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De Rohani à Poutine: petite histoire de la propagande 2.0

Dans l’imaginaire collectif, le mot propagande renvoie à Staline et à la sérigraphie constructiviste placardée dans les années 20 et 30 sur les murs des usines russes. Si l’ouvrier fier et musculeux en bras de chemise et le militaire baïonnette au canon ont depuis sombré dans les limbes du passé, la propagande n’est pas morte pour autant.

On a, en revanche, assisté à un glissement progressif de ses lieux d’expression. Des affiches et oriflammes démesurées de l’ère communiste, ces mystifications se sont peu à peu réfugiées dans les téléviseurs, avant de s’épanouir sur Internet. Un prosélytisme discret mais redoutable. Tour d’horizon de la propagande 2.0.

Poutine, le brave

La libéralisation de l’économie russe n’a pas entamé d’un iota le souhait des dirigeants de l’ex-URSS de galvaniser leurs administrés. Poutine, sur le plan de la communication, ressemble à un Staline sans moustaches, moins « divinisé » certes, mais disposant d’un arsenal de moyens technologiques que son ancêtre n’avait pas. Ainsi n’hésite-t-il pas à mettre en scène ses exploits homériques, quitte à verser dans la galéjade.

Qu’on se souvienne ici de sa fameuse chasse au grand fauve, au cours de laquelle il sauva des griffes d’un tigre une équipe de télévision en envoyant une fléchette hypodermique dans le jarret de l’animal. Ou encore de sa pêche miraculeuse dans les eaux de la mer Noire, du ventre de laquelle il arracha deux amphores une fois et demi millénaires, récurées comme des gamelles dans un camp scout. Mais aussi de son vol en ULM en compagnie d’un couple de cigognes. Ou, pour finir, de ses cavalcades à cru et torse nu sur le dos d’un cheval dans la toundra sibérienne.

Une fois ces prouesses dans la boîte, le président russe se sert admirablement des outils mis à sa disposition pour les mettre en avant. Twitter, les réseaux sociaux et une ribambelle de plateformes en lignes, organes plus ou moins officiels du pouvoir, constituent des relais sur mesure. Toutes ces gesticulations médiatiques pourraient ne constituer qu’un aimable storytelling politique, si elles n’avaient pas pour finalité de cristalliser l’opinion publique autour d’une certaine vision du leader
national comme chantre d’une Russie forte, saine et virile, masquant ainsi une autre réalité : celle d’un pays à la dérive.

Le Parti Communiste chinois, à l’ancienne

En Chine, on ne s’encombre pas de détails. Pour mieux endoctriner, on refuse l’accès aux réseaux sociaux traditionnels tels que Facebook et Twitter, et on en crée de nouveaux, sur lesquels on perfuse des milliers de commentaires favorables au régime. Le groupe chargé d’alimenter ce flux de contenus positifs se fait appeler le parti des 50 centimes, par allusion aux 50 centimes de yuans que ses membres touchent pour chaque publication.

Rohani, le fédérateur

Dans la foulée de son élection à la présidence de la République islamique d’Iran, le 14 juin 2013, Hassan Rohani s’est créé un compte Twitter. Alors que la propagande de Poutine a pour vocation première d’impressionner favorablement l’opinion nationale, celle de Rohani est destinée au reste du monde. Et pour cause, les Iraniens n’ont toujours pas accès au site de microblogging.

Ici, par d’étalage de prouesses sportives en tous genres. Sur Twitter, mais aussi sur Facebook, Rohani ne fait après tout que réagir de façon modérée aux évènements et décisions touchant de près ou de loin l’Iran. Alors, pourquoi propagande ? Peut-être parce que l’objet principal de cette délicatesse d’apparence est de masquer la brutalité du régime. Depuis l’élection de Rohani, plus de 300 exécutions d’opposants politiques ont été dénombrées à Téhéran et alentours. Et puis, que penser de la
vidéo diffusée sur YouTube depuis le 27 novembre, pantalonnade pseudo-universaliste dans laquelle Rohani singe le clip de campagne Yes We Can d’Obama, sorti en 2008 ? Là encore, les Iraniens n’ont pas accès à You Tube. Il leur sera donc difficile de se faire un avis sur l’image que renvoie de lui leur président aux étrangers. Difficile, donc, de mesurer l’écart entre cette image et ce qu’ils connaissent de cet homme.

Si les modes opératoires ont évolué au fil du temps, s’adaptant aux nouveaux moyens de communication, la propagande politique s’articule de nos jours autour des mêmes principes qu’à l’époque : censure d’un certain nombre de médias, confiscation de ceux qui restent pour promouvoir le régime en place, création d’un personnage de leader charismatique. La finalité, elle aussi, reste inchangée : vendre aux habitants d’un pays, voire du monde, l’image tronquée d’une gouvernance irréprochable, qui organise ses méfaits par le geste même de vouloir se situer au dessus de tout soupçon.

Quant à savoir s’il existe encore quelqu’un sur cette planète pour y croire…

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