Site icon La Revue Internationale

Sommet franco-italien: «La rencontre de deux boiteux»

enrico_letta.jpgenrico_letta.jpg

[image:1,l]

JOL Press : Les années « Berlusconi » ont sérieusement mis entre parenthèse l’alliance objective entre l’Italie et la France. Que peut apporter un axe Rome-Paris à quelques mois des élections européennes ?
 

Philippe Moreau Defarges : Pour la France, comme pour l’Italie, le grand partenaire essentiel est l’Allemagne. L’axe Paris-Rome, face à l’Allemagne, s’annonce donc difficile. Il s’agirait d’une alliance de boiteux. La situation personnelle de François Hollande est discutée, et en Italie, Enrico Letta est également dans une position fragile. La France et l’Italie devraient cependant émettre un souhait commun concernant une politique de rigueur plus souple, et pour que l’Allemagne regarde moins ses excédents.

JOL Press : Quels seront les enjeux du sommet franco-italien ?

Philippe Moreau Defarges : Il n’y a pas vraiment d’enjeux précis… Les deux gouvernements vont se réunir pour échanger des informations sur leurs politiques économiques. Les deux pays pourront se réconforter en se disant comme il est difficile de gouverner lors de ce sommet, mais cela n’ira pas plus loin, ils n’auront pas beaucoup avancé.

JOL Press : En 67 ans, l’Italie a connu 71 gouvernements. Le triomphe d’Enrico Letta au parlement italien, le 2 octobre dernier, marquera-t-il un tournant politique en Italie ?
 

Philippe Moreau Defarges : C’est un tournant purement italien. Il est vrai que Silvio Berlusconi a fait perdre beaucoup de temps à l’Italie. La fin de l’ère Berlusconi va permettre enfin à l’Italie de s’occuper des vrais problèmes et non des faux. Mais n’oublions pas qu’Enrico Letta est dans une position très difficile avec une majorité composite, des Italiens – comme les Français – qui ne veulent pas de réformes… L’Italie est enfin débarrassée de Berlusconi mais il n’était pas son seul problème.

JOL Press :  Quels types de réformes sont susceptibles de trouver un consensus politique ?
 

Philippe Moreau Defarges : La voie semble difficilement libre pour des réformes en Italie. Le premier problème du pays réside dans le manque de mobilité de sa main d’œuvre et la rigidité de son marché du travail. Il faut que l’Italie, comme la France, assouplisse ses règlementations, ou ses professions. Le deuxième problème – auquel le gouvernement d’Enrico Letta ne peut pas grand-chose – concerne le capitalisme très familial du pays. Il y a beaucoup d’entreprises familiales italiennes, mais il manque de grandes entreprises internationales dans le pays. Enfin, troisième problème: sa dette publique qu’il faut à tout prix qu’elle révise.  

JOL Press : Enrico Letta a affirmé redouter l’émergence des forces populistes lors des élections européennes de mai 2014. A qui impute-t-il  la montée de l’euroscepticisme ?
 

Philippe Moreau Defarges : La crise économique et le chômage ont provoqué une montée du populisme pas seulement en Italie, mais dans toute l’Europe. Il n’y a rien de spécifiquement italien. C’est un phénomène qui touche tous les Etats, de manière plus ou moins accentuée selon les pays. La spécificité en Italie réside dans l’opposition entre le nord industriel, assez ouvert sur l’extérieur, et un sud très en retard.

JOL Press : Enrico Letta se pose en dirigeant pro-européen, en déclarant vouloir placer son pays « à l’avant-garde de la construction des Etats-Unis d’Europe ». Un défi ambitieux pendant la crise ?
 

Philippe Moreau Defarges : Aujourd’hui, être pro-européen signifie d’abord qu’il faut mettre les choses bien en ordre dans son pays, pour aider l’Europe ensuite. Qu’il s’agisse de la France, de l’Italie ou de l’Allemagne, c’est de dire je vais mettre de l’ordre dans mes affaires, diminuer la dette publique, revoir le système fiscal, faire des réformes du marché du travail pour que je sois un bon élève dans la classe de l’Europe, voilà ce que c’est d’être pro-Européen. Enrico Letta est pro-européen et veut rendre l’Italie mieux adaptée à la mondialisation.  

JOL Press : Après les nombreux scandales sous Silvio Berlusconi, Enrico Enrico Letta a-t-il le profil du dirigeant qu’attendaient les Italiens ?
 

Philippe Moreau Defarges :   Il n’y a pas de dirigeant parfait mais Enrico Letta est un homme politique qui a l’air sérieux et relativement honnête. Ce n’est peut-être pas le meilleur des choix, mais le moins mauvais… Contrairement à Silvio Berlusconi, ce n’est pas un flambeur, et ça, c’est une bonne nouvelle pour l’Italie. Mais sa tâche est très difficile.

———————-

Philippe Moreau Defarges chercheur et spécialiste de la politique italienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

Quitter la version mobile