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Typhon aux Philippines: comment s’organise l’aide humanitaire?

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JOL Press : À quel moment peut-on parler d’« urgence humanitaire » ?
 

Stéphane Roques : À partir du moment où un grand nombre de personnes se trouve confronté, pour des raisons diverses (catastrophes naturelles, conflits et leurs conséquences, voire un effondrement total d’un système de santé) à une absence ou à une pénurie très forte de soutiens, de soins, de nourriture, pour lesquels il y a besoin d’une réaction urgente et d’un apport extérieur ou d’une aide aux soutiens locaux.

C’est une situation d’extrême besoin, liée à un événement soudain le plus souvent, ou à un effondrement des politiques locales. Aujourd’hui, les Philippines sont typiquement en situation d’urgence humanitaire : des milliers de personnes se retrouvent en difficulté par rapport à l’accès à la nourriture et aux soins.

JOL Press : De quoi la population des Philippines a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ?

Stéphane Roques : De nourriture bien sûr, mais également de structures permettant aux familles de s’abriter, puisque beaucoup de maisons ont été détruites ; elle a également besoin de « sets » de première nécessité (abris, tentes, couvertures pour se protéger, ustensiles de cuisine, produits d’hygiène), ainsi que d’une prise en charge médicale, puisque beaucoup de centres médicaux ont été dévastés.

Selon les premières informations que nous avons, il semblerait que beaucoup de blessés ont tout de même pu être transportés vers d’autres hôpitaux et être en partie pris en charge. En revanche dans la ville de Tacloban, le besoin d’un soutien au niveau de l’hôpital, pour régler la prise en charge générale des patients, est très fort.

JOL Press : Avez-vous eu le temps d’anticiper l’aide humanitaire avant la catastrophe ?
 

Stéphane Roques : Nous sommes, d’une certaine manière, prêts en permanence. Les structures logistiques sont prêtes à faire partir très vite du matériel en cas d’urgence. Nous n’avons donc pas été totalement pris au dépourvu, le typhon avait été annoncé et nous avons mené des réflexions pour savoir s’il fallait pré-positionner des stocks à certains endroits.

Compte tenu de la présence de stocks à Dubaï – donc proches en avion – et de nos équipes qui étaient en Australie ou à Hong Kong, nous étions relativement proches des zones dévastées, ce qui a permis le déploiement rapide de l’aide d’urgence.

JOL Press : Quels sont les principaux obstacles à l’acheminement de l’aide humanitaire sur place ?
 

Stéphane Roques : C’est justement l’acheminement de l’aide qui pose problème : c’est le cauchemar logistique, qui est en train de s’estomper un peu à l’heure où je vous parle [14 novembre, ndlr]. Mais jusqu’à mardi, il était quasiment impossible d’accéder aux zones dévastées par manque de transport : il n’y avait pas d’avion, pas d’hélicoptère, et les routes maritimes pour les bateaux sont longues. Des aéroports, des routes et des ports ont en effet été détruits, et cela rend très complexe le déchargement des tonnes de nourriture et de matériel.

Quelques avions ont cependant pu atterrir jeudi, et nos équipes sont maintenant sur les zones dévastées, aux côtés des populations. Nous avons donc pu identifier des besoins précis, et le déploiement est en cours. Nous avons par exemple réfléchi au fait d’acheminer un hôpital gonflable, avec un certain nombre de tentes et de lieux de prise en charge des patients, qui pourrait être installé à Tacloban.

JOL Press : Comment se passe la coordination avec le gouvernement philippin et entre les différents acteurs sur place ?
 

Stéphane Roques : La coordination se passe bien avec les autorités philippines et avec les autres ONG. Il faut savoir que dans ce genre de situation, les relations avec les autorités locales sont un enjeu important, il ne s’agit pas d’arriver et de faire ce que vous voulez. Certains clusters thématiques ont été mis en place et la coordination s’est bien passée, de manière à ce que les secours soient les mieux répartis possibles, en fonction des besoins.

JOL Press : Comment l’aide humanitaire peut-elle remédier aux traumatismes, physiques mais aussi psychologiques, des populations touchées par le typhon ?
 

Stéphane Roques : L’organisation Médecins sans frontières est focalisée avant tout sur l’aide aux victimes d’ordre médical et paramédical.

Dans ce type de situation, nous développons la prise en charge des blessés, la reconstruction rapide d’un système de soins de premier niveau et de référence avec des structures hospitalières, et la prise en charge des traumatismes, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Il y a donc des équipes de psychologues qui seront normalement déployées, comme cela avait été le cas pour les précédentes catastrophes, à Haïti ou au Japon.

JOL Press : Combien de temps faudra-t-il pour que les Philippines se reconstruisent ? Pensez-vous rester encore longtemps sur place ?
 

Stéphane Roques : Il est aujourd’hui encore difficile de répondre. Ce que nous voyons pour le moment, c’est que certains endroits ont été totalement dévastés, il y aura donc clairement un temps de remise en route et de reconstruction.

Il faut également prendre en compte la richesse économique du pays. La reconstruction aux Philippines risque de prendre plus de temps que lors de catastrophes au Japon ou, dans une moindre mesure, au Sri Lanka, qui sont des États plus riches. Il y aura cependant, je pense, beaucoup d’aides à la reconstruction provenant d’acteurs internationaux.

D’un point de vue médical, la phase d’urgence et de post-urgence est en train d’être déployée. Ensuite, en fonction de l’état dans lequel se trouve le système sanitaire après une évaluation plus poussée, il est possible que l’on reste quelques mois, voire deux ou trois ans sur place pour aider les autorités.

JOL Press : Comment financez-vous l’aide que vous fournissez aux Philippines ?
 

Stéphane Roques : Nous avons une capacité d’agir dans l’urgence, sans attendre les finances ad hoc. Nous avons des enveloppes d’urgence, qui sont liées aux donateurs. On peut donc partir très vite et mettre en place les premiers gestes de secours. Ensuite, pour des opérations comme celle-ci, qui risque de s’élever en millions d’euros, on fait des appels ponctuels aux dons. Les premiers résultats sont bons.

Cela va se poursuivre quelques jours, et en fonction de l’évaluation précise qui se fait jour après jour et de la manière dont on se projette dans le temps, on communiquera davantage et on relancera un appel, ou bien on finira cette phase d’appels en mettant plus en avant les autres crises sur lesquelles on intervient, comme en République centrafricaine ou en Syrie. La question est d’être clair dans l’estimation de nos besoins, dans la manière dont les fonds remontent, d’être honnête et transparent.

Nous ne voulons pas « sur-collecter » par rapport aux besoins, ni utiliser une crise pour collecter de l’argent en prévision d’autres crises. Nous ne sommes pas dans ce mode de fonctionnement. Néanmoins, aujourd’hui il est encore trop tôt pour arrêter la collecte entreprise pour les Philippines.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Stéphane Roques est directeur général de l’association humanitaire internationale Médecins sans frontières (MSF).

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