Une association de défense des musulmans de France a attaqué en justice Charlie Hebdo à Strasbourg pour « blasphème », a annoncé vendredi dernier l’avocat de l’hebdomadaire satirique, Richard Malka. Le délit de blasphème existerait-il encore en France ? En France, non, mais le code pénal de la région d’Alsace-Moselle punit ce délit d’une peine maximum de trois ans d’emprisonnement. La plainte a-t-elle donc des chances d’aboutir ?
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On apprenait, vendredi dernier, que la Ligue de défense judiciaire des musulmans assignait Charlie Hebdo à Strasbourg pour « blasphème », après la publication d’une Une, datée du 10 juillet dernier, qui titrait : « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles ». Début octobre, la LDJM annonçait son dépôt de plainte, dans un communiqué : « La juridiction pénale strasbourgeoise sera saisie, pour des faits qualifiés en considération du droit d’Alsace-Moselle, dérogatoire. Hormis pour ce territoire, le délit de blasphème a été supprimé du Code pénal par un décret du 8 juin 1906. »
Que dit le droit local alsacien-mosellan ?
« L’article 166 du Code pénal local peut s’appliquer aux caricatures visées par notre action car il sanctionne le délit de blasphème, consistant en des propos outrageants tenus en public à l’égard de Dieu ou à l’égard des cultes ou des communautés religieuses telles que les congrégations ou des institutions religieuses », ajoute la LDJM dans son communiqué. « La sanction pénale peut aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement. »
L’article en question dit ceci : « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnus comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. »
Le délit de blasphème ou protection de la liberté religieuse ?
Si le délit de blasphème existe en effet dans cette région, pour Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut de droit local alsacien-mosellan, ce délit ne doit pas être considéré comme un délit moyenâgeux. « Il s’agit d’une disposition d’origine allemande qui a été maintenue en 1918, lors du rattachement de l’Alsace et la Moselle à la France », explique-t-il. « Mais, déjà, à l’époque allemande, cette disposition ne visait pas à protéger une religion en tant que telle mais à respecter les convictions religieuses des personnes. »
« Ce qu’on appelle de manière brutale ‘délit de blasphème’ est interprété depuis très longtemps dans un sens très proche de ce qui est prévu par la loi de 1905 : les personnes qui ont des convictions religieuses ont le droit d’être protégées contre toute forme d’agression ou de dénigrement qui se traduirait comme une atteinte à la liberté religieuse », ajoute-t-il. Pour Jean-Marie Woehrling, le délit de blasphème est uniquement une protection de la liberté religieuse, rien de plus.
Rappel historique
La définition du « blasphème » est entrée dans le droit français au XIIIe siècle et sera supprimé du droit par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui déclare cependant que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». On passe alors du délit de blasphème à la protection de la liberté religieuse. Le blasphème est réinstauré dans le droit sous la Restauration et de nouveau abrogé dans les années 1830.
Le délit est supprimé définitivement du droit français par la loi du 29 juillet 188 sur la liberté de la presse. A l’époque, les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle était intégrés à l’Empire allemand, les dispositions juridiques allemandes ont donc été maintenues, après le rattachement. Cependant, malgré l’existence de ce délit, « on ne compte que très peu de précédents dans cette affaire », estime Jean-Marie Woehrling. « Si condamnation il y a eu pour blasphème, personne n’a fait de prison pour ce délit en Alsace-Moselle. »
La plainte de la LDJM peut-elle aboutir ?
Karim Achoui, le président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans « va nous faire perdre notre temps et notre argent », ainsi qu’à la justice, a déclaré Charb, le directeur de Charlie Hebdo. La plainte n’a-t-elle, en effet, aucune chance d’aboutir ? « Pour que le droit local puisse être mis en œuvre, il faut se situer dans le champs d’application du droit local donc invoquer un fait délictueux qui ait été réalisé en Alsace-Moselle », explique encore le président de l’Institut de Droit local alsacien-mosellan.
Dans le détail, il faudrait voir dans quelles conditions la plainte de la LDJM a été déposée mais pour le moment rien n’indique que cette plainte pourrait aboutir. « Contrairement à ce que l’on peut penser, il n’y a pas de vraie originalité en Alsace-Moselle sur la question de la liberté religieuse. Si une plainte est formulée pour atteinte au sentiment religieux dans le reste de la France, ce sont les mêmes principes qui s’appliquent », conclut Jean-Marie Woehrling.