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Qui était la «Source», à l’origine de l’affaire d’espionnage chez Renault?

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Dix ans. Il aura fallu dix ans à Renault pour devenir le théâtre des complots et des coups fourrés. On transporte un adolescent de nuit dans un coffre de voiture pour qu’il pirate les ordinateurs des employés, on enquête sur la vie sexuelle des syndicalistes. On fait croire à des ingénieurs qu’ils sont pourchassés par de sanguinaires Tchétchènes, on interroge un soustraitant dans un faux commissariat. Quatorze salariés sont licenciés sur la base d’accusations farfelues. Sept suicidés sont recensés dans les effectifs du Technocentre.

Fruit de trois ans d’enquête, Renault, nid d’espions propose à travers de nombreux témoignages et documents inédits, une plongée hallucinante dans une entreprise mythique où les barbouzes manipulent les polytechniciens. Une histoire glaçante. Pourquoi ? Parce que tout est vrai.

Extraits de Renault nid d’espions de Matthieu Suc (Éditions du Moment – 21 novembre 2013)

De retour de réunion, Rémi Pagnie hèle Marc Tixador et son voisin de bureau Dominique Gevrey.

« – Venez me voir ! »

Les deux hommes traversent la salle attribuée aux dix salariés de la DPG, passent devant les secrétaires, les collègues chargés de la protection des personnes et des risques pays, le responsable de la protection de l’information et des enquêtes informatiques, le préposé à la gestion de crise, l’homme qui pilote l’événementiel et les nouveaux véhicules et celui qui s’occupe de la veille stratégique.

Rémi Pagnie referme la porte de son bureau derrière les deux enquêteurs. Il présente la lettre du corbeau qui accuse Michel Balthazard, « Bell de la F1 » et « le petit jeune qui travaille avec Koskas » de « détourner de l’argent et de toucher des pots-de-vin ».

« – Il faut qu’on réfléchisse », leur annonce-t-il.

Dominique Gevrey jette un coup d’œil. Il avait eu l’enveloppe entre les mains, le 19 août. En l’absence du chef et de sa secrétaire, Gevrey distribuait de lui-même le courrier dans les bannettes des gens du service. Remarquant un timbre représentant une vue de Clermont-Ferrand collé sur la lettre adressée à Pagnie, il s’était exclamé : « On a des nouvelles de Michelin ! » Le service de sécurité de Renault vient d’entamer des relations de benchmarking – pratique qui consiste à partager entre entreprises ses savoir-faire – avec celui du fabricant de pneumatiques basé dans le Puy-de-Dôme. Les contacts sont donc réguliers.

[image:2,s]Pagnie, Tixador et Gevrey discutent de la manière de mener leur enquête. Ils lisent et relisent le courrier. L’ancien de la PJ regarde dans l’organigramme et la base du personnel de Renault pour déterminer qui pourrait être le Petit jeune dans le service de Thierry Koskas, le directeur du projet véhicule électrique. Il le trouve sans trop de difficultés mais son cas est remis à plus tard. Concernant Robert, dit « Bob » Bell, qui n’est rien de moins que le patron de l’écurie F1 de Renault, Pagnie indique à ses limiers de ne pas s’en préoccuper : l’Irlandais est en train de quitter l’entreprise. Son départ sera officialisé le 6 octobre.

En revanche, le cas de Michel Balthazard retient toute l’attention de la haute hiérarchie. Rémi Pagnie a déjà son plan en tête, pour lequel il a besoin de Tixador. Mais pas pour ses talents d’ex de la brigade financière : il voudrait que Dominique Gevrey actionne « son Gars », « sa Source », histoire de voir si Balthazard n’aurait pas des comptes en banque un peu suspects à l’étranger. L’ancien militaire Gevrey, l’homme qui organise les repas de barbouzes au Boxeur, a en effet recruté une gorge profonde en or. Un homme capable de se procurer les comptes bancaires de n’importe qui dans n’importe quel pays. Une Source si précieuse qu’il en tait l’identité à son ami Tixador. « Dominique Gevrey avait dit un jour qu’il ne pouvait pas la donner sous prétexte qu’il ne pourrait plus l’activer, mais je ressentais qu’il ne voulait pas la balancer, car c’est lui qui la traitait, c’est lui qui avait le contact. Je pense qu’il voulait en rester maître[1]. »

Pas plus de succès pour Pagnie : « J’ai évidemment essayé de connaître la source de monsieur Gevrey. Je n’ai jamais réussi à la rencontrer. […] Il s’agirait d’un ancien militaire reconverti dans un emploi bancaire. Cet homme ne serait pas français. […] Monsieur Gevrey allait le rencontrer à Bruxelles[2]. » Une chose est sûre pour les deux hommes : la Source est fiable. Elle a permis de virer différents salariés suspectés d’avoir fauté.

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Après dix ans passés au Parisien et à France-SoirMatthieu Suc est désormais journaliste indépendant. Il est l’auteur de Antonio Ferrara, le roi de la belle, avec Brendan Kemmet, Éditions du Cherche midi (2008) et La Face cachée de Franck Ribéry, avec Gilles Verdez, Éditions du Moment (2011).

[1] Audition de Marc Tixador à la DCRI, le 11 mars 2011.

[2] Audition de Rémi Pagnie à la DCRI, le 12 mars 2011.

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