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Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire?

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La question du harcèlement scolaire ne doit pas être prise à la légère. Elle concerne environ un enfant sur dix en primaire et au collège ; peut aller de la moquerie à la menace, des coups au racket ou aux violences sexuelles. « Il faut briser la loi du silence, faire en sorte que ceux qui sont victimes mais aussi ceux qui sont témoins aient la possibilité de parler », a souligné le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, en lançant, la semaine dernière, son « plan d’action » contre le harcèlement scolaire.

Comment faire face à un phénomène dont souffrent des centaines de milliers d’élèves en France ? Eléments de réponse avec Jean-Pierre Bellon, co-auteur avec avec Bertrand Gardette de Prévenir le harcèlement à l’école Collège-Lycée : Guide de formation (Editions Fabert – mai 2012). Entretien.

JOL Press : Le harcèlement à l’école a-t-il changé ?
 

Jean-Pierre Bellon : Le harcèlement à l’école est un phénomène ancien, identifié dans la littérature dès le XIXe siècle. Aujourd’hui, il a évolué et s’est très bien adapté aux modes de vie contemporains et en particulier aux nouvelles technologies. L’apparition du téléphone portable est le principal responsable du harcèlement à l’école, les élèves pouvant recevoir des SMS injurieux à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Malgré ce que l’on peut penser, le portable fait plus de mal que les réseaux sociaux et Internet.

Ces nouveaux moyens de communication ont donné une extension au harcèlement absolument phénoménale, dans la mesure où on peut être persécuté en permanence et où une rumeur ou une photo peuvent être diffusées sur Internet en quelques secondes. Avant le développement de ces technologies, le harcèlement exigeait de la répétition, aujourd’hui il suffit de diffuser, une seule fois, une photographie sur Internet, pour qu’elle soit ensuite relayée par tous les internautes.

JOL Press : Quel est le harcèlement le plus répandu dans les écoles ?
 

Jean-Pierre Bellon : Ce sont les moqueries, avec les surnoms extrêmement déplaisants et répétés de façon systématique. Vient ensuite l’ostracisme des élèves isolés qui ne parviennent pas à s’intégrer à l’intérieur d’un groupe. Se développent aussi les rumeurs et plus rarement les coups. Quelque fois le harcèlement entre dans une logique de surenchère : on commence par la moquerie et on finit par la menace et les coups.

JOL Press : Comment une victime de harcèlement est-elle choisie par ses camarades ?
 

Jean-Pierre Bellon : Il suffit d’une petite différence, d’une petite faiblesse. Une différence qui peut passer inaperçue aux yeux des adultes et que la victime ne perçoit même pas. On peut être agressé parce qu’on est un peu plus grand, un peu plus fort, parce qu’on ne s’habille pas de la même manière, parce qu’on a de meilleurs résultats que les autres, mais aussi parce qu’on n’en a de moins bons. Le harceleur n’accepte pas la différence et voudrait rendre les autres conformes à ce qu’il est.

JOL Press : Justement, quel est le profil du harceleur ?
 

Jean-Pierre Bellon : Le harceleur a un certain charisme, il a une certaine façon de se moquer des autres, il est suffisamment intelligent pour s’emparer des petits travers de ses semblables et pour les tourner en ridicule, auprès de ses camarades. Il est aussi suffisamment malin pour faire en sorte que ses brimades fassent rire le groupe mais soient invisibles aux yeux des adultes. Mais on se tromperait complètement si on pensait que le harceleur est quelqu’un qui va bien et à qui tout sourit. Ce n’est pas vrai.

[image:2,s]Nous l’avions constaté, dans l’enquête que nous avons menée, avec Bertrand Gardette, entre 2008 et 2010 : quand nous avons posé des questions aux élèves sur la manière dont ils se sentaient dans leur classe et dans leur collège, les victimes de harcèlement nous ont évidemment dit qu’ils n’étaient pas bien et nous nous sommes rendus compte que les harceleurs n’avaient pas non plus une bonne image d’eux-mêmes mais aussi de leur scolarité et de leur établissement. Je crois que le harceleur est quelqu’un qu’on a besoin de recadrer et qui est aussi, quelque part, en difficulté et en souffrance.

JOL Press : Comment le corps enseignant peut-il s’attaquer au harcèlement scolaire ?

Jean-Pierre Bellon : Le corps enseignant doit être sensibilisé au harcèlement quel qu’il soit car il faut bien reconnaître que tout reste à faire. Ensuite il y a un deuxième travail à faire qui n’est pas simple et qui consiste à briser la loi du silence en mettant en place une équipe, dans les établissements, spécifiquement dédiée à la prévention du harcèlement et indiquer très clairement dans les collèges que le harcèlement est strictement interdit.

Il faut mettre en place un suivi. Je le fais dans mon établissement : on rencontre régulièrement les harceleurs mais on passe rarement par la sanction, quand on punit, ils recommencent en douce. D’un côté on est ferme pour faire comprendre que le harcèlement n’a pas sa place à l’école et de l’autre on est bienveillant et on explique comment faire en sorte que personne ne se sente exclu. Ce processus est long, rencontre des résistances mais c’est très efficace.

JOL Press : Que peuvent faire les parents quand ils réalisent que leur enfant est potentiellement victime de harcèlement ?
 

Jean-Pierre Bellon : Les parents doivent immédiatement s’adresser à l’établissement scolaire, c’est à lui de prendre en main les choses. Le cyber-harcèlement appartient aussi à l’école et Vincent Peillon l’a bien rappelé. Ce n’est pas ce que le harcèlement se passe le soir, sur les réseaux sociaux, qu’il ne concerne pas l’école. On sait bien que le harcèlement et le cyber-harcèlement se tiennent par la main. Les moqueries qui ont été faites dans la journée à l’école se retrouvent sur les réseaux sociaux et ce dont on parle sur les réseaux sociaux, vous le retrouvez le lendemain à l’école.

JOL Press : Doit-on former les élèves aux nouvelles technologies, à leur bon usage surtout ?
 

Jean-Pierre Bellon : Il est plus que temps que l’école s’empare de ces questions et que les enseignants en parlent en classe. On donne au élèves, dès l’âge de 11 ans, un téléphone portable qui est à la fois un appareil photo et une connexion Internet. Un enfant peut donc, en l’espace de quelques secondes, prendre une photo et la mettre sur les réseaux sociaux, sans se soucier du caractère offensant de la publication. Ce pouvoir-là est donné, sans le moindre commentaire.

Des séances de sensibilisation sont indispensables, en particulier en ce qui concerne la vie privée. J’ai traité récemment une histoire de rumeur : des élèves sont allés raconter des histoires épouvantables sur l’état de santé d’une collégienne, sans se soucier un seul instant de sa vie privée. Au-delà des nouvelles technologies, c’est avant tout une question de bon sens.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Pierre Bellon est professeur de philosophie en lycée. Il a participé à la rédaction de plusieurs manuels scolaires et étudie depuis de nombreuses années le phénomène du harcèlement scolaire.

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