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Un délit de discrimination par l’adresse, une fausse bonne idée?

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JOL Press : En quoi consiste exactement l’amendement créant une « discrimination par l’adresse » pour lequel vous vous êtes battu pour qu’il soit intégré au texte du projet de loi de la programmation de la ville et de la cohésion urbaine, débattu demain à l’Assemblée ?
 

Daniel Goldberg : Précisons que cet amendement a été voté à l’unanimité la semaine dernière, y compris par l’UDI et l’UMP en commission. Il fait donc partie intégrante du texte de loi présenté demain devant l’Assemblée nationale. Je suis d’autant plus heureux qu’il ait été voté à l’unanimité que je l’avais présenté, par deux fois, dans les mêmes termes, lors de ma précédente mandature,  et ce sans succès. La majorité UMP précédente y faisait blocage sans réellement donner de raisons…

Il consiste, pour une personne, au droit de ne pas se faire discriminer selon son lieu de domicile. Cela vaut pour le monde du travail, mais également pour les fournitures de services. Donnons un exemple. Je peux comprendre qu’un chauffeur de taxi ne veuille plus se rendre dans un quartier difficile après que sa voiture a été vandalisée, mais je peux aussi comprendre la jeune fille qui ne peut pas rentrer chez elle, en taxi, en sécurité. Le problème n’est pas de dire qui a tort ou raison puisque chacun est dans son rôle. C’est à la République de permettre, quel que soit son lieu de résidence, que tous les citoyens aient accès aux mêmes services publics.

Cette nouvelle « discrimination par l’adresse » sera réprimée pénalement, au même titre que les autres dix-neuf discriminations déjà prévues à l’article 225-1 du Code pénal. Par ailleurs, ce critère sera également inscrit dans le Code du Travail.

JOL Press : Comment comptez-vous concrètement mettre en place ce système ?
 

Daniel Goldberg : Mon travail de parlementaire est d’inscrire cette nouvelle discrimination dans la loi, et non pas de conditionner son application. La loi fait état de critères sur lesquels les citoyens peuvent se sentir, à un moment donné, discriminés, et peuvent alors saisir un juge pour obtenir réparation.

J’ai conscience qu’il s’agit d’un nouveau dispositif lourd à mettre en place et il n’est pas question que les tribunaux soient engorgés par ces nouvelles plaintes. Par contre, je souhaite qu’il fasse réfléchir les employeurs sur la manière dont travaillent leurs services de ressources humaines. Consciemment ou non, nous embauchons généralement des gens qui nous ressemblent, et pas seulement physiquement.

JOL Press : Il sera très difficile de prouver une telle discrimination. Ne risque-t-il pas de souffrir de son imprécision et de sa subjectivité ?

Daniel Goldberg : De la même manière qu’il faut prouver que l’on a été discriminé parce qu’on est noir, obèse ou une femme, il faudra le prouver selon notre lieu de domicile. Certes,  je ne nie pas les difficultés à apporter la preuve d’une telle discrimination. Néanmoins, l’inscrire dans la loi permet à la fois à la personne qui se sent discriminée de pouvoir porter plainte, et surtout, cela met une pression sur le recruteur, l’obligeant à prendre conscience de la diversité des candidats.

JOL Press : N’y aurait-t-il pas d’autres voies pour interdire la discrimination par l’adresse plutôt que la sanction pénale, comme par exemple la suppression de la mention adresse dans les CV ?

Daniel Goldberg : Figurez-vous que j’ai tenté d’occulter la mention « adresse » des CV, il y a quelques années. Mais même la Haute autorité de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) s’y était opposée, argumentant sur le fait qu’à un moment où un autre, l’employeur devra connaître l’adresse de son employeur.

Pour moi, punir pénalement les entrepreneurs permettrait de faire pression sur les employeurs, et de faire cesser les politiques de communication hypocrites. Je suis fatigué de voir des jolies plaquettes, faites par les entreprises, indiquant la diversité et la richesse de leur politique de recrutement, alors qu’en réalité cela ne repose sur aucun fondement.

JOL Press : Inscrire dans la loi une nouvelle discrimination par l’adresse n’est-il pas en réalité un moyen de noyer le poisson ? De dissimuler les réels critères de discrimination, comme l’origine réelle ou supposée, la couleur de peau, ou encore le genre d’une personne ?

Daniel Goldberg : Je ne pense pas du tout noyer le poisson en créant cette nouvelle discrimination par l’adresse. Et de la même manière, je sais bien qu’elle ne va permettre de solutionner tous les problèmes. Vous savez, je suis né en Seine-Saint-Denis, j’y ai grandi, j’y ai travaillé, j’y vis, et j’en suis un des élus aujourd’hui. Je crois donc connaître la situation de ce type de quartiers, où les discriminations liées à la couleur de peau, à la religion ou à l’origine réelles ou supposées, sont évidentes. Mais je sais aussi que habiter tel ou tel quartier est parfois un marqueur social, et que le fait de s’appeler David, Michel ou Mohammed n’y change rien.

Par ailleurs, plusieurs études ont montré que les jeunes diplômés se sentaient discriminés en fonction de leur lieu de résidence. Mon travail n’est pas de juger si tel ou tel critère de discrimination plus important qu’un autre, mais de considérer qu’il en manque un, le lieu de résidence.

Propos recueillis par Carole Sauvage pour Jol Press

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