En Turquie, l’intellectuelle Ayşe Berktay fait face à la justice. Elle est accusée d’appartenir à un mouvement illégal. Comme elle, des dizaines de Turcs sont emprisonnés, ou risquent la prison, pour leurs idées ou leurs combats intellectuels. Le « Collectif Van » a mis en place un blog en français dédié au combat de ces intellectuels.
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Ayşe Berktay est écrivain et traductrice turque. Elle est incarcérée depuis le 7 octobre 2011 dans la prison de Silivri et accusée « d’appartenance à un mouvement illégal » en tant que membre du BDP, un parti kurde pourtant légal.
Un collectif pour défendre les prisonniers politiques turcs
Comme elle, plusieurs dizaines d’intellectuels sont actuellement enfermés dans des prisons turques. Alors qu’Ayşe Berktay fait face aujourd’hui à la justice, et risque 15 ans de prison, un collectif vient de mettre en place un blog, en français, dédié au soutien à ces intellectuels.
Le collectif Van (Vigilance arménienne contre le négationnisme) s’est donné pour objectif de mobiliser, en Europe, en faveur de ces prisonniers politiques qui remplissent les prisons turques, alors même que l’Union européenne étudie en ce moment le dossier d’adhésion de la Turquie.
Ayşe Berktay fait partie de ces intellectuels. Co-fondatrice du Tribunal mondial pour l’Irak (WTI), elle a reçu récemment le prix de l’ONG Brussels Tribunal.
A cette occasion, un prix devait lui être remis. « Richard Falk, professeur de droit international, rapporteur spécial des Nations Unies pour la Palestine et co-fondateur du Tribunal mondial pour l’Irak est venu à Istanbul le 7 septembre. Son intention était de remettre le prix en mains propres à Ayse Berktay », rappelle le chercheur Etienne Copeaux. « Mais le ministère de la Justice ne l’a pas autorisé à faire cette démarche » et « le prix a été remis au frère d’Ayse ».
Sous le regard de l’Union européenne
Dans une Turquie qui inquiète souvent, tant le régime a pris un tournant liberticide depuis 2009, de nombreux chercheurs tentent d’alerter la communauté internationale sur des pratiques dangereuses menées par le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Pour Vincent Duclert, chercheur à l’EHESS, cette inquiétude n’est en effet pas nouvelle. Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, ce chercheur rappelle qu’après « avoir donné certains gages au processus de démocratisation réclamés par l’Union européenne, le gouvernement conservateur dirigé par Recep Tayyip Erdogan » a adopté « la logique nationaliste récurrente du pouvoir d’Etat ».
La Turquie a retrouvé « les pratiques de persécution systématique de l’opposition politique, sociale et intellectuelle ».
« Ce ‘tournant liberticide’ affecta pour commencer des intellectuels et journalistes dont le seul crime était de contester le pouvoir personnel d’Erdogan et les méthodes autoritaires de l’AKP », rappelle encore Vincent Duclert.
Ayse Berktay, symbole de l’emprisonnement liberticide
En effet, Ayse Berktay n’est pas un cas isolé. Bien au contraire. Et le blog du collectif Van se fait le témoin de cette multitude de personnalités, emprisonnées pour leurs pensées dans les prisons du régime turc.
Parmi eux, Deniz Zarakolu, fils d’un éditeur et militant des droits de l’homme turc Ragıp Zarakolu. Arrêté le 4 octobre 2011, il risque jusqu’à 12 ans de prison. « Son arrestation fait suite à une série de conférences qu’il a délivrées au sein de l’Académie du BDP (Parti pour la paix et la démocratie). Ces conférences traitaient d’histoire et de philosophie », rappelle le comité de soutien.
A. Dursun Yıldız a été placé en détention le 4 octobre 2011. Retraité de l’enseignement, cet homme de 58 ans est accusé d’appartenir à l’organisation « terroriste KCK » car il a assisté à des réunions de cette même organisation dans les bureaux du BDP. « Aucune preuve n’étaye ces accusations. Il risque 6,5 ans de prison », écrit le comité de soutien.
« Ils ne m’ont posé aucune question »
Lorsqu’ils ne sont pas emprisonnés, ils peuvent être en sursis judiciaire. C’est le cas de Ragıp Zarakolu, arrêté le 28 octobre 2011. Contributeur pour les revues Ant (Le Serment) et Yeni Ufuklar (Nouveaux Horizons), il est accusé d’« appartenance à un groupe terroriste armé ». S’il bénéficie depuis le 10 avril 2012 d’une libération conditionnelle, il risque toujours de 7,5 à 15 ans de prison.
Depuis sa prison où il était incarcéré en novembre 2011, Ragıp Zarakolu a écrit une lettre, transmise ensuite par son avocat. « Lors de mon interrogatoire, ils n’ont posé aucune question au sujet de l’organisation dont j’étais accusé d’être membre. Ils ne m’ont posé des questions que sur les livres que j’ai écrits ou préparés à la publication, les réunions publiques où j’ai parlé ou auxquelles j’ai assisté », écrivait alors cet écrivain.
« Je suis un éditeur qui porte la responsabilité de défendre le droit de lire et écrire, de s’exprimer en pleine liberté », a-t-il encore déclaré, alors qu’il recevait le Prix Info-Türk 2012 pour la liberté en 2012.
Des intellectuels en sursis
Aziz Tunç fait également partie de ces hommes en sursis. Arrêté le 4 octobre 2011 il est collaborateur de la maison d’édition Belge, une société qui a souvent reçu les foudres de la censure turque. Il est en libération conditionnelle depuis le 7 juin 2013, mais risque toujours une peine de prison.
« Son ouvrage Maraş Kıyımı – Tarihsel Arka Planı ve Anatomisi (Origine et anatomie du massacre de Marache) traite du massacre des Alevis par des militants d’extrême droite en 1978, mené avec l’approbation de l’armée et des forces de sécurité », explique le blog sur lequel on peut lire sa biographie.
Mulazim Ozcan. Arrêté le 4 octobre 2011 à la suite d’une conférence sur la langue et la littérature kurdes qu’il a donnée à l’Académie politique du BDP est en libération conditionnelle. Consultant aux éditions Belge International et également connu sous le nom de sous le nom de Miraz Roni, pour les poëmes qu’il signe, il risque encore une peine de prison.