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Chili: l’espoir d’une nouvelle génération de députés

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JOL Press : Comment s’est déroulée et finie la campagne présidentielle au Chili ?
 

Thomas Huchon : Jeudi soir, les deux candidates ont fêté chacune de leur côté la fin de leurs campagnes respectives. À l’image de ce deuxième tour dont le résultat est couru d’avance, cette élection ne passionne pas les Chiliens. Plus de 55% d’entre eux ne sont pas allés voter au premier tour ! Il y a un énorme rejet de ce système qui ressemble à une démocratie, mais dont la constitution est héritée de la dictature. C’est une forme d’imposture très réussie. Et visiblement les Chiliens n’y croient plus.

JOL Press : Comment Michelle Bachelet est-elle perçue par les Chiliens ?
 

Thomas Huchon : Elle a déjà été présidente 4 ans, et elle n’a tenu que très peu ses promesses de campagne. Surtout, elle a validé et approfondi le modèle néolibéral hérité de la dictature. Elle a marqué des points sur les questions de société, en créant un musée des droits de l’Homme en 2008. Mais les gens ont bien des doutes sur sa volonté d’agir, y compris ses partisans. Elle sera intraitable sur les questions de société, et je crois qu’elle va légaliser l’avortement, qui est un crime aujourd’hui au Chili. Elle fera aussi probablement passer le mariage gay. Par contre, pourra-t-elle faire les réformes sociales qu’elle annonce, comme l’éducation gratuite pour tous ? J’ai de sérieux doutes là-dessus. 

JOL Press : Lors du premier tour des élections, on a pu observer un fort taux d’abstention. Doit-on craindre une abstention encore plus forte ce dimanche, en raison de la victoire quasiment assurée de Michelle Bachelet ?
 

Thomas Huchon : Oui, c’est probable que le taux d’abstention soit encore plus important. Le scrutin est joué d’avance. Et pour les raisons mentionnées plus haut, il faut craindre que la future présidente du Chili ne soit élue que par 3 millions de voix, soit 25% du corps électoral. Ce qui veut dire que près de 3/4 des Chiliens n’auront pas souhaité qu’elle soit la présidente. C’est énorme, et cela va peser dans sa manière de gouverner, indubitablement. <!–jolstore–>

JOL Press : Comment peut-on interpréter ce fort taux d’abstention ? Les Chiliens se désintéressent-ils de la politique ?
 

Thomas Huchon : La politique est un sport national au Chili, mais le système est biaisé. Entre la constitution, qui a été écrite par Pinochet et ses sbires en 1980 et jamais remise en cause depuis, et le mode de scrutin binominal qui n’est qu’une imposture de démocratie, on peut les comprendre. De nombreuses personnes sont d’ailleurs en grève électorale, et refusent de valider ce système qu’ils estiment « pourri de l’intérieur ». Pedro Matta, l’un de ces grévistes, m’expliquait récemment qu’il ne pouvait plus participer à cette mascarade.

JOL Press : Comment expliquer l’entrée récente, au Parlement, des quatre ex-leaders des manifestations étudiantes (Camila Vallejo, Karol Cariola, Giorgio Jackson et Gabriel Boric) ?
 

Thomas Huchon : C’est une forme d’espoir pour beaucoup de gens, au Chili et ailleurs. C’est l’arrivée d’une nouvelle génération (tous ont moins de 30 ans), qui est vraiment radicale sur ses postures politiques et qui s’est créée en manifestant dans la rue. Ils sont les porte-parole d’un mouvement social qui a changé le Chili depuis 2011. Ils seront donc très attentifs à ce qui se passera au Parlement. Ils vont forcer les députés à travailler plus, car la force de ces jeunes, c’est leur connaissance des dossiers.

Certains craignent qu’en rentrant au Parlement, Camila, Giorgio et consorts ne deviennent comme les autres députés, c’est à dire coupés de la rue. Mais je garde bon espoir. 

JOL Press : Comment analysez-vous l’ouverture de la « Nouvelle Majorité » de Michelle Bachelet à l’extrême-gauche et aux communistes ?
 

Thomas Huchon : On ne peut pas dire que Bachelet se soit ouverte à l’extrême gauche. Ce n’est pas du tout le cas. Oui les communistes, qui représentent la gauche (Bachelet est de centre-gauche et pas de gauche), ont fait campagne pour elle, mais c’est plus le PC qui s’est rapproché de Bachelet que le contraire. Encore une fois, l’extrême gauche, qui représente ici 10% des voix environ, ne fera ni partie du Parlement ni du gouvernement.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Thomas Huchon est journaliste. Ancien correspondant au Chili, il a collaboré avec plusieurs médias, dont Rue89, iTélé et RTL. Ancien rédacteur en chef de SoYouTV, il vit aujourd’hui à Paris où il est réalisateur.

En 2010, il publie son premier livre, Salvador Allende, l’enquête intime (éd. Eyrolles), réédité en septembre 2013 sous le titre Allende, c’est une idée qu’on assassine, augmentée d’un documentaire.

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