandes conférences ayant eu lieu récemment, il s’est fait remarqué très positivement par l’ensemble de la communauté internationale.

Il faut bien dire que la Chine va être amenée à jouer, malgré elle, un plus grand rôle dans les grandes questions internationales. Les Etats-Unis, pour des raisons éminemment conjoncturelles ont tendance à se désengager, ce qui va conduire, par la force des choses, la Chine à prendre des responsabilités de plus en plus grandes.

Propos recueillis par Rémy Brisson pour JOL Press

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