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Dépoussiérer le statut des enseignants: un chantier impossible?

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Pour l’historien et ancien professeur d’histoire Dimitri Casali, il ne fait aucun doute que réformer le statut des professeurs régis par des décrets pris en 1950, permettrait, en partie, de remédier à la faillite du système scolaire. Néanmoins, le ministre devra se heurter à de nombreux obstacles, à commencer par le corporatisme des enseignants et la toute-puissance des syndicats.

JOL Press : Pour remédier à la faillite du système scolaire, sur Europe 1, vous aviez préconisé la refonte du statut des enseignants de 1950. Pour quelles raisons ?
 

Dimitri : Casali : Le statut des enseignants est un des facteurs qui expliquent l’échec de l’école républicaine. Depuis 1950, soit depuis soixante-trois ans, le professeur connaît le même statut, avec la sacro-sainte règle des 15 ou 18 heures de cours hebdomadaires. Et ce, malgré le fait qu’il soit totalement inadapté au monde scolaire d‘aujourd’hui, le professeur travaillant en moyenne 40 heures par semaine. Il « momifie » le métier d’enseignant, le rendant intouchable. Exclu du reste de la société, le professeur connaît des horaires défiant toute concurrence, ainsi qu’un certain nombre d’avantages, comme des vacances sensiblement plus longues que celles des autres salariés.

Rappelons le contexte dans lequel il a été adopté. Maurice Thorez, président du Parti communiste français de l’époque, et vice-président du Conseil a fait adopter la loi du 19 octobre 1946 définissant le statut général des fonctionnaires. Le décret régissant le statut des enseignants s’est largement inspiré de cette loi.  Il ne faut pas avoir peur de dire que nous sommes dans le dernier régime stalinien au monde : le système scolaire est confronté à des syndicats surpuissants et surreprésentés alors qu’ils ne sont plus du tout représentatifs de la mentalité des enseignants.

JOL Press : Comment expliquez-vous l’immobilisme du monde syndical et l’incapacité des politiques à modifier ce statut, qui, en réalité, est nécessaire ?
 

Dimitri Casali : Les syndicats des enseignants ont dû mal à entendre aujourd’hui cette nécessité de réforme de statut. Ils restent cantonnés à l’idéologie. Et le lobbying des syndicats et des parents d’élèves, ainsi que le corporatisme des enseignants sont tels, qu’il est difficile de leur faire entendre raison.  Il suffit de jeter un coup d’œil au dernier rapport Pisa, pour noter les progrès effectués par les autres pays contrairement à nous, en particulier l’Allemagne. Outre-Rhin, savez-vous que les enseignants n’ont tout simplement pas le droit de faire grève ? Même si d’autres facteurs entrent en compte, on ne peut nier que l’absentéisme et les grèves à répétition détériorent l’image du professeur.

Concernant l’inefficacité des hommes politiques, il faut savoir que l’idée de réformer ce statut reste un sujet tabou. Personne ne souhaite se heurter aux syndicats et aux professeurs en modifiant ce statut d’un autre âge. Et surtout pas les ministres. Pourtant il faudrait avoir le courage de « dégraisser le mammouth » comme le disait Claude Allègre, ministre de l’Education sous Lionel Jospin entre 1997 et 2000, et réformer ce statut, totalement inadapté et obsolète aujourd’hui.

JOL Press : Comment la société perçoit aujourd’hui le métier du professeur ? Assiste-t-on à une crise des vocations ?
 

Dimitri Casali : Aujourd’hui, je constate que la plupart des meilleurs professeurs ont démissionné de l’Education nationale au cours des vingt dernières années. Les élèves, et la société en général, ne respectent plus les enseignants comme avant. Aujourd’hui presque plus personne ne devient professeur par vocation.

Une situation catastrophique puisque normalement il faudrait qu’ils soient les éléments du pays les plus compétents pour mener à bien leur mission. Cela peut se comprendre sous le concept de patriotisme éducatif : miser sur les meilleurs atouts du pays pour former les enfants de la nation. Il s’agit d’ailleurs d’une des conclusions d’un rapport de l’OCDE de 2007, qui démontrait que la réussite scolaire dépendait essentiellement et surtout du professeur, clé de voute du système.

JOL Press : Ce rééquilibrage entre le statut et la réalité est sans aucun doute nécessaire… Mais est-il suffisant ?
 

Dimitri Casali : La faillite du système de l’école s’explique seulement en partie par l’obsolescence de ce statut. D’autres facteurs sociétaux et structurels entrent bien sur en jeu.  Au-delà de sa modification, il faudrait revaloriser le rôle du professeur, notamment par une hausse de salaire, mais surtout son image, aujourd’hui très abîmée. De plus, il faudrait revenir à la méritocratie, où les mauvais fonctionnaires étaient sanctionnés et les bons récompensés, comme avant 1946. Instaurer un système d’évaluation des professeurs serait une intéressante piste de réflexion. Et puis rappelons que dans la plupart des pays, c’est déjà la norme.

Par ailleurs, nous avons surtout besoin d’un réformateur qui prenne des décisions courageuses, et qui n’ait pas peur de se mettre à dos syndicats, professeurs et parents d’élèves. Pour le moment, aucun n’a eu le courage et la volonté politique pour y parvenir. Si Vincent Peillon a annoncé plancher sur la modification de ce statut, je reste sceptique et méfiant quant aux effets d’annonces. Depuis le début de son mandat, plusieurs annonces ont été faites, comme l’introduction obligatoire d’une charte de laïcité dans les écoles, mais dans les faits, je ne note pas de réels changements.  

Propos recueillis par Carole Sauvage

Dimitri Casali est un historien et essayste spécialiste du Second Empire. Il a  également été professeur d’histoire durant huit ans dans un établissement scolaire ZEP. Napoléon : le grand album de notre enfance, Editions Gründ. L’altermanuel d’Histoire de la France, Editions Perrin – Prix du Guesclin du livre d’Histoire 2011.

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