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Et si la crise des partis politiques était avant tout une crise de confiance?

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JOL Press : Face à l’émergence de nouveaux mouvements contestataires – on pense à « La Manif pour tous », aux « Bonnets rouges » ou encore aux « Pigeons » ­– les partis politiques sont-ils dépassés ?

Bruno Cautrès : Ces mouvements contestataires ne sont pas si nouveaux, on a déjà connu plusieurs périodes, au cours des vingt dernières années, en France, durant lesquels ont émergé des mouvements d’exaspération qui semblaient échapper aux syndicats et aux partis politiques.

Cependant, ces mouvements traduisent que nous sommes dans une période – et je ne crois pas que ce soit lié particulièrement au gouvernement actuel – de ce qu’on appelle l’émergence d’une citoyenneté très critique. Les Français continuent à soutenir les grands principes de la démocratie représentative, ils continuent à croire que le vote est leur moyen d’expression privilégié, ils ne remettent pas en cause l’existence des partis politiques, mais ils remettent en cause leur efficacité. Tous ceux qui incarnent le pouvoir, tous ceux qui font le lien entre les citoyens et l’univers de la politique, sont accusés de ne pas dire totalement la vérité.

Dans une enquête sur les valeurs des Européens réalisée en 2008, nous avons constaté que c’est l’incapacité en France des hommes politiques et de la démocratie représentative à régler les problèmes et à délivrer des solutions qui est surtout critiquée. On reconnaît l’importance des partis politiques mais on considère que ces mêmes partis politiques sont avant tout intéressés par la conquête du pouvoir.

JOL Press : Est-ce pour cette raison que les partis politiques parviennent moins à recruter qu’il y a quelques années ?

Bruno Cautrès : Depuis trente ou quarante ans, dans toutes les sociétés occidentales, on assiste à un affaiblissement des autorités verticales, comme l’Eglise ou les partis politique, et à une affirmation de dimensions beaucoup plus horizontales : on est moins idéologue et partisan mais davantage prêts à défendre des causes ponctuelles. Aujourd’hui, une partie importante des adhérents d’un parti politique ne reste au sein de ce parti qu’un ou deux ans.

En 2007, Ségolène Royal avait bien compris cette évolution et avait orienté sa campagne autour de l’idée de démocratie participative : elle était allée jusqu’à modifier la scénographie des meetings en se plaçant au milieu de l’assistance, en interaction et en dialogue avec le public plutôt que de lui imposer une parole.

JOL Press : Comment expliquer que le principal parti d’opposition ne profite pas de l’impopularité présidentielle ?

Bruno Cautrès : Nous avons eu une alternance très rapide, Nicolas Sarkozy n’a fait qu’un mandat, les Français ont en mémoire le quinquennat de Nicolas Sarkozy. S’il avait fait dix ans de présidence, le sentiment aurait été beaucoup plus diffus, comme le bilan d’images de François Mitterrand. Cette alternance rapide ne fait qu’accroître le sentiment que les hommes politiques changent mais que les problèmes restent.

Ce qui ressort du sentiment général c’est que les hommes politiques, globalement, ne sont pas très honnêtes. Ils paraissent loin des Français, loin de leurs préoccupations. La perception des hommes politiques est contradictoire : ils sont à la fois ceux dont on attend tout, qui sont sensés tout régler, et en même temps, on les critique et on met en doute la parole politique. Les hommes politiques eux-mêmes ne savent pas comment faire pour répondre à cette contradiction.

JOL Press : Le système des partis est-il réformable ? Pourquoi l’émergence de nouveaux partis est-elle si compliquée en France ?

Bruno Cautrès : La réforme du système des partis est difficile pour plusieurs raisons. Il y a tout d’abord un obstacle idéologique : la vie politique française reste très dominée par le combat entre la gauche et la droite et ce combat est renforcé par les institutions de la Ve République et son mode de scrutin majoritaire qui force tous les acteurs à s’inscrire dans une coalition avec un acteur dominant.

Mais il y a aussi un obstacle budgétaire : il existe beaucoup de courants à l’intérieur des partis politiques qui voudraient prendre leur envol et devenir autonomes mais qui ne le peuvent pas pour des raisons financières. Le financement public est figé au moment des élections et si une tendance souhaite quitter un parti politique – on se souvient des fillonnistes tentés de quitter l’UMP – elle réalise que ce n’est pas vraiment possible parce qu’un parti politique c’est avant tout une machine à distribuer des ressources et des sièges.

C’est quasiment impossible de quitter un parti politique sauf à réellement inspirer un mouvement dans l’opinion. Dominique de Villepin, par exemple, a créé son mouvement « République solidaire », mais le villepinisme n’existant pas dans l’opinion, son courant n’a pas décollé.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections (Panel électoral français de 2002 et Panel électoral français de 2007, Baromètre politique français).

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