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Euthanasie, suicide assisté… De quoi parle-t-on exactement?

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« La possibilité de se suicider par assistance médicale comme l’aide au suicide constitue, à nos yeux, un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d’une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience », a souligné la Conférence citoyenne sur la fin de vie, un panel de 18 citoyens sélectionnés par l’institut Ifop pour représenter la société française dans sa « diversité ». Concernant l’euthanasie, les citoyens n’estiment pas nécessaire de l’inscrire dans la loi, comme c’est le cas aux Pays-Bas ou en Belgique.

Quelles différences existe-t-il entre le suicide assisté et l’euthanasie ? Eléments de réponse avec le professeur Louis Puybasset, directeur de l’unité de neuro-réanimation chirurgicale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

JOL Press : Avant que le tourbillon médiatique n’emporte la question, définissons les termes. En quoi consiste précisément le suicide assisté ?

Pr Louis Puybasset : L’avis rendu par la Conférence citoyenne sur la question est brouillon, aucune définition, justement, n’est respectée. Il est pourtant très important de savoir de quoi on parle. On parle de suicide quand le malade prend le médicament lui-même. Et dans ce débat, il faut aussi rappeler que nous ne parlons que de sujets compétents. Il y euthanasie si  le médecin pousse la seringue, il y a suicide assisté si c’est le malade qui ingère le produit.  Si ce suicide est « médicalement » assisté, cela veut dire que c’est le médecin qui a prescrit ce produit.

Pour être clair, on peut définir trois niveaux. Le suicide « pharmacologiquement » assisté : un malade aurait accès à un médicament qui ne serait pas prescrit par le médecin, avec, par exemple, une autorisation de délivrance par la pharmacie, sans prescription. Aujourd’hui un médecin ne peut pas prescrire quelque chose de mortel. On peut imaginer qu’un patient ait accès à un médicament qui ne soit pas prescrit mais qui soumis à une autorisation de délivrance en fonction de critères : il peut être en phase terminale de sa maladie, il va mourir dans les six mois quoiqu’il arrive, il souffre et il n’est pas dépressif.

Vient ensuite le suicide « médicalement » assisté, mais se pose alors le problème pour un médecin de prescrire un poison. C’est ce qui se passe en Suisse : les médecins prescrivent une substance qui n’est pas dans la pharmacopée. L’euthanasie, pour finir intervient, quand le malade demande au médecin de lui administrer une substance létale.

JOL Press : Comment définit-on la phase terminale ?

Pr Louis Puybasset : La phase terminale n’est pas juridiquement définie. La phase terminale dépend des médicaments qu’on administre au patient. La phase terminale dépend de l’action médicale. C’est très compliqué. On peut dire : « Un malade va mourir dans six jours si je ne fais rien ». On peut dire : « Un malade va mourir dans six jours, même si je mets tout en œuvre ». On peut dire : « Un malade va mourir dans six mois si je ne fais rien ». On peut dire : « Un malade va mourir dans six mois, même si je mets tout en œuvre ». La définition est très large. Parler de phase terminale veut dire un peu tout et son contraire.

JOL Press : Dans le cas d’une personne qui n’est pas consciente et qui est condamnée, que fait-on ?

Pr Louis Puybasset : Dans ce cas on parle de limitation thérapeutique. La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin et prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées. Cette décision ne peut être prise que si le médecin considère que le traitement est inutile. Avec la limitation thérapeutique, le médecin ne contrôle pas la mort du malade. C’est la seule solution juridiquement acceptable. Le médecin endort alors le malade pour éviter qu’il souffre.

La loi Leonetti encadre parfaitement cette démarche. La différence entre la limitation thérapeutique et l’euthanasie, c’est le contrôle du temps. Cette nuance est capitale.

Mais ce qu’il faut, avant tout, c’est faire attention à ce qu’on fait en réanimation, afin d’éviter de produire des malades végétatifs. Les malades en coma végétatif ne sont que le fruit de l’action médicale. Sans la réanimation, les malades ne seraient pas dans cet état. Ce qu’il faut, c’est que le médecin anticipe, pendant la réanimation, si le malade va se réveiller ou pas. S’il considère qu’il n’y aura pas de réveil, l’acharnement est inutile. Je travaille là-dessus depuis dix ans : mettre au point des outils médicaux qui permettent de savoir quelle est la lésion du cerveau, parce qu’en fonction de votre lésion cérébrale, vous allez ou pas émerger. Si on fait de la réanimation, pendant un mois, sur un patient dont on sait qu’il ne se réveillera pas,  c’est criminel.

Aujourd’hui, on fait de l’acharnement thérapeutique que certains voudrait régler par de l’euthanasie, c’est aberrant. Si on évitait l’acharnement thérapeutique, la question ne se poserait pas de la même manière.

JOL Press : La Conférence citoyenne préconise de créer une « exception d’euthanasie » pour les cas particuliers qui n’entreraient pas dans le cadre du suicide assisté. De quels cas parle-t-on ?

Pr Louis Puybasset : Là on parle d’euthanasier les malades inconscients. Mais décider, en commission, d’arrêter le cœur d’un malade n’est pas constitutionnel. Personne, sauf un juge, ne peut prendre une telle décision. Imaginer cela, c’est s’attaquer aux libertés fondamentales. Cette hypothèse ne tient pas la route d’un point de vue juridique. Aucun pays ne pratique ce genre d’euthanasie aujourd’hui. Dans les lois belges et hollandaises, par exemple, l’euthanasie ne peut se faire qu’à la demande d’un malade compétent. Arrêter le cœur d’un malade inconscient, c’est un meurtre. Aucun pays ne l’autorisera.

Même en Belgique, le système est étrange : quand un malade demande à mourir en fin de vie, il faudrait d’abord vérifier qu’il n’est pas encéphalopathe. 90% des maladies en fin de vie donnent des encéphalopathies qui perturbent le raisonnement cérébral.

Le rôle de la médecine c’est d’accompagner, de faire au mieux, mais certainement pas de prescrire du poison. Il faut bien distinguer ce qui revient à la médecine de ce qui ne revient pas à la médecine. Le suicide c’est intime. Il y antinomie entre vouloir se suicider et demander l’aide d’un tiers. Si on doit baisser les bras, notre rôle c’est d’accompagner le patient pour éviter qu’il souffre. La décision de l’heure de la mort ne nous appartient pas.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Le Professeur Louis Puybasset dirige l’unité de neuro-réanimation chirurgicale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, depuis 12 ans, où il est confronté quotidiennement aux décisions d’arrêt des thérapeutiques actives chez le patient victime d’une lésion cérébrale aiguë. À ce titre, il a été sollicité pour l’élaboration de la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, de même que pour sa révision en 2008.

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